L’open space et le panoptique, le pouvoir et le travail
Voici une petite compilation de deux commentaires donnés au sujet du problème de l’open space, et plus largement au problème de l’organisation du travail contemporaine, réagissant à La dictature de l’« ambiantal » chez Yves Michaud et à L’open space l’a tuer chez Sciigno.
L’open space constitue sans aucun doute un dispositif au sens où Agamben l’entendait, au même titre que le panoptique : quelque chose capable d’orienter les pratiques et comportements des individus, capable de façonner les subjectivités, de les produire. Cependant, il n’est pas sûr que la comparaison de l’open space avec le panoptique tienne jusqu’au bout au sens strict.
Le panoptique consiste dans un agencement architectural faisant que le surveillant peut tout voir sans être vu ; que le surveillé se sait vu sans savoir s’il est vu sur l’instant. Foucault insiste bien sur le fait que dans le panoptique et la société disciplinaire qui va avec, on met la lumière sur les surveillés ; alors que dans la société de souveraineté (pour reprendre la catégorisation de Deleuze) qui précédait, la lumière était mise sur la source de pouvoir (par ex. Louis XIV et sa cour fastueuse).
De ce point de vue, le panoptique est bien différent d’un open space. Dans ce dernier, en effet, les surveillés voient les autres surveillés, à la différence du panoptique. Parfois, ils peuvent même observer dans certains cas les surveillants (disons les dirigeants, la source – supposée – du pouvoir et de l’autorité), chose impossible avec le panoptique.
Ainsi, le dispositif de l’open space n’est peut-être pas strictement réductible au panoptique. Il est bien plutôt différent, et peut-être lui succède-t-il, accompagnant une nouvelle forme d’organisation du travail, et peut-être même un autre modèle d’organisation sociale et politique. Pour reprendre Deleuze, on pourrait peut-être dire que le dispositif panoptique est à la société disciplinaire ce que l’open space est à la société de contrôle.
En disant cela, on ne cherche pas à couper les cheveux en quatre inutilement, mais à poser un enjeu plus large et important : notre société se construit-elle sur le même modèle (panoptique) que sur celui du XIXe siècle, ou bien sûr un autre (l’open space) ? y a-t-il rupture ou continuité entre hier et aujourd’hui quant au paradigme sur lequel se fonde la société ?
Par-delà la question du dispositif au sens d’Agamben, où un objet même très anodin peut cristalliser des relations de pouvoir, c’est la question de l’open space comme dispositif au sens où Foucault l’entendait qui est en jeu. Non plus une relation de pouvoir locale et circonscrite que certains pourraient peut-être éviter en y prenant garde, mais un paradigme global, une structure implicite qui nous détermine tous plus ou moins inconsciemment dans nos pensées et nos comportements, que nous le voulions ou non, auquel on ne peut pas échapper.
Il est évident que le panoptisme est capable de rendre compte de certains phénomènes contemporains, comme celui de la vidéo-surveillance (où, effectivement, on sait que l’on peut être vu par quelqu’un sans savoir nécessairement si on l’est ou pas), qui peut-être, selon certains, tend à se généraliser pour servir de modèle à la société entière. Mais peut-être y a-t-il d’autres tendances d’une nature quelque peu différente qui se dessinent et traversent la société ? Peut-être est-il nécessaire de les penser suivant autre chose pour compléter l’analyse ?
La façon d’agencer un lieu permet d’orienter les relations de pouvoir entre individus. La simple configuration de l’espace permet d’assujettir, de gouverner d’une certaine manière. Le panoptique et l’open space pourraient bien être deux modèles possibles.
Le panoptique : instaurer le sentiment que l’on est surveillé par quelqu’un sans savoir si on l’est vraiment, de sorte qu’on intériorise ce sentiment à chaque instant, peut-être même une fois que l’on se trouve hors d’un tel dispositif de contrôle.
