Ludwig WittgensteinLe déterminisme n’est pas une fatalité – si on ose ce mot. Il n’est fatal qu’en raison d’une conception épistémologique particulière, réaliste. Une première tentative pour s’en détacher fut celle de Kant, mais il n’est pas allé assez loin. Si le monde nouménal échappait au déterminisme – entendons aux catégories de l’entendement, au principe de causalité – le monde phénoménal restait lui soumis au déterminisme, aux lois. Il faudra attendre l’épistémologie du XXè pour que le détachement soit complet avec des auteurs comme Popper , Wittgenstein ou Poincaré, ou des philosophes comme Bergson. Ce dernier dit par exemple que la représentation du temps que nous avons, qui le géométrise, n’est pas le temps, que se le représenter en tant qu’étendue, c’est le dénaturer. Pour Popper, une loi devant par définition être réfutable, on sait par conséquent qu’elle ne dit pas le réel, qu’elle est plus une construction qu’un reflet fidèle du réel. Ainsi, notre connaissance du monde est nécessairement imparfaite.

Le déterminisme que nous croyons voir dans la nature est idéal au sens propre, c’est-à-dire qu’il n’existe que dans l’idée, que dans notre connaissance. Dire : « tout est déterminé par des lois » est une bêtise, si on ne précise pas. Des lois scientifiques ? En ce cas, elles sont imparfaites et le déterminisme que nous croyons voir aussi. Des lois physiques ? En ce cas, nous sommes incapables de les découvrir précisément, nous ne pouvons que les approcher sans jamais les atteindre ; ainsi, on ne peut savoir s’il y a vraiment des lois physiques, on ne peut que croire qu’il y en a, mais jamais nous ne pourrons statuer sur la question. La liberté est donc possible.

En fait, Wittgenstein a exprimé avec plus de clarté ce que j’essaie de dire dans ses aphorismes 6.3xxx du Tractatus. En ce qui concerne le problème de la liberté, on pourra résumer ce que j’essayais de dire par le 6.371 : « Toute la vision moderne du monde repose sur l’illusion que les prétendues lois de la nature sont des explications des phénomènes de la nature ». En somme, si les lois de la nature contredisent l’idée de la liberté en ce quelles montrent un déterminisme, rien ne dit que les phénomènes de la nature sont déterminés de la sorte ; la science n’est qu’une image du monde tachant de s’approcher de celui-ci autant que possible, mais sans jamais y parvenir.

Wittgenstein a raison de dire qu’il s’agit de la vision moderne du monde, car il semble qu’avant Galilée, on considérait la science comme Wittgenstein la décrit. Il fallait donner un modèle de la réalité, une image du monde que l’on savait pertinemment ne pas être la réalité elle-même. C’est ce que fit Ptolémée, c’est ce que fit Copernic. Le drame de Galilée fut justement de dire que l’image copernicienne était vraiment le monde. Que l’on ait pu penser qu’il s’agissait vraiment du monde, cela s’explique sûrement par l’incroyable précision que la science galiléo-newtonienne allait avoir. Cela était si juste que l’on n’a pas pu s’empêcher de penser que là était la vérité, que là était le monde. Les déterministes se sont noyés dans le reflet du monde tout comme Narcisse périt par son reflet. Les déterministes, Laplace en particulier, préférèrent le reflet que la science donnait du monde à ce même monde.

En somme, il nous faut revenir à un univers prégaliléen, tout comme en peinture il y a eu des préraphaélites ; il nous faut y revenir, mais sans pour autant affaiblir l’idée de science et la confiance que l’on peut avoir dans la raison. Le rationalisme critique est peut-être une solution.

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