Une puceTe souviens-tu du métier qu’exerçait Bardamu en arrivant à New-York? Il comptait les puces. Je pensais que c’était un métier impossible. Je me suis trompé. Je le pratique aussi depuis quelques temps.

Elles sont arrivées comme ça. La nuit. Sur mon drap blanc, une petite chose noire. « Encore un insecte » me dis-je, car bien qu’habitant en ville, je suis comme qui dirait à la campagne (cherche bien, il n’y a qu’un seul endroit comme cela à Lyon), et ces bestioles trouvent généralement ma chambre bien accueillante, surtout l’été lorsque j’ai la folie de laisser ma fenêtre grande ouverte en permanence.

J’essaie de m’en saisir. Ça saute. « Diable! », m’écris-je, « l’ennemi est coriace! ». J’essaie à nouveau, l’insecte récidive. Je parviens finalement à l’attraper entre mon pouce et mon index. J’écrase bien fort : ce n’est pas que je sois cruel, mais c’est que je n’aime pas être emmerdé. Je rouvre mes doigts. Il était encore plus vivant que Bruce Willis dans une scène de Die Hard où on le croit mort.

Je passais une nuit agitée. L’ennemi m’encerclait, et je ne pouvais rien faire. Mon aérosol pour les mouches était impuissant. Celui contre les araignées et les cafards aussi. C’est te dire la résistance du truc. J’étais face à une espèce que même Grissom des Experts n’avait jamais dû connaître. Peut-être un mutant?

Je parvenais à en mettre quelques-uns en captivité, et les présentais à mon père. Il m’assura que ce ne pouvait être des morpions : il en avait déjà vu (eu?), et ça n’y ressemblait pas. « Un genre de moucheron? », me dit ma mère, car il y avait comme des petites ailes dessus. « Mais non! Il n’y a que les puces et les kangourous pour sauter ainsi ».

Pendant 4 heures, nous fîmes brûler dans ma chambre de 10m² un fumigène pour locaux infectés prévu pour des espaces de 150m². Oui, nous avions vu large, mais au moins pouvions-nous être sûr de notre riposte.

À l’évidence, la force de frappe était disproportionnée. Trop de fumigène tue le fumigène. Mes meubles, mes livres, mon bureau : tout était recouvert d’une poussière semblable à de la cendre à coté de laquelle Pompéi eut semblé une ville colorée. Mais au moins allais-je pouvoir dormir tranquille, pensais-je, comme un sot.

Car la première nuit fut difficile. Bien que mes fenêtres fussent grandes ouvertes, l’odeur était tenace et agressait mon palais. Je crus mourir. La seule chose qui me retint à la vie était l’idée que je triompherais des insectes. Ils n’auraient pas le dernier mot.

Hélas! Hélas! Trois fois hélas! Si le lendemain et les nuits suivantes, je pouvais goutter le privilège de dormir dans une chambre aussi aseptisée qu’un chirurgien, ces derniers jours, en revanche, les bêtes sont, une quatrième fois hélas!, revenues.

« Que faire? » me demandé-je tel Lénine. Me laver? J’ai déjà essayé.

Quoiqu’il en soit, j’envoie désormais au cachot chaque bestiole que je trouve. Et je les observe, et je les classe. Comme Bardamu. Et quand j’en aurai marre, j’irai moi aussi bosser chez Ford.

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