Variations sur la reductio ad hitlerum en mode philosophique mineur : une cacophonie sur le genre de Michel Onfray
Sur son site officiel, Michel Onfray fait paraître chaque mois une chronique. Celle de ce mois de mars 2014 s’intitule « Mauvais genre ». Michel y « découvre avec stupéfaction les racines très concrètes de la fumeuse théorie du genre popularisée dans les années 90 aux Etats-Unis par la philosophe Judith Butler qui ne cache pas l’inscription de sa pensée dans la lignée déconstructiviste de Foucault, Deleuze-Guattari et Derrida ».
Merveilleux raccourci :
Théorie du genre → Judith Butler → French Theory (Foucault/Deleuze/Guattari/Derrida) → À proscrire.
Philosophiquement parlant, Michel Onfray est ici un grand innovateur. Plutôt que de se contenter de réactualiser la fameuse reductio ad hitlerum, et d’empocher au passage quelques points Godwin, Michel en propose des variations :
- reductio ad foucaldum : la théorie du genre vient de Foucault, qui a applaudi à la Révolution iranienne.
- reductio ad deleuzum : elle provient même de Deleuze, qui était complaisant avec le terrorisme d’extrême gauche.
- reductio ad derridum : pis, elle provient de Derrida, apologue de l’hitlérien Heidegger.
À l’évidence, il y a donc dans la théorie du genre une convergence des trois totalitarismes. Les couleurs du drapeau arc-en-ciel LGBT ne dérivent en fait que du vert de l’islamisme, du rouge du communisme, du brun du fascisme.
On me reprochera de surinterpréter cette petite phrase d’accroche de Michel Onfray, tout comme on pourrait m’accuser de faire une fixation sur sa personne ces derniers temps. Mais en fait, le meilleur de son texte est à venir.
Suivent en effet cinq paragraphes (sur les sept que compte l’article) sur le fameux cas de John Money, médecin et sexologue ayant introduit et popularisé le concept de genre, et qui décida d’expérimenter ses théories sur un de ses jeunes patients, Bruce Reimer. Suite à une opération de circoncision ratée à la naissance, il fut décidé pour ce garçon une ablation totale du pénis. Afin d’éviter que Bruce se sente diminué dans sa condition d’homme, John Money suggère alors à ses parents de l’élever comme une fille, en ajoutant à cela un traitement aux hormones, afin de le faire devenir femme. Bruce devient alors Brenda. Mais les choses ne fonctionnent pas comme prévu. Brenda refuse une vaginoplastie, et décide de redevenir homme, prenant à cette fin des hormones masculines. Bruce, qui était alors Brenda, devient désormais David. Malheureusement, David éprouvait encore un grand mal de vivre, et il mit fin à ces jours. Preuve empirique et décisive, par l’absurde, que toucher aux représentations de genre peut s’avérer dangereux. CQFD.
« De la même façon que le réel a montré les erreurs de Marx & de Lénine, de Freud & de Lacan, mais qu’il y a toujours des marxistes & des freudiens, le réel a montré en 2002 que la théorie du genre était une fiction dangereuse, mais quantité de gens souscrivent à cette nouvelle déraison – dont Najat Valaud-Belkacem. Un jour viendra où l’on fera le compte des ravages effectués par cette sidérante idéologie post-moderne. Quand ? Et après quels considérables dommages ? »
Nouvelle variation, donc, sur la reductio ad hitlerum, la reductio ad moneyum :
- Najat Valaud-Belkacem → Théorie du genre → John Money → Suicide de Bruce/Brenda/David Reimer.
De la politique égalitariste en matière de genre prônée par la Ministre, au suicide en masse de malheureux enfants que l’on aura forcé à ne pas être ce que la nature avait décidé qu’ils soient, il n’y a qu’un pas − qui est fait, la rhétorique ne doit pas nous abuser, non pas par Najat Valaud-Belkacem, mais par Michel Onfray.
La rhétorique et l’argumentation de Michel Onfray est en tout point semblable à celle qui est déployée par la droite conservatrice actuellement. Que l’on en juge, par exemple, par cet article du 6 février 2014 de l’admirable magazine Valeurs Actuelles, « John Money, l’apprenti sorcier du « gender » » − la journaliste auteure de cet article pourrait à bon droit accuser Michel Onfray de plagiat.
Est-il encore besoin de démonter ces sophismes ? On se reportera avec utilité à cet article de Rue69, « Le « savant fou » John Money, monstre utile des opposants au genre », ou bien encore au lumineux blog Chronik d’un nègre inverti et à son article « Réponse au Figaro et au Point sur la supposée « expérimentation » de la « théorie du genre » ».