- L’open space : la surveillance de chacun par chacun (et non plus seulement des surveillés par le surveillant), parfois dans un relatif égalitarisme, puisque dans certains agencements, même les subordonnés peuvent jeter un œil sur ce que fait le contre-maître.
Cette oppression constante à l’œuvre dans l’open space conduit à des pratiques de résistance de la part des individus concernés. Beaucoup, quand on leur permet, ont les écouteurs du baladeur vissés sur les oreilles toute la journée pour recréer une intimité impossible. Beaucoup discutent avec leur collègue situé à quelques centimètres de lui par messagerie instantanée pour retrouver une certaine confidentialité. Beaucoup d’autres stratagèmes existent pour tenter d’échapper à le surveillance de chacun par chacun.
Les open spaces sont également généralement plus jolis que leur équivalents panoptiques, que les vieilles usines lugubres. Tout comme on accepte les écouteurs et la messagerie instantanée, on accepte que les gens les personnalisent, les décorent, les adaptent à leur goût, de telle sorte que l’on s’y sente chez soi.
L’esthétisation de ces lieux conduit alors à masquer les relations de pouvoir qui y sont contenues. Ce n’est plus un sentiment de subordination ou de domination, mais un sentiment esthétique qui nous est évoqué en premier lieu. On ne se dit plus « Quelle oppression ! » mais « Que c’est joli ! » Joli, car de la beauté en ces lieux, pour le dire avec Kant, on en trouvera pas puisqu’ici, il n’y a pas de finalité sans fin, la décoration cherchant à dissimuler : cette esthétisation n’est pas belle mais tout au plus agréable. Elle rend esthétiquement agréable le socialement et politiquement désagréable.
C’est le même problème que dans la question de la prévention situationnelle, comme avec les dispositifs anti-SDF, où l’on enjolive ce qui est odieux afin que le sentiment d’indignation soit chassé par un sentiment esthétique. Cela conduit à ce que l’on accepte plus facilement l’inacceptable.
Par ailleurs, dans le cas de bureaux agencés de manière conviviale et accueillante, le sentiment esthétique permet, comme on l’a dit, de préparer à l’émergence et à l’installation du sentiment que l’on se sente comme chez soi au travail, voire que l’on s’y sente chez soi. Cette importante question engage le problème de la séparation vie publique/vie privée. La question de se sentir chez soi au travail, ou au travail chez soi, marque sans aucun doute un déplacement très important dans la conception contemporaine du travail et de son rapport avec le capitalisme.
Ce qu’il y a au fond de cette stratégie d’agencement des bureaux, c’est en effet de chercher à convaincre les gens que le travail est le lieux de l’accomplissement de soi, de la réalisation personnelle, et qu’il n’y a pas lieu de croire qu’ils sont différents au travail ou à l’extérieur, que la séparation vie publique/vie privée est chimérique, n’est pas réelle. Que c’est ici et maintenant, au travail, qu’on aura l’opportunité de s’accomplir, et non pas à l’extérieur ; que si l’on veut s’accomplir, ce sera donc en travaillant partout et toujours.
La profession, c’est certes gagner de l’argent. Mais elle peut aussi se comprendre indépendamment de la question pécuniaire, en termes de profession de foi, de Beruf comme chez Luther. Si vous considérez votre métier comme une vocation, plus besoin de vous forcer manu militari pour que vous alliez à la mine ; vous y allez de bon cœur, car c’est votre vie, c’est votre vocation, et sans cela, vous vous ennuieriez, puisque vous n’avez pas d’autre but. Vous travaillez toujours et partout, car c’est ainsi que vous devenez vous-même. Le rêve du capitalisme qui obtient ainsi le maximum des individus sans avoir à les forcer, et sans même parfois les payer beaucoup, puisque certains payeraient presque pour travailler à certains postes (jeu vidéo, design, etc.). Une grande économie dans le fonctionnement de ce capitalisme, et donc un rendement accru : le coût de la dépense effectuée pour mettre au travail se réduit, puisqu’il n’y en a presque plus besoin.
