Alain MadelinINTRODUCTION

La question de la place du service public est aujourd’hui plus que jamais d’actualité. En effet, le gouvernement Raffarin est actuellement en train de plancher sur le problème des retraites, et les différences sociales entre le régime de cotisation des salariés du privé et des salariés du public sont aujourd’hui dévoilées au grand jour. Alors que l’ensemble de la droite française serait pour un alignement du public sur le privé, la gauche souhaiterait l’inverse, c’est-à-dire l’alignement du privé sur le public, en ce qui concerne les acquis sociaux.

Mais ce débat révèle en fait une question de fond beaucoup plus polémique : quelle est la place du service public ? Un des grands désaccords gauche – droite repose sur ce problème. Vaut-il mieux se placer dans une optique plutôt socialiste, qui prône un contrôle de l’état dans les entreprises, ou au contraire plutôt libérale, qui défend quant à elle l’initiative individuelle et un désengagement de l’état ? Une autre question s’ensuit : qu’entend-t-on vraiment par service public : serait-ce se limiter simplement au tâches régaliennes, ou bien doit-on s’étendre à d’autre activités telles que la production d’énergie, la télécommunication ou les transports ?


I – LA QUESTION DE L’ORIENTATION POLITIQUE

Si il existe un point où les socialistes et les libéraux se trouvent radicalement opposés, c’est bien sur le rôle de l’Etat, et donc sur la place du service public. Les socialistes sont opposés à toute privatisation et sont prêts à tous les sacrifices, nous le verrons, pour défendre coûte que coûte le service public à tous les étages. De leur côté, les libéraux ont plus tendance à privilégier l’initiative privé et la libre concurrence, ceci aussi au prix de quelques sacrifices.

Cette question est d’ailleurs posée au sein même de l’UMP (Union pour un Mouvement Populaire) où Libération (cf. texte en annexe) nous indique dans l’article « L’UMP réclame des comptes à la gauche » qu’une commission d’enquête parlementaire sur la gestion des entreprises publiques vient d’être créée. Cela lance un nouveau débat et les responsables de l’UMP s’interrogent. Ainsi, Elie Cohen demande à ce que l’on libéralise les entreprises publiques des secteurs concurrentiels. Pierre Méhaignerie, Jacques Barrot et Patrick Ollier tentent quant à eux « d’examiner les rapports entre l’Etat actionnaire et ses entreprises publiques ». François Aubert dégage quant à lui l’objectif principal, à savoir se questionner sur les statuts et la compétitivité des entreprises publiques, ainsi que réfléchir sur ce qui est un service public ou ne l’est pas.

La gauche quant à elle ne voit pas cette nouvelle commission d’un bon œil et pense que c’est un nouveau prétexte à des nouvelles privatisations, et donc, à des licenciements, même si Jean-Pierre Balligand (député PS) reconnaît tout de même de la nécessité de s’interroger sur la gestion et le rôle de l’Etat dans les entreprises publiques.

L’interview d’Alain Madelin (président de l’ancien parti de droite libérale Démocratie Libérale maintenant dissous dans l’UMP) dans le Monde du Vendredi 29 Décembre 2000 (voir texte en annexe) le montre bien. Pour lui, le fait que l’Etat soit l’unique détenteur d’un secteur de l’économie est un frein à son développement. Il se montre également fermement opposé à toute reprise en main de quelque secteur que ce soit, et privilégie plutôt un contrôle de l’Etat, c’est-à-dire une régulation et une réglementation des activités pouvant être délicates. Il dénonce également l’effet pervers des semi-privatisations, les entreprises possédant ainsi à la fois « l’accès aux marchés de capitaux et la garantie de l’Etat », ce qui peut conduire à des dérives, comme nous le verrons plus loin. Alain Madelin établit ensuite une différence fondamentale entre service public et entreprise publique. Le service public désigne en effet la mission que doit accomplir l’entreprise, et l’entreprise publique désigne le mode de financement, public ou privé, de l’entreprise. Ainsi, Alain Madelin montre qu’il est tout à fait possible pour une entreprise publique d’accomplir une mission de service public.