Ce que montre, ou démontre le cas John Money, n’est pas que la destinée des individus est déterminée par la nature et leur être biologique : parce que Bruce était né homme, il aurait dû le rester, avec ou sans zizi. Ce qu’il montre, c’est bien au contraire en quoi cette destinée est déterminée par le social : une troupe composée de médecins et de parents s’arrogeant le droit de spécifier l’identité sexuelle et de genre d’un individu, au point de le tourmenter jusqu’au suicide. Le « bon sens » − puisque c’est à lui que l’on nous somme sans cesse de revenir − aurait davantage été de laisser le petit Bruce se construire lui-même en toute autonomie, sans lui imposer une quelconque identité que ce soit, de la même façon qu’il ne faudrait en imposer à personne, même pas à ceux ayant la chance de naître avec des organes reproducteurs jugés normaux par l’armada médicale.
Bon sens qui ne semble pas être la chose le mieux partagée du monde, en tout cas pas par Michel Onfray sur ce coup, qui souscrirait, c’est certain, en tout point à cette superbe intervention de l’inimitable Nadine Morano :
Michel Onfray ? Nadine Morano, en plus précis. Et que l’on ne m’accuse pas de faire dans la reductio ad moranum.
3 mars 2014 à 20:00 Luccio[Citer] [Répondre]
Y’a quand même des réductions ma foi assez fondées ; je pense qu’on pourrait tester des reductio ad porte-parole du gouvernementum.
5 mars 2014 à 11:33 Luccio[Citer] [Répondre]
J’ai eu une réflexion en me levant ce matin.
Cette histoire de changement de sexe, il y a quelques années, on l’aurait classé dans les « délires prométhéens » de la technique : quelques hormones, et hop : fille ou garçon. Bizarre que tu ne l’évoques pas, et peut-être n’est-ce pas par hasard.
Face à la technique, qui, on va finir par le savoir, n’est « ni bonne, ni mauvaise, ni neutre », deux réactions au moins sont possibles. Deux formes de discours critique. Le premier consiste dans le refus, le second dans l’accompagnement raisonné.
Du premier semblent relever les anti-genres, qui voient dans la théorie du genre (euh pardon… dans les recherches utilisant le concept de genre) un avatar de la technique, et de l’élevage hors-sol de l’être humain. Il accuseront le genristes d’être des dualistes, qui distinguent le corps et l’âme sans aucun soucis ; même si l’âme n’est plus une entité métaphysique mais une identité sociale. Et rien d’étonnant pour eux à voir John Money, Faust de contre-bande, s’armer de la théorie du genre. On y reconnaît les catholiques modérés ou les Michel Onfray ; et même des Jean-Jacques Rousseau (Emile V).
Du second semble relever Oscar Gnouros, pro-genre mais pas pro-technique (du moins suis-je prêt à le parier). Ces derniers voient bien que la technique n’est pas bonne en soi ; et qu’en fait tout régime de discours n’est pas bon en soi ; qu’il faut réfléchir sur tout ça. Et si John Money fut prométhéen, on ne peut l’en accuser, il y a des prométhéen partout ; en revanche ce fut un con, et les gender studies peuvent servir à calmer la connerie.
On reconnaît ici le contraste Heideigger-Foucault. Foucault critiquant les discours sans les refuser, mais en espérant susciter des réactions; Heidegger critiquant la technique en proposant d’aller contempler des peintures de Van Gogh dans sa cabanes au fond de la forêt noir.
Et sans doute y a-t-il un 3ème camp, que les 1er ne font que voir, et que les 2nd oublient : celui des pro-genre technophiles (les anti-genres cons, permettez-moi de ne pas les évoquer). Peut-être n’écrivent-ils pas des livres, d’ailleurs il y a fort à parier qu’ils ne lisent pas les études de genre. Mais nul doute qu’ils se chargent de nous construire le meilleur des mondes.
M’enfin, peut-être fais-je partie des vieux dinosaures remplis de doctrines dépassées. Bien le bonsoir, ou plutôt bien le bonjour.
5 mars 2014 à 14:18 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Moi, c’était une érection.
Réduire la question du genre à la problématique du changement biologique de sexe est ce que font Michel Onfray ou Nadine Morano. Mais le problème est beaucoup plus simple : montrer en quoi les identités de genre sont socialement construites.
Pour le reste, je ne suis pas persuadé du rapprochement entre technique et genre. J’ignore où se trouve la technique ici. Peut-être au sens large, en tant que techniques sociales produisant des identités fixes ? Mais alors, nous sommes déjà dans la technique, car c’est un état de fait qu’il y a des identités de genre construites socialement. Réfléchir à partir du genre consisterait alors à paradoxalement sortir de cet arraisonnement du sexe naturel par la technique sociale.
5 mars 2014 à 18:58 Luccio[Citer] [Répondre]
Réduire cette histoire de changement de sexe à une histoire de genre, c’est ce que font Michel Onfray, Nadine Morano ou Oscar Gnouros.
