Je suis amoureux de la tolérance. Tiens, je pourrais vous offrir la finesse de ce petit mot de Voltaire :

« Nous sommes tous pétris d’erreurs et de faiblesses. Pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c’est la première loi de la nature. »

Dictionnaire philosophique.
La première fois, je l’ai vraiment lu chez Comte-Sponville.

C’est émouvant, face au sublime des LOIS DE LA NATURE, face à ces règles et maximes que doit suivre toute raison humaine, face à Dieu, aux Droits de l’homme ou à l’injonction de ne pas faire trop de bruit en pétant, Voltaire fait simple : pardonnons-nous mutuellement nos sottises. Tout en luttant contre la sottise ?

C’est ainsi que je suis amoureux de la tolérance, mais je regimbe. Je maugrée, je me dis que les prétendus tolérants nous empêchent de parler, qu’ils créent de la violence, qu’ils… bref, je scrogneugeue et j’ai raison. Une dose de civilité est très nécessaire, mais râler est vital ; laissons-nous râler, moquer et rire. Ce serait une bonne chose.

A force de regimber [1], je me suis pacifié. [2] Les bobos de mes amis m’ont même réconcilié avec les bobos (ou tout comme). Ces drôles d’oiseaux sont si heureux de nager dans le politiquement correct [3] qu’ils y puisent leur équilibre et leurs névroses. Après tout, pourquoi pas. Il faut bien trouver ses névroses quelque part. [4]

Je me suis même réconcilié avec le politiquement correct (un peu). C’est une civilité sans aucun style, une barbarie bureaucratique ; mais n’est-ce pas le ton de l’époque ? Le temps est à l’anti-gouaille et les insultes dépassent rarement trois syllabes. Si le mot peut tuer la chose, et certains mots tuer le langage, le langage seul ne tue pas le langage. Aussi je maugrée, je regimbe, je me méfie des écritures inclusives d’allure administrative… et un peu de moi. (Pour info, sur la photo à côté, c’est un buste de Socrate)

« Vivre et laisser vivre »

Ma très sainte mère (et d’autres).

Je suis amoureux de la tolérance et la vois reculer. Maintenant qu’on ne peut rien, on croit que la parole peut tout (je dramatise). On exige du monde qu’il obéisse à nos idées, et des autres qu’ils s’y plient. Les damnées de la terre balancent des porcs, les plus heureuses s’y refusent ; tout le monde est d’accord, sauf aux marges. Mais c’est aux marges que l’excité juge ses camarades, et les condamne. Les tolérants, eux, laissent vivre et se taisent. Ils parlent d’autre chose, du cinéma, des oiseaux, des amis… parfois d’amour.

Certains ne se pardonnent pas leurs sottises, ne présument plus de leurs faiblesses ; nous les regardons, nous prenons parti, n’osons plus parler qu’à travers leur radicalité. Difficile de penser publiquement sans employer un nom propre à buzzer. Le bavardage devient l’autorité. Et bien moi, je suis d’accord, avec tout le monde, avec toutes, moins les excès. Et pour aujourd’hui, je quitte le ring.

 

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[1] Ce qui est une bonne chose.

[2] Ce qui est une bonne chose aussi.

[3] Rigolez pas, selon Platon, les oiseaux nagent bien dans l’air.

[4] Depuis peu, je crois que chacun est ou bien névrosé, ou bien psychotique. Ou bien on n’arrive pas à se mettre à la hauteur de ses idéaux, ou bien on défend haut et fort des idéaux tout en les ignorant dans la plupart de ses actions. Le névrosé s’en veut, le psychotique en veut aux autres. La névrose témoigne donc d’un haut niveau d’humanité ; dans ma bouche, sous ma plume, c’est un compliment.