En ce sens, pour le dire avec Foucault, cet ethos participe plus d’une bio-politique que d’une anatomo-politique. On ne contraint plus les hommes dans leur corps pour les gouverner, on ne les pousse plus à travailler par la coercition. Mais on les attire et tire vers le travail, on les y aspire en leur montrant que leur propre intérêt converge avec celui de l’entreprise. Que là où est l’intérêt de l’entreprise, le leur y est aussi, et vice versa. En ce sens, pour le dire comme Lénine, le télétravail (et des choses comme l’auto-entreprise : soi-même comme une entreprise) pourrait bien être le stade suprême du capitalisme, avec lequel il n’est même plus question de se sentir chez soi au travail, mas au travail chez soi. Auto-entrepreneur : être soi-même une entreprise : c’est donc que jamais on en sortira.
C’est tout le problème de l’esprit du capitalisme (voir à ce propos Le nouvel esprit du capitalisme de Boltanski et Chiapello, où l’on montre que les nouvelles méthodes de management élaborées durant les années 90 ouvrent la porte à un nouvel esprit bien différent des précédents), où la profession n’est plus considérée comme aliénation (Marx) mais comme émancipation (Weber), esprit particulièrement développé aux États-Unis (mais qui s’exporte et se diffuse sur d’autres terres peu à peu), où qu’il y ait peu de jours de vacances n’émeut personne, et où l’on mange les croissants (fournis par l’entreprise) le matin au bureau car on vit presque sur ce lieu.
Dans cette perspective, on pourrait dire que la machine à café et la traditionnelle pause (syndicale ou pas), bien loin d’être le lieu de la planque, de la fainéantise et des tire-au-flanc, constitue au contraire une sorte de soupape de décompression ayant pour conséquence que les individus ne se sentent plus au travail oppressés avec pour seule idée celle dans sortir, mais au contraire qu’ils se sentent à l’aise comme chez eux, que l’on ne leur veut pas de mal et que leur bien. Pour le dire avec Barthes, la machine à café participe ainsi de la stratégie de la vaccine : admettre l’existence d’un petit mal (un peu de stress à 10H et à 16H), offrir un petit remède (allouer une pause détente), ceci afin de laisser persévérer un mal beaucoup plus grand qui dérangera moins grâce à ce subterfuge – et grâce à tous les autres.
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1 mars 2010 à 10:26 May[Citer] [Répondre]
Je suis éblouie par la justesse et la finesse de ton analyse. Je l’enregistre et relirai ce texte plus lentement.
Mon copain travaille dans un open-space alors je connais très bien (hélas !) cet atmosphère et cette non-frontière entre la vie privée et la vie pro.
On se dispute régulièrement ( encore hélas !) à ce sujet. Je lui avais fait lire d’ailleurs Weber et ce livre que tu analyses ( l’Open space m’a tuer ) après les avoir lu moi-même et afin d’essayer de lui faire comprendre mon malaise.
Puis non, je ne suis pas « juste » parano ! Oui, avant de le lui faire lire, je crois qu’il était plus ou moins persuadée que tout ce que j’avançais été pure invention chimérique de ma part : lire ce livre, et y retrouver exactement les mêmes faits et reproches que j’avais pu faire sur ses conditions de travail m’avait touché et m’avait permis de comprendre pas que je n’étais pas seulement « parano » ou possessive.
Il y a un malaise, un grand malaise qui ne cesse de nous mettre en conflit parce oui, le milieu du travail est alors vu comme un groupe d’ami, une nouvelle famille rassurant et qui ne cesse de prendre plus de place ( les horaires qui s’étirent, les appels pro à n’importe quel heure, les déplacements qui durent des semaines, le boulot le soir, le week-end ! ). A l’opposé, la famille, les amis, la copine qui ne comprend pas cette nouvelle distance et qui soulève le problème. Alors forcement se retrouver avec cette » bande de potes » qui se soutiennent, se comprennent, c’est rassurant !