La technique est dans le monsieur qui veut faire un enfant comme il veut en jouant avec des hormones, puis plus tard avec les parents qui commanderont un enfant aux yeux bleus qui sera porté par la porteuse puis nourri par la nourrice. La technique elle est du côté des métiers chiants qu’on fera une fois qu’on sera collé derrière des ordinateurs dont la mise en réseau sera une nouvelle chaîne de production. La technique elle est partout, et elle se cherche des alibis idéologiques.
Il me semble que le genre peut en être un, et de qualité. Pour un autre rôle possible, et son rapport avec les autres régimes du discours, cf ci-dessus (PS : j’ai bien compris ta dernière remarque, elle est fine, mais ne fait que confirmer de que je disais tantôt).
20 mars 2014 à 22:22 Clémence[Citer] [Répondre]
MERCI !
(C’est mon érection à moi et érection du soir, espoir. Enfin bref …)
Ton article est pertinent, bien écrit, plein de schémas (ce qui, en soi, est merveilleux) et finement révélateur du n’importe quoi que pond minute après minute Michel Onfray. Ex falso quodlibet, dirait l’autre ! Et il aurait bien raison.
22 mars 2014 à 13:56 Gnouros[Citer] [Répondre]
Merci pour ce merci dionysiaque. Platon avait raison : la vérité est érotique.
2 avril 2014 à 10:50 Irena Adler[Citer] [Répondre]
… Juste un truc.
L’histoire du petit Bruce/Brenda/David… Elle ne vous indigne pas ? – Vous savez, comme disait monsieur Aisselles, dans la vie ce qui compte avant tout, c’est de s’indigner.
Non ? ^^
La justesse scolaire du raisonnement philosophique est une chose, le réflexe de bon sens qui consiste à dire : « C’est révoltant » en est une autre.
Nardine est peut-être con comme une bourriche d’huîtres, mais enfin elle a une réaction qu’on peut qualifier d’humaine à ce monstrueux fait-divers.
La Morano, c’est ma crémière qui s’écrie : « Ah les salauds ! Ah les monstres ! C’est eux qui auraient mérité qu’on les charcute puis qu’on les suicide ! »
C’est monsieur l’instituteur qui fait de l’humour noir :
« Ce docteur Maboule me rappelle les élève qui, ayant fait une erreur sur une copie, au lieu de simplement barrer l’erreur à la règle et réécrire à côté, de peur que je ne la voie, commencent par la couvrir de « blanco », puis s’acharnent à réécrire par dessus. Ils finissent par faire un trou dans leur copie, parfois s’essaient à fabriquer une rustine, puis se voient contraints de me redemander une nouvelle feuille imprimée et de tout recommencer à zéro. »
***
Onfray a peut-être le culot d’utiliser des arguments godwinesques-faciles-de-gôche pour décrédibiliser les Judith Butler, les Foucault, les Deleuze, les Guattari, les Derrida… Mais enfin qui ces auteurs intéressent-ils aujourd’hui sinon essentiellement des faciles-de-gôche ayant eux-même une propension marquée à godwiner ?
Comme le disait autrefois un militaire pied-noir de mes amis : « Comme on se poste, on tire ». Onfray est un homme de bon sens qui a établi son QG de campagne dans l’enceinte-même du « camp-du-bien » – et non pas, comme les réacs, en-dehors de ses murs. C’est leurs propres armes qu’il utilise contre les gauchistes lorsqu’ils ont la tentation de se comporter en tyrans – eux les supposés ennemis de toute tyrannie.
Sa démarche est intéressante car la culture de gauche – quoi qu’on fasse mine d’en penser dans la réacoboule – est suffisamment sérieuse et généreuse pour qu’on puisse aisément décrédibiliser ses représentants actuels rien qu’en retournant contre eux leurs propres méthodes viciées et leurs propres références culturelles qui les dépassent.
Celui qui à gauche voudra critiquer Onfray, devra réapprendre à /penser droit/ – c’est-à-dire qu’il sera amené de par le fait à balayer devant sa porte.
Lorsqu’un Onfray tire, il fait bien plus de dégâts dans les rangs des gauchistes que ne le ferait un droitard, car les gauchistes n’écoutent pas les droitards : ils ne discutent pas avec ceux qui ne possèdent pas le bon uniforme.
