Premier mémoire sur l’instruction publique de l’informatique nouménale
L’open source et le « monde libre » qui l’accompagne dégoulinent de promesses séduisantes comme on n’en connaissait peut-être plus depuis longtemps. Des promesses technologiques, mais aussi et surtout des promesses philosophiques et politiques ambitieuses : la décentralisation contre la centralisation ; l’horizontalité contre la verticalité ; l’abondance contre la rareté ; le partage contre la propriété ; la liberté d’expression contre la censure ; la liberté de création contre le brevet. Thierry Crouzet théorise tout cela parfaitement bien, et son anarchisme cybernétique pourrait au moins apparaître comme un idéal régulateur vers lequel il faudrait tendre. Cependant, tout cela paraît buter sur une difficulté : dans un tel monde, ou pour faire advenir un tel monde, idéalement, tout le monde devrait être programmeur et capable de coder − ce qui est encore loin d’être le cas.
En effet, il faut bien faire progresser cette bête qu’est un projet open source, comme par exemple Ubuntu. Or, comment faire si personne ne code ? Dans un modèle classique type Microsoft ou Google, on a des gens payés pour cela, c’est leur profession, et ils échangent une partie de leur temps de vie à coder contre une rétribution. Comment faire dans le libre ? Personne n’est forcé d’y participer. Cela se fait par la bonne volonté des gens, qui sacrifient également une partie de leur temps de vie non plus essentiellement pour de l’argent, mais soit par militantisme, soit par altruisme, soit par que sais-je-encore. Certains doivent donc s’y mettre, et pour que cela fonctionne au mieux, idéalement, il faudrait que tout le monde s’y mette, chacun devant être convaincu qu’il ne faut pas laisser le monopole de la production de l’outil de production informatique au seuls privés.
Il s’agit en effet bien de cela : l’open source permet à chacun de contribuer à la production de l’outil de production, et partant, de s’en rendre en partie propriétaire − ou plutôt, d’en rendre propriétaire quiconque [1]. Il est une possibilité bien réelle d’un changement de société, craint notamment par les dirigeants de Microsoft, qui n’hésitent pas à faire part publiquement de leur embarras. Steve Ballmer, actuel CEO, décrivait ainsi Linux et sa philosophie comme un « cancer » qui contaminait de plus en plus, et qu’il faudrait empêcher de se répendre. « Bad for business », sans aucun doute : tous ces opposants sont les ennemis d’aujourd’hui de cette nouvelle société ouverte qui cherche à se construire.
Pour combattre ces ennemis et bâtir cette nouvelle société, il faut donc produire, et pour cela coder. Mais même, indépendamment du combat contre la société close des vieux logiciels, à l’intérieur même de la communauté de l’open source, il est nécessaire de savoir coder. Pour que tout cela fonctionne bien, tout le monde devrait en effet être capable de lire du code, afin de le contrôler, comprendre ce qu’il fait, le corriger, le faire progresser et évoluer. La lecture du code est nécessaire, et chacun doit le faire afin de s’assurer au moins que les technologies qu’il utilise sont garanties sans OGM : que telle fonctionnalité n’envoie pas des données sournoisement, est compatible avec d’autres, est adroitement construite, utilise le matériel correctement, etc.
Or, tout le monde n’est pas programmeur/développeur. Le monde de l’open source ne fonctionne pour l’instant, comme on l’a dit, que grâce à la bonne volonté de quelques geeks faisant cela la plupart du temps en partie pour se donner une identité à eux-mêmes en se conformant à la représentation et au rôle que la société se fait d’eux : au travail, sur son ordinateur, pensant à ce soir quand il sera de retour chez lui pour retrouver son autre ordinateur ; pendant son sommeil ensuite, rêvant au lendemain à quand il retrouvera son ordinateur du travail. Il faut dégeekiser l’open source, le démystifier, le retirer au monopole de ces odieux barbus nerd et crasseux, qui sont également peut-être un risque de monopolisation. Il faut démocratiser l’open source − unique façon d’en finir avec le geek −, le mettre pleinement dans les mains de chacun, afin que chacun puisse y contribuer. Sans cela, l’open source restera pour la plupart une abstraction, tout comme son modèle social et politique.
