Une nouvelle route de la servitude
Je tiens beaucoup à cet amendement parce que le monde vient de vivre la plus grave crise qu’il ait connue depuis 1929, et qu’une seule réponse s’est imposée – réclamée sur tous les bancs – : la régulation. Il aura fallu attendre que des établissements financiers soient en faillite, que la croissance soit au point mort, que des pays soient au bord du gouffre, pour que le monde se réveille et accepte enfin de construire un système régulé au plan international. Faudra-t-il attendre qu’il y ait des dégâts irréparables pour que le monde se décide à réguler Internet ?
Frédéric Lefebvre, « Les députés UMP veulent un Internet régulé »
Premièrement, est-il à ce point établi que la crise que nous traversons soit comparable à 1929 ?
Deuxièmement, est-il certain qu’elle fut la conséquence du laissez-faire le plus débridé ?
Troisièmement, est-il indubitable que la seule réponse à d’autres maux du même type soit dans la régulation la plus planétaire ?
Quatrièmement, en quoi cela permet-il de conclure qu’il faille une régulation de l’Internet ?
Notre simple œil de citoyen a toute la peine du monde à déceler les rapports de causalité qu’entretiennent entre elles ces propositions du député Frédéric Lefebvre, ou même leur simple légitimité.
Pourtant, cela semble aller de soi pour le pouvoir actuel. Contrôle, surveillance, régulation, planification : c’est là un tout. La crise a-t-elle, soi-disant, légitimé le retour de l’État sur les questions économiques ? Profitons de l’aubaine pour étendre l’emprise que possède déjà « le plus froid des monstres froids1 » sur la société.
De grâce, que l’on ne vienne plus nous aboyer que le libéralisme est défendu par l’UMP. Chaque jour, cette troupe s’exerce à faire reculer encore un peu plus les libertés publiques. Aujourd’hui, le libéralisme est fondamentalement en dehors de ce parti, voire en dehors des partis tout court.
Aussi, prenons garde aux contre-coup dirigistes de cette crise dont l’estocade de Lefebvre n’est que l’une des premières desquels personne n’est là pour nous défendre. Certains tirent de 1929 une leçon justifiant le dirigisme mais nous ferions bien de méditer avant tout les cauchemars dont il fut la cause.
1Nietzsche, « De la nouvelle idole », Ainsi parlait Zarathoustra.
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17 décembre 2008 à 23:40 Luccio[Citer] [Répondre]
Faut faire gaffe quand on emploie libéralisme, ça a la forme d’une espèce d’idéale qui dans les mœurs semble s’être imposé, sans doute sous une forme bizarre de consumérisme, et en économie, il est l’antagoniste de l’intervention étatique.
Un gaulliste serait tout effrayé devant une défense du libéralisme face au gouvernement Sarkozy, il penserait qu’il y a une troisième voie.
Bref, on a une droite toute pourrie qui sert à rien si ce n’est à gouverner.
17 décembre 2008 à 23:41 Luccio[Citer] [Répondre]
c’est marrant, j’ai dit gouvernement Sarkozy au lieu de gouvernement Fillon, comme quoi, on peut deviner ce que je pense de la place du premier ministre
18 décembre 2008 à 18:22 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
J’entendais ici par libéralisme essentiellement son versant politique visant à défendre l’individu et ses libertés – comme celle d’aller sur Internet – contre ceux qui veulent le contraindre afin de faire de lui uniquement une partie au service d’un tout – l’État, le société et même, pourquoi pas, l’entreprise.
Mais plus que le libéralisme, ce que je voulais montrer est la stratégie qu’emploie l’État afin de justifier la restriction des libertés publiques, qui est très claire et très mal dissimulée dans cette déclaration de Lefebvre.
La crise financière est aujourd’hui ce que le terrorisme fut hier aux États-Unis : un épouvantail bien commode permettant de faire avaler les pilules mêmes les plus liberticides.
Il faut voir la rhétorique employée :
1) Il y a crise en raison de la dérégulation ;
2) La crise justifie donc la régulation, le dirigisme dans les matières économiques ;
3) La régulation est souhaitable ;
4) La régulation doit être étendue dans d’autres secteurs.
L’attaque actuelle contre le libéralisme économique, soi-disant justifiée par la crise, sert de fondement à l’argumentation contre l’attaque du libéralisme tout court.
Quant à savoir s’il s’agit d’un gouvernement Sarkozy ou Fillon, j’accorde tout à fait que ce n’est pas chose facile que de le distinguer, tout comme il est difficile, comme l’avait remarqué Revel, de discerner si la France est une république ou une monarchie depuis 1958 et sa V République.
19 décembre 2008 à 1:26 Luccio[Citer] [Répondre]
Revel était un brin provocateur et père d’un scientifique moine bouddhiste.
Toujours est-il que lorsqu’on dit
on sous-entend que le libéralisme est à prendre comme un tout, économique et politique, ou du moins on le suggère fortement par cette façon de penser que la crise ne justifie pas l’intervention de l’état [je reconnais que c’est la base de mon argumentation du soir, et sa principale faille].
En effet, on est amené, par ses formulations, à défendre tous les aspects du libéralisme en même temps et on écrit
Il ne faut pas alors s’étonner que certains se permettent d’attaquer le « libéralisme politique » en partant du « libéralisme économique ».