***
L’homme le plus intelligent du monde est le plus souvent incapable de s’adresser aux cons. Pourtant n’est-ce pas le but et le désir secret de tout intelligence qui se respecte : vaincre en la bêtise son ennemie suprême, réformer ceux qui pensent de travers, rédimer ceux qui pèchent par paresse intellectuelle ? Onfray n’est pas l’homme le plus intelligent du monde, ni encore moins Madame Morano, néanmoins ils ont le mérite de parler à certaines franges de la population que n’atteignent pas vos discours à vous, ni les miens : ils ont le mérite de retourner la bien-pensance moutonnière contre elle-même. Et accessoirement de donner quelques clefs rhétoriques de base au bon-sens populaire contre la démesure déviante, arrogante et mortifère des élites… – Grâce à eux Robert « le gros beauf » et Claudine « la soumise » disposent enfin d’une petite batterie de « philosophic tricks » utiles et d’effets de manche efficaces&pas cher pour river le clou à Jean-Paul Le Paon « monsieur j’ai répaonse-à-tout », ex-soixante huitard militant PS, lors des dîners en famille.
De même, l’homme le plus intelligent du monde est souvent celui qui oublie de faire valoir les arguments en sa faveur qui sont les plus simples et les plus évidents : il ne les juge pas dignes de ses lumières et c’est un grand péché d’orgueil intellectuel qu’il commet-là.
Car l’argument numéro un contre la /théorie du genre/ – le plus fort, le plus valable – reste bel et bien le caractère vicié des fruits qu’elle donne, inhumain et transgressif des méthodes qu’elle emploie, irrespectueux envers le sacré de l’enfance et les grâce de Mère Nature de ses plus fervents défenseurs. [Le cas du petit Bruce/Brenda/David n’est pas un cas unique, hélas.]
Le caractère inhumain de cette « théorie » reprise à son compte par des gouines new-yorkaises dégénérées et criminelles et des couples homos adeptes de la pédophilie (Cf : au moins deux horribles actualités récentes qui ont quelque peu été passées sous le boisseau par la journalistique de notre cher pays), saute au yeux du premier idiot venu. Or n’oubliez jamais : « Heureux les simples d’esprit, le royaume des cieux leur appartient ».
5 avril 2014 à 17:34 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Merci pour ce commentaire complet. Je vais tenter de répondre de manière exhaustive, ou presque.
Bien sûr. Et votre comparaison avec l’élève qui finit par trouer sa feuille à force de rature me paraît bien dire les choses. Ce n’est pas ce qui est ici en question. On devrait s’indigner toutes les fois qu’il y a une normalisation imposée à quelqu’un, contre son gré. Que celle-ci soit une normalisation biologique (changer contre son gré les organes sexuelles de quelqu’un afin de le mettre en accord avec son supposé genre) ou une normalisation sociale (forcer contre leur gré des individus à entrer dans la case du rôle d’homme ou de femme au titre qu’ils possèdent un pénis ou un utérus).
Je pense que c’est un peu rapide de disqualifier toute la French Theory ainsi. Celle-ci possède une réelle actualité outre-Atlantique, et même en France, où ces penseurs font enfin leur retour après avoir été évincés du débat par le conservatisme des élites philosophiques qui en prohibait la lecture (cf. Luc Ferry et Alain Renault et leurs diatribes contre la « pensée 68 », mais surtout l’analyse de ce courant réactionnaire par François Cusset).
J’ignore à quoi vous faites allusion lorsque vous dites que la gauche en appelle toujours au « bon sens ». Au municipales, il me semble que les seuls tractes y appelant sans cesse furent ceux du Front national. Mais soyons charitables : il est vrai que la rhétorique du bon sens est, justement comme dirait Descartes à propos du bon sens, la chose la mieux partagée du monde. Je veux bien croire que la gauche y appelle aussi.
Mais en quoi Onfray serait-il de gauche ? Cette même chronique de Onfray ici mentionnée fut publiée dans l’hebdomadaire Le Point, peu suspect d’allégeance au Front de gauche ou au PS. Ce journal est en effet devenu un tract de propagande de centre-droit (ce qui n’est pas une critique, juste un constat), en témoigne la partie « Le postillon » qui fait œuvre de pamphlet philosophique pro-libéral (tendance de droite plutôt que de gauche), et où le texte de Onfray était publié. Il me semble qu’on assiste ces temps-ci à un kehre dans la pensée onfrayenne, qui est en train de le faire passer d’une appartenance politique à une autre. Le Monsieur ce prétendait déjà capitaliste libertaire (ce qui n’est pas, notons-le, très de gauche), il prend actuellement le chemin de l’anarcho-capitalisme, de la pensée libertarienne.
Rhétorique : le mot que vous avez utilisé est on ne peut mieux choisi. Si l’on s’en tient à cette question du genre et pour reprendre un distinction bien lycéenne, Onfray est moins du côté du convaincre, de l’objectivité, de l’argumentation, de la philosophie, que du côté de la persuasion, du la subjectivité, de la séduction, de la sophistique. Prétendre « rendre la raison populaire », ainsi que c’est le vœu d’Onfray, et la rendre populaire de cette façon-là, c’est faire prendre la rhétorique pour de la philosophie.