Il y a eu plusieurs divorces dans la boite de mon copain, et la plupart pour ne pas dire tous les couples vivent des crises liés toujours à ce travail.
Je commence à écrire un pavé et je ne sais plus vraiment si je l’écris pour toi, ou pour moi… alors fin !
1 mars 2010 à 11:38 Gnouros[Citer] [Répondre]
Pas de problème pour les pavés : depuis 68, on se rend compte que c’est parfois nécessaire, surtout s’ils sont théoriques.
Par définition, un dispositif est ce qui ne se fait pas sentir et passe inaperçu : c’est pour cela que ça fonctionne. Ce qui explique pourquoi certains voient mal de quoi on essaie de parler lorsque l’on essaie de mettre à jour son fonctionnement et de montrer la violence (ou au moins contrainte) socio-politique qui y est implicitement, obscurément contenue.
Ça n’empêche pas qu’il y ait un réel problème néanmoins. Au point où j’en suis de ma réflexion, je pense que tout cela fait partie (car l’open space n’est que la partie émergée d’un iceberg possédant une forte cohérence) d’une stratégie globale dessinée par ce nouvel esprit du capitalisme consistant à se fonder sur l’esprit d’entreprise, l’initiative, l’inventivité, la créativité, la profession, la vocation pour tirer le maximum des individus sans que ceux-là le ressentent comme une exploitation ou une aliénation, mais au contraire comme un accomplissement. En somme, installer la servitude volontaire. Faire en sorte que les individus deviennent esclaves d’eux-mêmes, que la contrainte ne soit plus imposée de manière coercitive du dehors mais du dedans par les individus eux-mêmes.
Avec une telle évolution dans la vie professionnelle, la vie privée s’en retrouve évidemment redéfinie, avec ce que tu notes : divorces, dépressions, etc. Récemment, je lisais ceci sur jeuxvideo.com :
1 mars 2010 à 14:44 May[Citer] [Répondre]
🙂 Je me rends compte que j’ai écrit le commentaire de ce matin dans la précipitation et qu’il est rempli de fautes: honte à moi !
Soit, j’aime ton analyse et la partage totalement. Je déteste ces méthodes, cette hypocrisie constante, cette absence de règles écrites pour pousser le « passionné » à en faire toujours plus et surtout à le faire avec le sourire.
Je déteste ce coté: on est une bande d’ami, on doit se soutenir. Je déteste lorsque j’attends dire » ils ont de la chance de faire ce boulot, cela a l’air cool… « .
Je déteste beaucoup de choses en fait. 🙂
Enfin, c’est le coté hypocrite et de l’apparence que je ne supporte pas. C’est surement ce qui fonctionne le mieux mais je trouve ces nouvelles règles cruelles. Mon copain y croit (croyait ?!) à cette bande de potes, à ce travail fabuleux où l’on commence à l’heure qu’on veut ( mais pas trop tard quand même ! ) et où l’on finit quand on veut ( euh avant 19 heures, cela ferait trop tôt quand même ?! Les collègues ne finissent jamais avant alors bon… il faut faire pareil voire mieux ).
Cette hypocrisie constante à faire croire à l’employé qu’il est essentiel, qu’il est maitre de son travail et que le PDG est vraiment très gentil de lui laisser autant de liberté et de lui donner une telle confiance me parait inconcevable. C’est une manipulation effrayante.