II – UN SERVICE PUBLIC OUI, MAIS QUEL SERVICE PUBLIC

1 – Les dysfonctionnements des services publics

Quant à l’opinion publique, celle-ci est partagée sur la question des services publics, de la même façon que le monde du travail est divisé grossièrement entre salariés du privé et salariés du public. Les grèves incessantes de la fonction publique au nom de la défense d’acquis sociaux auquel le monde du privé n’a pas droit n’ont pas fini d’agacer les salariés du privé. L’écart entre le privé et le public n’a jamais été aussi grand, et continue même de se creuser, comme nous le rappelle L’Express dans l’article « Retraites : Hold-up sur les salariés du privé » : les caisses de retraites du privé viennent de verser 830 millions d’€ aux caisses de retraite des fonctionnaires. Sans déligitimer l’utilité des services publics, l’Express montre les dysfonctionnements de la gestion de la fonction publique et les déséquilibres : salariés du public mieux payés, manque d’efficacité et de rigueur dans le travail, augmentation des dépenses (43.6 % du budget de l’Etat), augmentation des effectifs, et donc augmentation du nombre de salariés, mais aussi des retraités.

De la même façon que le problème des retraites révélé par l’Express déchaîne les passions du secteur privés, les nombreuses grèves des services publics continuent d’aggraver le fractionnement social qu’il existe. Comme le montrent les différents articles de l’IFRAP (Institut de France de Recherche sur les Administrations Publics), les avantages de la fonction publique sont sans commune mesure avec ceux du secteur privé, et cela au détriment du contribuable qui paye ces privilèges de ses impôts. Ces privilèges sont défendus (gouvernement de droite), voire agrandis (gouvernement de gauche) au prix des traditionnels grèves qui paralysent le service public qui devrait normalement être au service du public. La SNCF a ainsi cumulé 180 000 jours de grèves pour la seule année 1998. La notion de service minimum est dans bien des cas très absente et le service public, profitant de sa position de monopole étatique, se permet de prendre en otage tout un peuple. En effet, la non libéralisation du chemin de fer ne permet pas de trouver une alternative ferroviaire en cas de grève. Cette position de monopole et cette gestion peu rigoureuse permet toutes les dérives au sein de la fonction publique. Nous retrouvons par exemple le problème du déséquilibre des retraites (voir tableau de l’IFRAP). Le graphique provenant du même organisme d’étude montre également bien que l’absentéisme dans la fonction publique est beaucoup plus élevé que dans le secteur privé.

Comme Alain Madelin l’a démontré, le financement particulier de certaines entreprises partiellement privatisées et où l’Etat reste malgré tout actionnaire majoritaire peut pousser les dirigeants à effectuer une gestion peu scrupuleuse, ces derniers ayant comme garantie l’Etat. L’actualité de ces derniers mois nous a révélé un nouveau scandale d’Etat, de l’ampleur de celle de l’affaire du Crédit Lyonnais : le cas de France Télécom. L’article de l’Express « Alerte Orange » (cf. annexe) nous détaille parfaitement l’ampleur de ce désastre : une perte à la hauteur de 30 milliards d’€, une dette de 60 milliards d’€ et une action perpétuellement en baisse. L’Express nous rappelle que l’Etat est toujours actionnaire avec une part dans le capital de France Télécom de 54%. L’historique des dérapages du dirigeant de l’époque, Michel Bon, y est développée. Mais le problème est ailleurs, et l’article « France Télécom : la gabegie financière » publié dans l’Humanité, journal pourtant très ancré à gauche nous dit : « Direction et Etat ont favorisé d’énormes gâchis financiers », ce qui confirme ce qu’Alain Madelin soulignait. L’Humanité poursuit, déclarant que « l’Etat laissera l’entreprise s’endetter considérablement auprès des marchés financiers ».