Pour que le modèle de l’open source puisse fonctionner de façon optimale, et partant, pour que le type de société qui le légitime à un niveau méta-théorique puisse fonctionner, il est par conséquent nécessaire que chacun sache programmer − au moins les bases. Une société démocratique devrait donc apprendre à programmer de la même façon que l’on apprend à lire/écrire/compter. La programmation devient dans notre société un savoir élémentaire au même titre. Nos épreuves de baccalauréat devraient ainsi comporter une épreuve d’algorithmie et de programmation système. Dans la société qui s’amorce, il y a en effet fort à parier que l’individu sera davantage libre s’il maîtrise les concepts fondamentaux de l’informatique que s’il connaît Le contrat social − argument supplémentaire pour en finir avec les cours de philosophie au lycée et y substituer un cours d’informatique.
Pour le dire en termes kantiens, l’homme est aujourd’hui encore sous l’empire de l’hétéronomie des tutelles pour ce qui est de l’informatique. La clef de son autonomie, de sa libération, de sa sortie de son aliénation, de l’émancipation de sa minorité, passe par l’apprentissage et la maîtrise de l’outil informatique. Savoir par soi-même ce que fait son logiciel est être autonome. Pour faire advenir décisivement les Lumières dans les pénombres des claviers, sans aucun doute faudrait il rajouter un sixième chapitre aux Cinq mémoires sur l’instruction publique que Condorcet avait déjà écrit. On y poserait ainsi que la société doit au peuple une instruction publique relative à l’informatique, au même titre que pour les professions et les sciences.
Pas simplement savoir se servir d’Internet Explorer ou d’Office − quelle horreur ! −, chose que l’on découvre par ailleurs soi-même très tôt aujourd’hui. Mais une instruction avancée permettant à chacun de pouvoir s’orienter librement dans l’univers cybernétique, et d’y participer en tant qu’acteur. On parle en effet souvent de « consommacteur » ; mais dans l’informatique, l’acteur ne peut pleinement l’être que s’il est programmeur.
La fameuse « fracture numérique » n’est ainsi sans doute pas là où on la croit. On la résorbera non pas par l’accès aux outils numériques égal pour tous, non pas même par le niveau de connaissance d’utilisation de ces outils qui devrait être accru, mais bien plutôt, au sein même de cette utilisation, par la connaissance avancée qu’auront les uns et les autres de ce qu’il en est techniquement.
On pourrait en effet, à l’instar de Kant et surtout à la suite de Bachelard, distinguer pour les technologies un niveau de connaissance phénoménal et un autre nouménal. Le niveau phénoménal est celui auquel chacun à immédiatement accès : il est cet écran, ce navigateur, cette fenêtre, ce curseur que l’on déplace en faisant mouvoir sa souris. Mais ce phénomène technologique − au sens propre de ce qui apparaît − ne saurait être là sans ce qui permet de le faire exister, qui reste invisible au premier abord, et qui est tout ce qu’il se trouve au niveau nouménal : le programme, le code, les instructions, les octets, les bits, les registres du processeur. Ce pour quoi l’on plaide, ce n’est pas pour une instruction publique de l’informatique simplement phénoménale (comment se servir d’un traitement de texte ou d’Internet − niveau auquel en restait encore peut-être Lyotard dans La condition postmoderne), mais bien nouménale : savoir comment cela marche et comment le construire, plutôt que savoir seulement comment l’utiliser. Car le XXIe siècle sera cybernétique ou ne sera pas, et il sera davantage libre s’il est open source.
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[1] Je simplifie évidemment. L’open source n’est en effet pas monolithique. Entre les licences Apache, MIT, GPL, autant de nuances sur la façon dont les logiciels peuvent être utilisés, modifiés, distribués.
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17 novembre 2010 à 21:58 Luccio[Citer] [Répondre]
S’il ne faut pas se faire d’illusions sur la philo en terminale vue la difficulté de l’épreuve et les problèmes de français des élèves,
Que dire du code… j’ai vu de brillants préparationnaires HEC retissants au simple Turbopascal (peut-être que si leur bac en avait été dépendant, ils auraient fait plus attention).