Il faudra m’expliquer un jour ce que vous, et les autres, entendez par « théorie du genre ». Par genre, de mon côté, je ne vois qu’une chose assez simple :
– Sexe : le biologique : des mâles et des femelles, des zizis et des clitoris. (Et encore, il faudrait montrer qu’il n’y a peut-être là qu’une différence de degré et non de nature.)
– Genre : le social : des hommes et des femmes, des constructions culturelles assignant des rôles et des représentations arbitraires en se fondant sur les différences biologiques de sexe.
Les études de genre ne font que déconstruire ces assignations, en en montrant les mécanismes, les causes, les conséquences, et surtout les inconséquences. Il n’est encore question ici nullement de bistouri.
Je vois mal comment disqualifier ce constat. Les opposants parlent alors de « théorie du genre » comme les créationnistes parlent de « théorie de l’évolution ». Parce que les conséquences de Darwin leur déplaisent, parce que les observations de la sociologie les chahutent, on prétend les disqualifier en les requalifiant en théorie : mais il n’y a pourtant là que des faits.
Comme le disait l’autre, nous sommes tous des queers allemands.
19 avril 2014 à 1:16 Beboper[Citer] [Répondre]
Tiens, j’ai envie d’intervenir. Sur un détail, qui n’en est pas un, comme tout détail qui se respecte.
Je cite : « Sexe : le biologique : des mâles et des femelles, des zizis et des clitoris. (Et encore, il faudrait montrer qu’il n’y a peut-être là qu’une différence de degré et non de nature.) »
Que l’on suggère que la diff entre zizis et foufounes n’est « peut-être » qu’une différence de degré, c’est d’une audace bien sentie. En effet, la production de spermatozoïdes et celle d’ovule ne vous semblent-t-elles pas fondamentalement différentes, par NATURE ? En quoi les spermatozoïdes seraient-ils un degré d’ovules, ou l’inverse ?
Quant au fond de la croyance de genre (c’est mieux que Théorie, non?), elle s’appuie sur une vision performative du langage : je dis que je suis un homme, donc je suis un homme (même si j’ai des nichons comme ça et une paire de guibolles d’un mètre vingt). Nouveau visage de l’hubris de l’homme moderne, qui prétend avoir tellement tout compris de lui-même qu’il ne se considère plus que comme une sorte de Lego, un truc fabriqué « arbitrairement », qu’on peut démonter, segmenter et remettre dans le bon ordre.
Dans le bon commentaire de Irena Adler, il est fait allusion à l’homme intelligent, qui aurait beaucoup de mal à parler aux autres, bien qu’il en ait le désir au plus haut point. Je ne suis pas d’accord : l’homme réellement intelligent est celui qui fait sien l’aphorisme de Flaubert : « Fataliste comme un Turc, je crois que tout ce que nous pouvons faire pour le progrès de l’humanité, ou rien, c’est exactement la même chose ».
22 avril 2014 à 10:15 Gnouros[Citer] [Répondre]
Fourbe que je suis, j’ai intentionnellement radicalisé la thèse, attendant que quelqu’un relève l’hyberbole. En fait, j’avais surtout ici à l’idée tous les cas d’intersexualité : http://fr.wikipedia.org/wiki/Intersexuation. L’affaire Caster Semenya est là pour nous rappeler que la question d’un critère de distinction indubitable entre mâles et femelles n’est pas si simple, par-delà ovules et spermatozoïdes, zizis et clitoris.
Avant d’évoquer le fait que des individus construiraient leur identité de genre de façon toute postmoderne, les « études de genre » cherchent d’abord à montrer comment la société construit ces identités et les assigne aux individus sur la base d’une différence biologique. Avant de justifier le : « je dis que je suis un homme, donc je suis un homme (même si j’ai des nichons comme ça et une paire de guibolles d’un mètre vingt) », les études de genre remettent en cause le : « parce que vous avez des nichons comme ça et une paire de guibolles d’un mètre vingt, vous êtes une femme, et vous devez alors vous comporter socialement comme telle : être passive, chercher à plaire, faire des études de secrétariat, porter des jupes et ne pas jouer au foot ».
22 avril 2014 à 19:19 Beboper[Citer] [Répondre]
Moui… Si les croyances de genre amènent les femmes à jouer au foot, avouez que ça plaide carrément contre elles ! Je veux bien être à la pointe de la modernité, mais si c’est pour augmenter les foules des soirs de match, j’invoque le retour de la barbarie, la fin de la civilisation et le patriarcat gravé dans le marbre !