2 – Qu’est ce qu’un service public ?

La question de savoir ce que l’on entend par service public est également ambiguë. Ainsi, l’Humanité (cf. annexe article « La semaine noire de l’archéologie préventive ») rapporte l’interrogation actuel du gouvernement concernant par exemple, le statut des archéologues. En 2001, pendant l’ère Jospin, les socialistes considéraient l’archéologie comme un service public. Aujourd’hui, le gouvernement Raffarin ne l’entend plus de la même oreille et veut maintenant « rétablir certaines règles de la concurrence dans le domaine de l’archéologie ». Les socialistes et les libéraux ne sont donc pas en accord sur la notion du service rendu au public par l’archéologie. Mais ces désaccords droite / gauche ne se limitent pas seulement à l’archéologie. Un problème plus important est celui de l’énergie. L’Expansion dans son article « Libéralisation : La France isolée pourrait obtenir un sursis de ses partenaires », écrit avant les élections de 2002, donc sous le gouvernement bi-face Chirac – Jospin, montre que la France est un des seuls pays européens à avoir choisi de garder les secteurs de l’électricité et du gaz sous la coupole du monopole étatique d’EDF-GDF. Cela provoque la rage de nos partenaires européens, qui voient dans cette stratégie une atteinte au libre échange, EDF-GDF pouvant exporter à l’étranger, mais les sociétés étrangères ne le pouvant pas sur le sol français.

Comme le rapporte Le Monde du 12 décembre 2002, « le rapport Clément sur la place de la culture dans la télévision publique suscite des réactions contrastées ». En effet, la philosophe chargée d’étudier ce problème a proposé d’inscrire en préambule de la constitution le service public de la télévision. On peut s’interroger sur le fait qu’aucune remise en cause du service public audiovisuel n’ait été fait avec ce rapport, l’Etat semblant devoir avoir sa chaîne de télévision, qu’on le veuille ou non. La question de savoir si le rôle de l’Etat est de faire de la télévision paraît pourtant tout à fait légitime, et on peut aussi dans ce cas s’interroger sur les risques de dérives totalitaires d’une telle mesure, et donc d’un service public de plus en plus présent, voire omniprésent. La télévision publique serait censée instruire les gens et les cultiver. Imposer une culture serait imposer une pensée unique, ce qui est dangereux pour la démocratie. Nous voyons donc directement les dérives que provoquerait un service public qui serait imposé.

CONCLUSION

Nous l’avons vu, la question de la place des services publics est loin d’être résolue, ceci en partie à cause du jeu démocratique qui veut qu’une certaine alternance politique se suive aux commandes de l’Etat. Ainsi, la gauche-socialiste et la droite-libérale possédant des visions totalement opposées du problème se succèdent au pouvoir, les uns défaisant ce que les autres construisent et réciproquement. Néanmoins, on trouve chez certains hommes politiques une réelle volonté de reformer l’Etat, et avec lui, les services publics. On trouvera ainsi en annexe la réflexion et les propositions d’Alain Madelin sur les services publics, texte paru dans le journal « Les Echos » en décembre 1995. Étrangement, et ce n’est pas faute d’avoir cherché, je n’ai trouvé aucune propositions de reforme des services publics proposées par un homme politique de gauche. Sans doute que pour le camp socialiste, la légitimité des services publics est innée et inaltérable, car elle découle d’une idéologie de l’Etat providence. Cependant, j’ai réussi à trouver quelques déclarations de ceux qu’on appelle aujourd’hui les sociaux-libéraux dont les figures emblématiques françaises sont Laurent Fabius et Dominique Strauss-Khan, que l’on pourra trouver également en annexe. On verra ainsi dans l’article du Monde « A gauche, la privatisation de services publics n’est plus taboue » que DSK se montre en faveur d’une privatisation du groupe EDF, rejoignant ainsi le ministre des finances de l’époque (Janvier 2002), Laurent Fabius.

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