N’avons-nous pas là un vœu lancé par un Oscar, qui, s’il se réalise, verra sa réalisation critiqué par un Oscar du futur (voire pas Oscar lui-même dans le futur) ?
Mais en tant que gros nul du code (à part un peu de Texas Instrument au lycée oublié depuis lors), je dois avouer que je regrette le C++ presque autant que le latin 😉
17 novembre 2010 à 21:59 Luccio[Citer] [Répondre]
N’empêche, quelle belle barbe il avait ce Bachelard.
17 novembre 2010 à 22:03 Luccio[Citer] [Répondre]
Et quid du « phénoménotechnique » ?
17 novembre 2010 à 23:08 Dd[Citer] [Répondre]
Pourquoi tant d’affection pour le verbe « dégouliner »?
17 novembre 2010 à 23:29 Dd[Citer] [Répondre]
Quel positivisme naïf! On se croirait au XIXeme! Tu ne sens même plus le besoin de discuter tes presupposés tellement ils te semblent évidents… Internet outil d’emancipation?
Pendant longtemps certains ont cru que la masse n avait pas accès au savoir pour des raisons matérielles; or l on voit bien aujourd hui que le problème est ailleurs…
Même si beaucoup acquièrent ces techniques de programmation, sans le supplément d’ âme, Internet ne restera pour eux qu un lieu pour jouer les elfes virtuels ou se pogner…
17 novembre 2010 à 23:56 A ton avis[Citer] [Répondre]
Je viens d’ avoir à mon tour une idée lumineuse: je propose qu en France, désormais, on apprenne à tout le monde non seulement à lire mais aussi à écrire. Devenu des lecteurs autonomes, les petits français pourront explorer à leur guise les chefs d œuvre de la littérature, du savoir et de la philosophie. Et mieux: Grâce à l écriture ils pourront a leur tour produire une pensée riche sur le monde et leur condition pour sans cesse l améliorer.
Vous le verrez mes amis, le jour ou chacun sera lire nous serons entourés de gens vertueux et raffinés
18 novembre 2010 à 12:29 Gnouros[Citer] [Répondre]
Dd, je dégouline de plaisir pour le verbe dégouliner.
Aucun positivisme là-dedans, mais simplement un constat de fait. Le présupposé de cette réflexion, si tant est qu’il y en ait un, est en effet de ne pas rejeter la technique en bloc dans un élan romantique, rousseauiste ou heideggerien comme on l’a trop fait, en se bornant à dire que c’est aliénant, inauthentique, arraisonnant, ou que sais-je encore, et qu’il faut donc bien s’en garder. Il est de considérer au contraire que le monde d’aujourd’hui et de demain est et sera technique et technologique, et ce de plus en plus, qu’on le veuille ou non.
La seule liberté qu’il nous reste pourrait alors bien consister non pas à refuser ou à adhérer à la technique d’une manière générale (vivre reculé dans la Schwarzwald plutôt qu’avancé dans la Silicon Valley), mais bien plutôt à l’accepter et à retenir tel type de techniques plutôt qu’un autre, certaines pouvant se montrer aliénantes et d’autres au contraire émancipatrices. Accepter la fin de la Schwarwald et l’empire grandissant de la Silicon Valley, mais redessiner la façon dont les rues de cette dernière sont dessinées, ses maisons conçues et fabriquées, les échanges se font, etc.
Il faut en effet disposer des dispositifs, les profaner, comme l’écrit Agamben. Aujourd’hui, l’homme doit se rendre maître et possesseur non plus de la nature, mais de la technique (voilà une belle phrase dont je suis ma foi très satisfait). Car la technique est désormais sa nature, dans laquelle il évolue, et elle le sera de plus en plus. Dans ce cadre, il est nécessaire de différencier technique et technique. Non pas tout rejeter en bloc, ni non plus béatement adhérer à tout, comme par exemple s’émerveiller devant le tout nouveau iPhone, qui, sous ses beaux aspects, est en fait une hérésie politique. D’un point de vue politique, il sera ainsi toujours préférable d’utiliser Ubuntu ou Android plutôt que Windows ou Apple, d’ouvrir son code plutôt que de le fermer, etc.