Le pire pourrait être qu’ils soient en fait les partisans du libéralisme économique et du contrôle étatique, bref des gens qui seraient heureux de contrôler un pays riche, ce qu’ils ne peuvent pas faire parce qu’ils ne sont pas chinois (je ne fais pas un essai sur la Chine mais une tentative de psychologie).
Ainsi je pense que le libéralisme, l’économique, est bien défendu par l’UMP, voire qu’il est le seul qui soit défendu par qui que ce soit. L’autre n’étant même plus un objet du débat, car des imbéciles comme moi l’oublient, et des imprudents finissent pas ne pas le séparer du libéralisme économique dans leur formule.
Mais puisqu’il est fort possible que je sois un peu ignorant, y a-t-il un parti qui se place ouvertement contre le libéralisme économique et pour le libéralisme politique? [ps: même si je ne sais pas ce qu’il dit, interdit de parler de Madelin]
19 décembre 2008 à 11:07 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Il est possible de ne défendre que certaines libertés, sans les économiques. Par exemple, les libertés sociales et celles des mœurs, comme le font nombre de libertaires prônant un strict contrôle du marché mais une dérégulation presque totale sur tous les autres points.
Mais de fait, j’ai peur qu’il soit impossible d’épurer le libéralisme de sa dimension économique. Comment défendre les libertés individuelles sans accorder à l’homo œconomicus la liberté dans ses choix économiques ?
Madelin défendait toutes les dimensions du libéralisme, du moins en théorie (cf. sa préface à Aux sources du modèle libéral français). Depuis le suicide de DL qui s’est noyé dans l’UMP en 2002, Alternative Libérale revendique en France la filiation à ce type de libéralisme, avec peu de succès électoral jusqu’à présent.
Si l’UMP et Sarkozy ont pu feindre un temps de défendre le libéralisme, c’est par pur pragmatisme, simplement parce que « ça marche ». Nos économistes classiques et néo-classiques, libéraux et néo-libéraux parvinrent à convaincre la droite que la prospérité économique ne pouvait passer qu’en offrant pleine liberté au marché, et de fait, c’est ce que l’expérience prouve. Mais s’il s’avérait que l’expérience enseigne autre chose, par exemple, que le planisme, le dirigisme sont plus efficaces économiquement, tous retourneraient rapidement leur veste pour adopter ce point de vue. C’est ce qui se produit actuellement avec l’UMP dont il ne faut pas oublier qu’elle s’est fondée sur des vieux restes gaullo-chiraquiens, et dont le sarkozysme semble en définitive n’être que le dernier avatar.
Au contraire, un libéral défendra les libertés économiques non pas simplement pour leur efficience mais par principe. Quand bien même il serait indubitablement démontré un jour que laisser la liberté aux acteurs dans leurs choix économiques n’est pas la solution la plus efficace, le libéral conservera ce but comme visée téléologique, comme idéal régulateur.
Dire, comme c’est ce que j’ai cru comprendre de ton commentaire, que les autres composantes du libéralisme sont acquises et que seul reste à débattre la question du libéralisme économique est, je pense, une erreur. Le libéralisme politique, philosophique n’a jamais eu besoin d’être défendu autant qu’aujourd’hui, comme le prouve cette attaque de Lefebvre. Car notre société est hélas ! chaque jour encore plus panoptique (Foucault) que la veille.
6 janvier 2009 à 15:24 Luccio[Citer] [Répondre]
Alors dans ce cas, n’est-il pas légitime de créer un front de la régulation pour s’opposer à une pensée aussi tenace ?
p-s: envoyer la « scholie », et si je voulais exister entièrement dans mon commentaire ?
6 janvier 2009 à 18:54 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Ce que j’essayais de dire, c’est que pour le libéralisme, la liberté se doit d’être paradoxalement plus importante que les profits.
Si une organisation dirigiste est plus performante qu’une société libre, il n’empêche qu’il faudrait toutefois la combattre au nom des libertés individuelles qui établissent que l’homme ne doit pas être au service du tout, mais bien plutôt l’inverse.
On parle souvent d’une antinomie entre liberté et sécurité ; donner à l’une serait nécessairement retirer à l’autre. Mieux vaut des hommes libres capables de fauter que des hommes doux mais en cages.
Quant au solipsisme du commentateur, je ne pense pas qu’il soit la meilleure solution pour marcher vers la science, sa route ne pouvant passer que par la critique la plus acerbe des énoncés.
6 janvier 2009 à 19:31 Luccio[Citer] [Répondre]
p-s: on pourrait répondre qu’après tout, ça ne reste qu’un commentaire. bande de cons!
8 février 2009 à
[…] d’Eric Besson, et, surtout, la nature des arguments utilisés, sont symptomatiques de la passion du panoptique qui anime Lefebvre dont nous avions déjà pris note, et qui, plus largement, agite la classe […]
6 avril 2009 à
[…] seule issue possible. La chute du premier domino constituerait alors le premier pas sur cette « nouvelle route de la servitude […]
19 décembre 2010 à
[…] celles d’Éric Besson qui parvient à dépasser les scores pourtant déjà très haut de Frédéric Lefebvre en points Godwin − laissent encore plus songeur que les rapports entre Daniel Cohn-Bendit et […]