Quant aux cas rarissimes de personnes mâles/femelles ou l’inverse, c’est quand même tiré par la jupe, non? En quoi l’existence d’hermaphrodites invalide-t-elle la superbe paire de burnes qui orne nos slips, messieurs ? En quoi les athlètes femelles aux mâchoires et aux épaules de mâles font-elles de Sophia Loren autre chose qu’une quintessence de femme ? Ne tombons pas dans le paradoxe qui consisterait à soutenir que puisque la frontière entre homme et femme est parfois floue, sur quelques individus, il n’y a plus ni hommes, ni femmes. Si je dis ça à ma mère, qui n’a pourtant pas fait d’étude de genre, je prends une gifle direct! Est-ce qu’on n’est pas en train de nous piquer notre bien le plus précieux qui n’est ni notre bite, ni notre pouvoir, mais notre bon sens ?
Comme aurait dit Tonton Joseph : hermaphrodites? Combien de divisions ?
Le problème de votre dernière assertion, c’est qu’elle fait croire que pour « libérer » les femmes et leur permettre toutes les attitudes dans la vie, il faudrait en passer par la remise en cause du sexe comme élément naturel servant de base aux rapports culturels en société. Or, chez nous, les femmes sont DEJA libres ! On est là, on discute, on accepte les axiomes de l’adversaire sans voir qu’ils sont totalement dépassés. Pourquoi ne pas demander la fin de la peine de mort, le droit à la contraception et la fin de l’esclavage, tant qu’on y est ? Pourquoi ne pas réclamer la fin de la monarchie et de l’Inquisition ? Et le droit de vote ! On a l’impression d’être dans le Désert des Tartares : on se bat contre des dangers qui n’existent pas, qui sont DEJA derrière nous, et pas qu’un peu.
Non, tout ceci n’est et ne peut être qu’un prétexte, un prétexte de guerre pour autre chose. Il ne peut pas exister un être raisonnable en France qui N’AIT PAS remarqué que les femmes ont déjà TOUS les droits « des hommes ». J’attends d’ailleurs qu’on me contredise sur ce point…
Évidemment, les situations moyennes sont différentes, les femmes sont en moyenne moins présentes dans les conseils d’administration des grosses boîtes (tu parles d’un critère pour juger de l’émancipation !!!), mais enfin, elles viennent juste d’entrer dans la course. Il serait particulièrement ANORMAL, STUPEFIANT, EXHORBITANT qu’elles fussent aux commandes d’un pays entier alors qu’elles torchaient le cul des gosses il y a deux générations à peine. C’est cela, la vraie logique. Paris ne s’est pas fait en un jour, tout bêtement. De la même façon, il n’est absolument pas étonnant que des enfants d’immigrés venus ici pour vider des poubelles et manier la bétonnière ne se retrouvent pas en masse sur les bancs de l’Assemblée nationale. On ne constitue pas une élite sur un claquement de doigts, un peu de patience.
23 avril 2014 à 16:23 Gnouros[Citer] [Répondre]
L’exemple du football n’était justement qu’un exemple. On aurait aussi pu parler des Billy Elliot poussés par les fabricants de virilité vers les rings de boxe, alors qu’ils préféreraient faire de la danse. Par ailleurs, le soccer est un sport de filles en Amérique du Nord. Le dégoût que le football semble vous inspirer tient peut-être justement à ce qu’il est ici en Europe socialement marqué, constituant l’une des plus fières citadelles de la bête masculinité triomphante, qui se ferme à cette fin au genre féminin. Que les stades s’ouvrent, et il y a des chances que la pratique se transforme.
Je l’admets pleinement, les cas d’intersexualité sont rares. Usuellement, la différence anatomique entre mâles et femelles est suffisamment importante pour que l’on puisse d’un seul coup d’œil rapporter l’un ou l’autre individu à l’un ou l’autre sexe. Et pour cause : sans une irréductible réalité biologique qui persisterait en dépit des discours normatifs de genre, il n’y aurait jamais rien sur quoi ces mêmes discours pourraient s’accrocher. S’il n’y avait pas de différences biologiques de sexe entre mâle et femelle, mais uniquement − imaginons-le − un sexe neutre, l’étiquetage social homme/femme venant par la suite aurait un caractère tout à fait artificiel. Même les opposants les plus farouches à la supposée « théorie du genre » ne trouveraient alors rien à redire à ce qu’un sexe neutre choisisse selon son désir le genre de son choix.