Ainsi n’est-il pas question seulement d’Internet dans ce texte, mais de l’outil informatique d’une manière bien plus générale. Il n’est nullement dit que l’Internet, d’une manière générale, est outil d’émancipation. Au contraire, certains usages de l’Internet tendent à le rendre aliénants, quand d’autres permettent de le rendre émancipateur ; la tendance actuelle des grands groupes (dont Free, malgré son nom, ses discours et certains de ses actes, se rapprochent) est malheureusement de le fermer : voir à ce sujet les éclairantes conférences de Benjamin Bayart sur le Minitel 2.0.
Quant au supplément d’âme qui manquerait, il existe tout à fait : il est celui de l’open source, et c’est cela que l’on souhaite diffuser, dès le berceau. Aujourd’hui, la programmation est en effet avant tout un métier que l’on apprend dans les IUT et les écoles d’ingénieurs. Ces compétences étant concentrées et monopolisées sous les quelques doigts de certains, cela permet de les faire décider pour les autres : ainsi, il faut que cela rapporte, et donc, il faut fermer les sources afin d’en garder le contrôle. Pour éviter cet écueil, l’informatique doit cesser d’être un métier, et pour cela, il faut que quiconque puisse participer à l’élaboration de l’outil de production.
18 novembre 2010 à 13:02 Gnouros[Citer] [Répondre]
Cher A ton avis, je comprends cette analogie railleuse entre cette proposition de l’informatique pour tous, et celle d’apprendre à lire et à écrire que l’on pouvait trouver avant. La foi dans le progrès des Condorcet et autres Lumières du XVIIIe siècle, pensant qu’à mesure que l’on fait reculer l’ignorance, une amélioration des mœurs s’en suit, cela a été mis en défaut par l’histoire elle-même qui a montré qu’aucune corrélation ne peut être établie entre alphabétisation et raffinement (ainsi, exemple radical, Auschwitz et Iroshima, paroxysmes de la barbarie et de la destruction, tous deux produits par deux civilisations pourtant à la pointe des sciences et de l’éducation).
Je ne disputerai pas ce point, car cela nous entraînerait trop loin – et je serais même prêt à l’accorder. Il est évident que l’informatique pour tous ne sera pas une condition suffisante pour faire advenir un monde plus ouvert ; mais peut-être est-ce au moins une condition nécessaire. Tout le monde programmeur, et tout le monde pourrait en effet tout à fait bien continuer à faire gentiment son petit Bill Gates ou Steve Jobs. Mais comment un monde tout à fait libre qui serait gouverné par seulement certains ?
Alphabétisation, culture, science et technique ne sont sans doute pas des conditions, des facteurs positifs et suffisants pour faire advenir les Lumières, le progrès et la liberté. Diffusées universellement, elles sont en revanche plus sûrement des conditions que l’on pourrait dire négatives et nécessaires, en ce sens qu’elles fournissent à quiconque des armes permettant de résister plus facilement à l’aliénation. Que seuls certains sachent lire, écrire, compter ou programmer, et c’est leur offrir un monopole leur permettant d’asseoir plus facilement leur domination ; que tout le monde le sache, c’est ouvrir la voie à un possible ébranlement de celle-ci. Il est plus facile de maintenir une minorité sous la tutelle en la maintenant dans l’ignorance ; moins lorsqu’elle est éclairée. Plus facile de diriger une majorité lorsqu’elle ne sait point, presque impossible lorsqu’elle est au fait.
18 novembre 2010 à 15:29 Dd mon avis[Citer] [Répondre]
Une technique en elle même n est ni bonne ni mauvaise, ni aliénante ni émancipatrice.
Tes presupposes: tes définitions desuettes de l allienation et de l émancipation.
