Le vote et la concorde

Le vote produit (i) l’union civile par son acte, (ii) la distribution des biens entre les personnes par son contenu, (iii) la vie bonne par l’effet des deux précédents, voire grâce à l’activité politique elle-même. [1]

Le vote n’est pas un moyen d’expression. Le vote est un acte (de langage) complexe, qui crée une réalité et pèse (parfois) lourd sur la tête de qui doit y prendre part. Le vote est d’abord un acte de coexistence, de mon opinion avec celles des autres.

En passant, point une tare nouvelle des sondages. Le vote, si mal imité, y est mimé et réduit à l’expression d’une opinion. [2] Pourtant le vote n’est pas là pour exprimer sa voix, pour exister ; ça c’est la musique, la peinture, discuter, traîner en terrasse. En revanche, toute activité soutenant la concorde publique, même sous la forme d’une simple coexistence dans l’espace (théâtre, politesse, ballade au parc), est déjà politique. [3]

Deux objections et un exercice méditatif

Deux objections, car vous lisez parfaitement entre les lignes.

Objection métapolitique
Le statu quo « is not quo », me murmurent peut-être les plus revendicatifs. La politique est la lutte, car la coexistence (pas si pacifique) sur l’espace public n’est que domination. Bref, le vote est un moyen de résistance comme les autres, face aux ennemis. Face à cela (le vote n’est qu’un instrument de lutte, la lutte seule est fondamentale), je me contenterai d’une question : Très sincèrement, en êtes-vous bien sûrs ? [4]

Objection politique
Je suis bien gentil avec cette (i) affaire de concorde, mais (ii) à trop mal répartir les richesses, (iii) la vie pas bonne du tout risquerait de produire de violentes discordes. Autant prendre des risques, c’est-à-dire s’abstenir ; « ce n’est plus ma guerre » ; « au mieux, ce sera la Der des der ».

A nouveau, même question, êtes-vous sûr de votre coup ?

Petit exercice méditatif (1 à 2 minutes) [5]

Respirez un grand coup, lentement, puis imaginez que vos hypothèses sur la politique et l’économie sont fausses. Cela fait, après une autre inspiration, imaginez que vos choix puissent mener à des résultats contraires à vos aspirations.

Besoin d’aide ? Selon votre mouvement, imaginez :
– un libéralisme totalitaire, avec des brevets agissant contre l’innovation ;
– une France bleue marine artificielle, où une trop faible culture de soi commence par exclure l’autre avec violence ;
– une rigueur d’abord hypocrite, n’osant s’avouer l’apparence comptable (de répartition) des équilibres budgétaires :
– une planification écologique ratée, empêchant les innovations véritables. [6]

Fin du discours

Confidence et exemple édifiant
Personnellement, je vois trop les troubles civiles dans le bleu marine, malgré toute la méditation dont je me sens capable. Il n’y a pas de peste ou de choléra, mais une peste quasi brune. Et Bernie Sanders, finalement, a-t-il voté Trump ou s’est-il abstenu ?

Exhortation finale (et malheureusement sincère)
C’est pourquoi, cher lecteur, je t’invite [7] à considérer les choses en toi-même, à partir de ce que tu sais du monde (ou crois sincèrement en savoir). Pour moi, je crains la discorde des succès nationalistes ; quant aux inégalités en marche, elles me paraissent nettement moins urgentes (et, à la vérité, moins patentes).

Si gouverner, c’est prévoir ; voter c’est aussi choisir. Je crois qu’il faut d’abord, sans trop de calcul, choisir la paix civile.

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[1] Là, pour faire bien, il faudrait une citation d’Aristote. Contentons-nous de cette dichotomie à trois branches (dichotomia semble provenir de juste-division), où placer l’écologie est un problème juridique et politique.
[2] J’incrimine les sondages, mais la société de consommation entière nous pousse à l’aveuglement vis-à-vis de nos actes. Les marques nous vendent explicitement une image et du confort ; nous acceptons ces images en jouant ironiquement à n’en être pas dupes ; et, avec, nous acceptons aussi les modèles sociaux de production, même inhumains. Songez à nos PC et téléphones.
Interrogez-vous, que vous vendent réellement vos marques ? (mêmes politiques)
Post-notum : je dois ces petites remarques à un brave camarade qui se reconnaîtra, et à David Forster Wallace, qui écrivait très bien. Plus bas, une analogie est empruntée à ma sainte Mère.
[3] Valoriser la ballade au parc, où tout le monde se côtoie sans se parler, ça fait libéral (mais pas trop, c’est une activité non productive, financée par l’impôt). De même le théâtre et ses rires sont plutôt communistes, et la politesse traditionnelle. – Si je puis m’exprimer ainsi.
[4] En outre, s’il s’agit de s’abstenir pendant que d’autres s’occupent d’éviter le pire, c’est une stratégie un peu boudeuse. Oui, je psychologise, mais j’ai l’impression que ce n’est pas tout à fait inopportun. Si une dispute autour de concepts plus costauds vous tente, lançons des discussions ci-dessous.
[5] Vous verrez, c’est un petit exercice très troublant. J’ai mis « 1 à 2 minutes », mais ça peut se faire en 30 secondes, et agacer longtemps.
[6] Vous appréciez, j’espère, que je n’ai pas sorti mes cartes « Banques » ou « Vénézuela » ; à vrai dire j’aurais trop peur de passer pour un fanatique sans finesse (du genre à baptiser du beau nom de lucidité ses discours d’entre-soi).
[7] D’un tutoiement républicain bien sûr.