Voici qui nous replonge dans un débat très marxo-tocquevillien entre l’égalité des droits et l’égalité des conditions. L’égalité des droits entre hommes et femmes a certes fait d’importants progrès dans nos démocraties occidentales. Il n’en demeure pas moins qu’il subsiste des inégalités que le droit ne parvient pas à chasser aussi simplement, car incorporées, pour le dire avec Bourdieu, dans les schèmes cognitifs des individus qui ne peuvent pas ne pas percevoir le réel social autrement que par ce prisme inégalitaire. En témoignent, par exemple, les inégalités salariales et autres plafonds de verre dans le monde professionnel. Ou, plus gravement, le fait qu’une femme ne possède pas la même liberté de circuler qu’un homme, celle-ci étant grandement restreinte par les harcèlements de rue et autres viols, qui obligent donc une bonne moitié de la population à user de stratagèmes pour pouvoir aller tranquillement : semblant de téléphoner ou d’écouter de la musique, vêtements longs, etc. Voir par exemple ici : http://payetashnek.tumblr.com/
Comme dit, ce n’est pas l’égalité des droits qui est le point le plus important. Mais quand bien même, il existe encore certaines univers peu enclins à proposer aux femmes les mêmes libertés qu’aux hommes. À nouveau, l’univers du sport le montre bien, qui n’autorise par exemple les femmes à faire du saut à la perche aux JO que depuis 2000. Le dernier Tracks montrait également combien le monde du skateboard est rétif à laisser s’organiser des compétitions féminines : http://www.arte.tv/fr/tracks/104524.html.
Je suis assez d’accord sur l’analyse. Mais est-ce une raison pour nier la violence de certains rapports sociaux qui persistent ? Les résistances aux études de genre qui tentent simplement de déconstruire ces phénomènes montrent au contraire que tout cela est encore loin d’être acquis. Vous parliez du militantisme pro-avortement comme d’un anachronisme, mais faut-il rappeler qu’il y a peu, l’Espagne songeait à revenir sur l’IVG ?
28 avril 2014 à 0:32 Andreas[Citer] [Répondre]
Pour qui veut critiquer les gender studies, je pense que « l’affaire John Money » est le pire exemple qui soit. Il suffit effectivement de lire quelques pages de l’essai de Butler, Undoing Gender (2004), pour se rendre compte que la critique des expérimentations sur Bruce Reimer est particulièrement aisée : Money a supposé que le genre pouvait être la cause des orientations sexuelles et a, qui plus est, calqué un schéma hétérosexuel sur son patient (pp. 80-81 : un peu tes arguments en somme). Les gender studies n’ont aucune difficulté à démontrer comment le psychiatre se transforme en Dr. Frankenstein. Il s’agit même d’un exemple idéal prouvant que le genre ne doit justement pas être soumis à des mesures tyranniques.
Transformer les théoriciens du genre en secte sataniste n’est vraiment pas une méthode payante. Je suis cependant toujours surpris de constater à quel point ces penseurs n’ont pas pris en compte les conflits engendrés par la « révolution sexuelle » des années 60-70. Un peu comme si personne d’entre eux n’avait pris la peine de lire Christopher Lasch ou ne serait-ce qu’un seul roman de Michel Houellebecq. De nos jours, chaque camp affirme ses positions avec une violence absolue : Soral d’un côté et les Femen de l’autre. Se défaire des identités imposées, subvertir les clichés, rechercher de nouveaux modes d’expression… c’est vraiment l’idéal romantique de la singularité absolue, l’idéal de la mode. Une bonne manière, en définitive, de bien se cloisonner dans le milieu consumériste de la compétition sexuelle. Sans oublier, et c’est bien là le pire, que les gender studies ne sont jamais mal intentionnées et rejettent la violence à tout prix. Ce qui revient, au fond, à prôner l’utopie d’une sexualité pacifique tout en alimentant la mécanique du conflit. A force de se pointer du doigt, à force de jouer à « Plouf-plouf-le-fasciste-ce-sera-toi », on perd peut-être de vue des objectifs plus nobles. « De toute façon, écrivait Christopher Lasch, l’abolition des tensions sexuelles n’est pas un but valable en soi; il s’agit de les vivre avec plus d’élégance que par le passé. »
28 avril 2014 à 9:56 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Effectivement, je ne l’avais pas signalé, mais le cas John Money fut critiqué par Judith Butler elle-même (de son vivant, allais-je presque rajouter). Il serait bon que les opposants au genre tiennent compte des arguments que cette dernière a pu présenter, avant de réinventer une roue carrée.
Pour le reste, tes arguments sont d’une grande pertinence, présentant une critique davantage recevable. Je me permettrais cependant quelques remarques :
– Tout d’abord, se méfier de l’essentialisme consistant à transformer les études de genre en un camp homogène vide de toutes contradictions et oppositions internes. Au contraire, qui étudie le champ des études de genre s’aperçoit très vite qu’il est en constant débat, son discours étant très hétérogène, au point que certaines discussions peuvent paraître très scolastiques (comme sur l’intersectionnalité par exemple). Toujours se méfier de l’essentialisme : peut-être une des premières leçons des études de genre, qui n’est pas nécessairement propre à ce champ, puisqu’il s’agit d’une discussion philosophique déjà amorcée par les sceptiques de l’Antiquité. Certains auteurs de ce même champ des études de genre feraient bien d’appliquer également celle leçon jusqu’au bout, lorsqu’il est question de considérer les adversaires.