18 novembre 2010 à 16:09 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Cher Dd mon avis (que je soupçonnais d’être la même personne, eu égard à l’adresse IP), vous parlez par ellipses et implicites, si ce n’est par iPhone ou autres technologies du diable asservissantes, si j’en crois le manque d’accents et d’apostrophes. Explicitez votre critique, soyez un bon maïeuticien et accouchez mon esprit de ces présupposés que vous jugez si faux, puis détruisez-les afin de m’élever vers le vrai.
25 janvier 2011 à
[…] nous devions de réhabiliter le positivisme, tant décrié aujourd’hui. Et quoi de mieux pour célébrer le positivisme que d’utiliser ce que lui-même célèbre, […]
9 février 2011 à
[…] n’est en grande partie que le manque de connaissances techniques pour pouvoir être autonome. D’où tout l’enjeu d’une éducation numérique complète et robuste qui devrait s&…. Seule elle permettra de construire une Little Big Open Planet. Créateurs de tous les pays, […]
15 février 2011 à
[…] vous voulez plus de précisions sur cet odieux brûlot anti-technologique (on est sur un blog ou pas !?) lisez-le donc, ou au moins l’article du Canard résumé ci-dessus. Concentrons-nous […]
10 janvier 2012 à 17:06 Gnouros[Citer] [Répondre]
Pendant ce temps-là, en Angleterre, on considère le code comme le nouveau latin : http://www.bbc.co.uk/news/technology-15916677
8 mai 2012 à 14:26 Clémence[Citer] [Répondre]
« Le monde de l’open source ne fonctionne pour l’instant, comme on l’a dit, que grâce à la bonne volonté de quelques geeks faisant cela la plupart du temps en partie pour se donner une identité à eux-mêmes en se conformant à la représentation et au rôle que la société se fait d’eux »
Or, non. Bien-sûr, beaucoup d’informaticiens et d’amateurs avancés prennent sur leur temps libre pour développer l’open source, mais il y a aussi moult sociétés qui s’y consacrent ou l’utilisent (et donc s’y consacrent aussi). Quelques SSII également, c’est dire.
Je doute que la plupart du temps, les barbus y travaillant le fassent pour se conforter dans l’identité qu’on leur aurait donné de l’extérieur. Je pense qu’il n’y a guère plus je-m’en-foutiste de l’opinion des autres que les barbus, d’une part. D’autre part, la société étant davantage tournée vers la facilité, soit vers ce qu’on achète et qui marche directement sans poser de questions, ce fait de flemme universelle contredit une seconde fois ta proposition. D’ailleurs, peu de personnes s’intéressent au libre une fois l’utilisation d’OpenOffice et Firefox devenue automatique.
En revanche, la question de l’enseignement généralisé du code pour ne plus être soumis à une minorité faisant tout, décidant de tout et brevetant ses découvertes est fort pertinente. Le problème est hélas trop souvent le même en philosophie …
9 mai 2012 à 19:30 Gnouros[Citer] [Répondre]
J’avoue. J’ai forcé un peu le trait dans cette description du collaborateur de l’open source. Mais c’est qu’au moment de ce post, j’avais sous les yeux de pareils types dans mon entourage qui, loin d’être seulement idéaux à la Weber, étaient bien réels. Et de la même façon que le garçon de café de Sartre jouait à être le garçon de café, ces geeks jouaient aux geeks, publiant leur code sur SourceForge comme le garçon de café fait tourner son plateau, parce que c’est ainsi, il faut le faire − tout comme il faut regarder NoLife TV, aimer la culture japonaise et la K-pop. Mais j’admets, généralisation peut-être un poil trop abusive de ma part.
En tout cas, il est vrai que l’open source est depuis longtemps devenu un business, comme le montre le succès de projets tels que Ubuntu, WordPress ou même Android dans une certaine mesure − avec les adaptations que cela suppose quant au modèle économique qui est par conséquent différent des entreprises type Microsoft. Et c’est effectivement un problème que le consommateur se désintéresse complètement du monde social qui est impliqué dans la production de ce qu’il achète, ignorant les enjeux politiques de premier plan qui se cristallisent dans ces dispositifs. Comment encore croire dans le communisme lorsque Nathalie Arthaud utilise un ordinateur sous Windows ? Ou à la social-démocratie, lorsque tous ces responsables sont branchés sur iPhone et BlackBerry ?
