En ces temps de frondes anti-psychanalytiques, voilà qui ne va pas plaire : Inception est un film que l’on pourrait qualifier de freudien. Il y est en effet question d’inconscient, de rêves, de secrets, de refoulement et de relation œdipiennes.

Le héros d’une oeuvre d’anticipation ou de science fiction n’est généralement pas un personnage. Il s’agit bien plutôt d’une idée . Il s’agit d’admettre l’existence de celle-ci à titre d’hypothèse et de la faire vivre, de l’exploiter et de la développer jusqu’à en toucher les limites. C’est ce que réussit plutôt bien Inception − il paraît que le réalisateur Christopher Nolan a travaillé son idée pendant plus de dix ans.

Quelle est l’idée ? Qu’il est possible de pénétrer l’esprit d’un individu pendant son sommeil, pendant qu’il rêve, afin de l’explorer et d’y voler (« extraire »), justement, les idées qu’il renferme. Technique à laquelle les héros du film sont rompus. Mais cela se corse lorsqu’il s’agit, non plus de voler une idée à un esprit, mais au contraire de lui en faire admettre une qui lui était étrangère (procédure en laquelle consiste l’« inception »).

Quelle est l’intrigue principale (qui, finalement, est bien secondaire) ? Le monopole d’une société énergétique, qui doit être rompu (par un jeu d’alliances, cela permettra au héros de retrouver ses enfants : il y est pour ainsi dire forcé). Afin d’y parvenir, il s’agit de faire admettre à l’héritier du groupe, après la mort de son père, qu’il doit démanteler celui-ci.


Comment procéder ? En intervenant sur la représentation qu’a celui-ci de sa relation « père-fils ». En lui faisant admettre au final qu’il lui est nécessaire de « tuer le père » bien qu’il soit déjà mort, afin de vivre de ses propres ailes, de faire ses propres expériences, de vivre en son prénom et non plus seulement en son nom, de ne pas se contenter de poursuivre et préserver l’œuvre de son père, qu’il lui faudra peut-être bien saborder.

Cette idée œdipienne réside au plus profond de l’esprit du sujet. Il s’agira, à la manière de la psychologie des profondeurs, de descendre au plus loin dans l’inconscient de la cible pour la trouver et agir dessus. On n’explorera pas simplement le rêve de la victime (niveau 1), mais le rêve qu’elle fait lorsqu’elle rêve (niveau 2), et même le rêve qu’elle fait lorsqu’elle rêve qu’elle rêve (niveau 3), pour se retrouver finalement au plus profond : dans les limbes, qui est, dans le cas présent, ce rêve sans issue auquel on accède suite à la mort au rêve niveau 3. Cette longue descente spéléologique dans les grottes de l’inconscient de l’héritier est également l’occasion d’explorer le refoulement qui structure le grand héros, Cobb, joué par Leonardo DiCaprio, et de se poser les questions désormais classiques en philosophie : quelle différence entre le rêve et la réalité ? doit-on sortir de la caverne de Platon ? est-ce que je suis si je pense ? − et bien d’autres.

Bien qu’imprégné de théorie freudienne, le film n’en est pas pour autant surréaliste. Nolan n’est pas Dali : l’œuvre n’a sans doute pas été réalisée en laissant libre cours à l’inconscient du réalisateur ; le film n’est pas le lieu où, de la conjugaison du rêve et de la réalité, surgit une surréalité. Si surréalité il y a, elle est dans celle que créent les personnages en rêvant, où plusieurs niveaux de rêves sont imbriqués, où, comme dans les tableaux de Dali, les codes sont freudiens et les secrets cachées dans des tiroirs.

Diffusé en été au milieu d’autres blockbusters, Inception emprunte habilement au genre. À la manière de Matrix, qui est aussi le récit d’une idée, Inception utilise les codes narratifs du film d’action et du kung-fu, en usant évidemment d’effets spéciaux sans aucun doute novateurs, comme naguère Matrix avec le désormais célèbre bullet time. Au final, Inception est un film d’action pour intellectuels : un blockbuster philosophique. Ce que prétendait être également le très médiocre Avatar, qui échouait lamentablement en se contentant de raconter Pocahontas : Inception, lui, y parvient.

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