– Ensuite, méditer la « loi de Hume », et ce méfier du passage conduisant subrepticement des faits aux normes, du « c’est » au « ce doit être », et ce, encore une fois, que l’on soit partisan des études de genre ou au contraire sceptique quant à elles. Ce que font les études de genre, avant d’être un discours militant à prétention émancipatrice, c’est déconstruire des processus, dispositifs et mécanismes sociaux de façon objective. Il faut bien distinguer cet aspect là des études de genre (les faits), qui n’implique pas encore un programme politique de transformation de la société (les normes). Ce que critiquent les études de genre est justement notamment le passage des faits aux normes dans le discours usuel sur le sexe et le genre : parce que la réalité objective biologique indique prétendument que le mâle l’emporte sur la femelle, il faut que chacun dans la société se comporte conformément à ce destin. À nouveau, les études de genre n’héritent pas de la loi de Hume, et si elles font bien de l’utiliser dans leur travail, il s’avérerait également fécond d’user d’autocritique afin de se garder d’un certain discours programmatique.
– La critique consistant à inscrire les études de genre comme la conséquence d’un mouvement de fond ayant transformé les sociétés occidentales me paraît pertinent. Résultante d’un individualisme triomphant, d’une postmodernité galopante, ou que sais-je encore, qui participerait, par une sorte de « ruse de l’histoire », à imposer la loi du marché et de la consommation là où justement on prétendait s’y soustraire. La critique n’est pas neuve, effectivement : Christopher Lasch, mais on peut aussi penser à Lipovetsky, ou encore aux critiques de Ferry/Renaut dans La pensée 68. Mais encore une fois, la critique me paraît très réductrice de ce que produisent les études de genre plus militantes. On peut difficilement y voir une simple critique naïve et lourde de la répression, du pouvoir et de ses tendances fascisantes. En effet, nombre de ces études a bien compris les leçons de Foucault sur l’analytique du pouvoir, et tente de construire un discours qui essaye d’échapper à ces écueils du manichéisme et du subjectivisme.
28 avril 2014 à 12:35 Andreas[Citer] [Répondre]
Tu as tout à fait raison pour l’essentialisme. C’est d’ailleurs particulièrement visible en ce qui concerne les études sur le cinéma. Il existe, par exemple, un nombre incalculable de travaux sur les films d’horreur des années 70-90 et toutes les positions possibles et imaginables ont été défendues (critique de la misogynie, de l’homphobie, de la biphobie ou, au contraire, éloge du féminisme, du trouble dans le genre etc.). Cela démontre assez bien que l’exercice tourne souvent en rond : de nos jours, dans le contexte d’une société du spectacle, on ne peut plus vraiment supposer que tous les codes esthétiques dépendent d’une idéologie précise. Attirer des spectateurs revient souvent à attirer des personnalités contradictoires…c’est la loi du marché.
Il est donc devenu difficile de faire porter la déconstruction sur la culture populaire. Si l’on met de côté les inégalités politiques et juridiques, il ne reste plus grand chose. On pourrait faire la critique de la psychiatrie mais, dans ce cas, pas la peine de s’investir dans les gender studies : tous ces aspects dépendent de la problématique générale du normal et du pathologique. Par ailleurs, le dernier os à ronger était le transsexualisme. Avec le retrait de la notion de « Gender Identity Disorder », la dernière édition du DSM a mis fin aux débats. Alors… il subsisterait le problème de la discrimination, de la violence. Mais bon, on les reconnaît bien les boucs émissaires dans la cour de récré : ils sont seuls, un peu différents et un groupe de crétins leur hurlent dessus. N’importe qui peut être visé et ce sont toujours sensiblement les mêmes règles qui informent ce type de phénomènes. Là non plus, pas vraiment de nécessité de faire des gender studies. Même s’il existe, je te l’accorde, des contre-exemples pertinents, force est d’admettre que de nombreuses tentatives de déconstruction manqueront leurs cibles.
Pour une large frange des Gender Studies, il ne reste donc plus que le pire de la pensée de Foucault, à savoir les deux derniers tomes de L’Histoire de la Sexualité. Non plus étudier les évolutions de la scientia sexualis, mais se faire l’artiste de son propre corps ou de sa propre identité. Et c’est là que l’analogie avec la mode ou les idéaux romantiques s’avère parfaite. J’ai assisté à pas mal de conférences sur Le Genre. La plupart relevaient davantage du happening littéraire que des sciences humaines. Mais pourquoi s’en offusquer? ça n’a pas l’air si grave après tout. Sous un angle postmoderne c’est certainement drôle, subversif et sans danger. Si l’on adopte un point de vue anthropologique, c’est probablement un peu différent…
29 avril 2014 à 18:50 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Si maintenant, on s’en prend même au dernier Foucault !