Tu as aussi cette chance de travailler dans un open-space ? ( et lorsque tu me parles de me reconvertir, c’est pour que je finisse folle dans un open-space ? Plus sérieusement, tu avais une idée dans quoi une « littéraire » peut prétendre se reconvertir ? )
1 mars 2010 à 19:12 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
A vrai dire, j’ai moi aussi peut-être dit certaines choses par précipitation sur ton billet 🙂
Ce que je voulais dire avant tout, c’est que la société et les entreprises françaises restent relativement très fermées à l’égard des étudiants qui n’ont pas fait l’erreur de faire des études où la seule intelligence qui y est développée n’est qu’une intelligence technique.
Je dis « françaises » car il parait que dans d’autres pays (Angleterre, Etats-Unis, etc.), un étudiant sortant d’un cursus d’histoire, de philosophie ou de lettre parvient à trouver parfaitement un travail dans des entreprises privées – ce qui reste cependant à confirmer, surtout dans la conjoncture actuelle.
C’est pourquoi, il me semble que dans une telle configuration une double compétence peut être très intéressante, qui saurait mêler une intelligence technique et une intelligence disons, faute de mieux, générale. Tu parles de faire un Master pro de rédaction web – peut-être est-ce une opportunité intéressante ? Quoique je parle sans en connaître le contenu précis.
Je sais qu’il y a quelques temps, on m’avait parlé de l’Opération Phénix, qui cherchait justement à sortir les étudiants de sciences humaines de leur désespoir : http://www.operationphenix.fr
PS : Et oui, j’ai la chance d’être dans une sorte d’open space.
2 mars 2010 à 13:46 luccio[Citer] [Répondre]
non, « d’être une sorte d’open space ».
5 mars 2010 à 11:55 Ovide[Citer] [Répondre]
Très bon article. J’apprécie la finesse de l’analyse.
Toutefois je m’interroge. Cette surveillance de « tout le monde » par « tout le monde » semble être associée à notre époque. Mais le fait d’être surveillé par ses voisins est vieux comme le monde.
Même le fait de travailler en communauté et le fait d’être surveillé par les autres me rappelle le système moyennageux des « compagnons ». Certes, historiquement, il y a une autorité hiérarchique qui surveille les autres mais la surveillance « horizontale » était déjà possible.
Il serait intéressant dans le cadre de la question de la « liberté » de trouver comment échapper à la contrainte. L’autoentrepreneur devient l’entreprise mais il n’est plus soumis à contrainte hiérarchique ou à une surveillance horizontale. Il « intériorise » la discipline. Mais je pense qu’un hégélien serait favorable à cette attitude au sens où on se réalise dans osn travail (si on a pleinement choisi son travail et l’orientation qu’on lui donne).
5 mars 2010 à 17:48 Gnouros[Citer] [Répondre]
Il se peut parfaitement que certaines techniques de surveillance, de disciplinarisation, de gouvernement paraissant absolument contemporaines soient en fait séculaires.
Foucault le remarquait quant à la société disciplinaire qu’il décrivait dans Surveiller et Punir. Par exemple, les emplois du temps hyper-méticuleux scandant les journées jusque dans leurs moindres détails n’ont pas attendu le XIXe siècle et le panoptisme, mais existaient déjà au Moyen Âge lorsqu’il s’agissait pour certains ordres cléricaux de spécifier très précisément ce qu’un moine devait faire au cours de sa journée.
Ce qui est pertinent, dans le cas de Foucault comme dans celui qui nous occupe, c’est moins que certaines techniques aient pu exister avant, mais davantage la coagulation et l’articulation de tous ces éléments disparates entre eux, qui finit par leur donner une cohérence stratégique, et qui forme ce que Foucault appelait un dispositif. La nouveauté réside peut-être moins dans ces techniques elles-mêmes que dans leur inscription dans un tout.
Dans le cas de l’open space, plus que le fait que des relations de pouvoir puissent investir ou résulter sournoisement d’un certain agencement architectural, plus que le fait que celles-ci soient désormais en effet plus horizontales que verticales, l’important est qu’elles entrent en jeu conjointement à d’autres techniques, comme par exemple ces nouvelles méthodes de management incitant les individus à travailler non plus par la coercition ou par la crainte, mais par des procédés plus doux, sûrement plus efficaces, probablement plus sournois.