Or, je persiste à penser dans un élan prospectiviste que le salut de l’autonomie du genre humain réside et résidera toujours plus dans une maîtrise des langages de programmation. Demain (je parle d’un demain dans longtemps quand même), le corps humain sera hybride, équipés de maints cyber-machins. Pour qui veut s’approprier son corps, en rester maître, la maîtrise de ces outils sera aussi fondamentale que d’apprendre à marcher. Aujourd’hui, les spywares sont dans Microsoft Word ou Skype. Demain, ils seront dans les prothèses auditives et autres bidules utilisés de toute part − ils sont déjà dans les chaussures de course à pied et cardio-fréquencemètres des sportifs.
18 juin 2012 à 16:29 Clémence[Citer] [Répondre]
Je suis absolument d’accord avec toi, mais je pense que c’est l’éternel problème du « mais noooon y a des experts pour s’occuper de ça … ».
C’est comme tout ce qui paraissait annexe et qui menaçait d’entrer de manière plus importante dans nos vies : certains (hélas trop peu nombreux) rappelaient qu’ils seraient bon de s’y intéresser, mais voilà qu’une fois le processus bien avancé, il n’y avait qu’eux à s’y être confrontés.
Je ne veux pas être fataliste, je suis pour la lutte dans le sens que tu pointes ; toutefois, il faut avoir conscience de la flemme des gens. Quand je vois l’utilité proche du néant des cours d’éducation civique, quand je vois que 90% de la population ayant un ordinateur ne s’est jamais rendu compte qu’il fallait distinguer sa machine de son OS, et j’en passe et des meilleures, je déprime. Qu’en penses-tu ?
Ne crois-tu pas que la loi de la flemme et le monopole de la connaissance par les experts sont inévitables ?
… Rassurez-moi !
29 juin 2012 à 17:40 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Mille excuses. Ton commentaire végétait dramatiquement dans les SPAM depuis quelques jours, y ayant été classé pour des raisons que je ne m’explique pas… Cas concret par rapport à ce qui est en question ici : si j’osais, j’irais regarder dans le code du plugin ; mais de toute façon, je pense que le problème est du côté du serveur d’Akismet, qui pour le coup est une boîte noire bien opaque qui fait parfois office de censeur comme on n’en trouve même pas dans Orwell.
Bref. Toujours est-il que j’ai bien peur de rejoindre ton constat. On le sait depuis Platon, la société se fonde sur la division du travail, et on aboutit de fait à une spécialisation des rôles. On ne peut maîtriser tous les domaines de la connaissance et de la technique, et on est forcé de s’en remettre à l’autorité d’autres pour le contrôle de certaines choses. Peut-être arrivé-je de mon côté à comprendre quelques lignes de code ; en revanche, de nombreuses autres choses m’échappent, pour ne pas dire toutes. Lorsque le médecin me dresse une ordonnance et que le pharmacien me donne les médicaments, je suis tout autant désemparé devant la nature du cachet que quelqu’un d’autre pourrait l’être devant une page web, n’appréhendant la chose que par sa seule phénoménalité, son « comment » demeurant à jamais invisible. L’autonomie vis-à-vis de la maîtrise de la technique est peut-être irréalisable dans l’absolu.
Et par ailleurs, il est vrai que la plupart des utilisateurs d’un produit ne tiennent pas la plupart du temps à investir de l’énergie dans la connaissance intime du fonctionnement d’un objet, n’en restant qu’à une appréhension seulement fonctionnelle et utilitaire de la chose, sacrifiant une part d’autonomie pour le confort.
Du coup, la clé de la liberté est peut-être davantage à chercher du côté de l’organisation sociale, qui devrait être au maximum ouverte dans la plupart des registres. En somme, généraliser le principe de l’open source à d’autres secteurs. Tout en sachant que l’excès de transparence peut lui aussi être totalitaire : le problème n’est pas simple.