Prendre ce point de vue conduit nécessairement à remettre en cause l’idée hégélienne (ou même marxiste, puisque Marx cherchait en définitive avant tout à permettre un travail qui soit désaliéné) de réalisation par le travail. Dans ce cadre-là, une telle conception, indépendamment de la question de savoir si elle est légitime ou pas, est avant tout comprise comme une technique, une tactique participant à la stratégie d’envoyer chacun à la mine sans qu’il s’en plaigne.
Ou plutôt que de nier la pertinence d’une telle conception, cela conduit, par méthodologie, à ne la considérer que du point de vue de ses effets socio-politiques. Que permet une telle conception du travail, quand bien même elle serait très vraie – ou très fausse ? Très probablement à maximiser la productivité, et c’est pourquoi une société productiviste aura tout intérêt à essayer de l’installer – ou même, qu’une telle conception s’installera probablement plus facilement dans une telle société : il se peut qu’il y ait une relation de va-et-vient, où les présupposés de la société permettent l’émergence d’une certaine conception qui vient elle-même renforcer ces présupposés.
Ainsi, il se peut peut-être que, d’un côté, le travail libère vraiment, que certains travailleurs se sentent parfaitement libres et que peut-être ils le soient effectivement, mais que d’un autre côté, que la société en profite, qu’elle ait intérêt à ce qu’un maximum de personnes se sentent libres quand elles travaillent, qu’elle mette en œuvre tout ce qu’il lui est possible pour que chacun se sente tel.
Ce serait alors un effet très semblable à ce qu’observait Adam Smith : alors que chacun poursuit son intérêt le plus égoïste, il concourait au même moment, paradoxalement, à l’intérêt général, au bien commun – et que donc ce n’est pas si égoïste que ça.
16 mars 2010 à
[…] participeraient à ces tactiques permettant de mettre les individus au travail. Voir par ailleurs : L’open space et le panoptique, le pouvoir et le travail, « Just do It! » Comment Nike a changé ma vie, Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Le […]
15 janvier 2011 à
[…] réformant les anciennes disciplines pour les adapter à de nouveaux enjeux : l’open space. Souvent comparé au panoptique, l’open space agence également l’espace de sorte que les…. Cependant, il apporte une nouveauté radicale en ce que les surveillés peuvent désormais, […]
8 octobre 2014 à 15:53 VD[Citer] [Répondre]
Cet article me fait penser au livre de Frédéric Lordon (économiste/sociologue spinoziste) Capitalisme, désir et servitude, où il montre que le nouveau projet du capitalisme est de réduire l’écart entre le désir-maître du producteur et le désir enrôlé du salarié (il appelle cet écart « angle alpha ») : http://www.dailymotion.com/video/xm1hum_frederic-lordon-capitalisme-desir-et-servitude-marx-et-spinoza-part-1_webcam
8 octobre 2014 à 15:54 Gnouros[Citer] [Répondre]
Effectivement, il y aurait des liens à faire.
22 avril 2016 à
[…] ne sont pas des dispositifs panoptiques à proprement parlé, Oscar Gnouros décrit justement dans son blog que l’open space est un espace de contrôle et non un espace disciplinaire au sens où […]
15 mai 2018 à
[…] auquel on peut possiblement retrouver, au prisme du web, à la fois les caractéristiques des concepts de l’open space et du panoptique. Le premier, dont traitent Alexandre des Isnards et Thomas Zuber pour dénoncer les nouvelles […]
15 mai 2018 à
[…] auquel on peut possiblement retrouver, au prisme du web, à la fois les caractéristiques des concepts de l’open space et du panoptique. Le premier, dont traitent Alexandre des Isnards et Thomas Zuber pour dénoncer les nouvelles […]