Prométhée (#pharmacien #bavard)
L’affaire Faust
Depuis quelques temps un bonheur m’accompagne, je deviens contemplatif. Je vois combien l’homme donne ses couleurs à la Terre. L’univers pourrait exister sans nous, mais, quand mes amis et moi fîmes la chenille, je le soupçonne d’avoir été content d’en être – et si je suis Spinoza, il l’était par nous.
Allez, jouons-la Wagner : Lorsque les dieux finirent par trop connaître l’univers, il s’en retirèrent, pour sombrer dans l’ennui ; l’un deux, un peu moins las, créa les hommes, afin de rejouer la comédie première, celle de l’émerveillement ; mais c’est par milliers que les hommes créèrent les merveilles, et à chaque instant, partout, au milieu des ratés ; lorsque les dieux revinrent, ils se découvrir désespérément humains. Ils s’en réjouirent, par moments.
Ainsi va l’être humain, « petit plus » de l’univers. Mais, petit agacement, il abîme l’univers comme il l’enlumine ; c’est un pharmakon. Ce mot grec désigne les drogues, à la fois remèdes et poisons (disons-le, la page Wikipedia est très bien) — des remèdes appliqués au patient, sans neutralité, et pas toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes. En outre les hommes sont à la fois remèdes et pharmaciens. Ils soignent la nature, qu’ils nomment « création », et qu’ils recréent, lui appliquant diverses pharmacopées, et pas seulement médicales. La cité, par exemple, est un remède à la fragilité inhérente à l’isolement de l’individu ; mais elle l’empoisonne aussi, puisque la proximité mène à la violence. A ce poison-remède, un nouveau remède : les lois ; à nouveau poison, puisqu’elles pérennisent quelques violences sociales. Etc. Le pharmakon appelle le pharmakon ; or l’homme est un pharmakon ; donc l’homme invente des pharmaka (pluriel de pharmakon). L’homme-remède s’est inventé pharmacien.
Or la pharmacie transforme l’homme. La pharmacopée influence son éducation (la politesse police), et l’activité pharmaceutique le rassure : tant que l’action est possible, l’espoir est permis. Au point que le petit s’enivre, de l’ivresse d’un démiurge. Et si le pharmakon s’oubliait ? Alors je m’inquiète. Certes, tout créateur doit détruire, ainshi va la vie, mais un créateur oublieux est d’abord un excellent destructeur.
« A vot’bon coeur, m’sieurs-dames, pour la rengaine de la complainte contre la technique : la technique détruit ! Le technicien croit créer, mais il détruit ! Il chasse : le mal, la peur, la gène, les piques, les craintes ; il maîtrise, il possède, il contrôle, il domine, mais il détruit ! Il détruit la merditude des choses. Mais pour quel bien ? »
Un univers où notre espèce contrôlerait tout de ses conditions d’existence m’angoisse un peu. Ainsi du transhumanisme, plein de corps jeunes et beaux, brillants de santé. Leurs rêves m’angoissent ; Comte-Sponville, plus sage, en rigole. Leur fantastique brochure nous livre un monde où la mort est réservée aux seuls accidents (et assassinats), et donc une humanité peuplée de vieillards craintifs. Je rajoute que nos futurologues à la google rêvent l’humanité telle qu’ils la vivent, comme une affaire de milliardaires craintifs.
De même, un univers végétarien m’inquiète. Certes il est moins dégueu que le monde de la viande et de l’élevage industriel, déjà cruel et nuisible. Mais, opposé à la bestialité et la froideur des fermes et abattoirs concentrationnaires, le monde phyllophage m’effraie, bien trop calme, et toujours trop tendu vers la recherche d’une pureté toute mortifère. Je crains les conformismes et les cadeaux qu’ils apportent. Réformer, c’est déformer.
Est-il si nécessaire de toujours viser au-delà de notre temps ?
Prenez Faust, tel que Goethe nous le découvre. Ce maître des savoirs n’attend plus rien de la vie et de ses espoirs et plaisirs insipides. Ainsi, un soir, au comble de l’inespoir, s’essaye-t-il à la magie ; et le voici réellement maître et possesseur de la nature. S’adressant aux esprits dans leur langue, il les domine et commande. Cette langue sacrée, cachée et admirable, ce sont les mathématiques (même si le bon Johann Wolfgang ne le précise pas). Pourtant Faust ne s’en réjouit pas : le bonheur lui échappe encore, comme le sens de la vie. Au mieux capture-t-il un esprit retord, le promoteur de la puissance, le VRP du bonheur mondain, j’ai nommé ce pauvre diable de Méphistophélès…
La (trop petite) boîte à pharmacie
Dautres ont déjà comparé nos Prométhée à d’apprentis Docteur Faust, ou à d’inconséquents pharmaciens. Car ceux-ci s’exécutent, assidus, dogmatiques, obstinés dans leurs recherches eudémoniques (pour une recette du bonheur). Une telle recherche est légitime, et sa critique délicate, car, à viser trop large, on condamne même Louis Pasteur. Puisque « y’en a des biens », visons d’abord les mauvais pharmaciens.
Commençons par le promoteurs d’un pharmakon inefficace, et autres adorateurs de magies inutiles et incertaines. Oublions l’homéopathie et tournons-nous vers d’autres élixirs, obsédant arnaqueurs et autres paresseux pressés de confondre l’habituel avec l’opportun. Telle est l’Analyse des discours, éternel remède des philosophes de tout poil, toujours prompts à juger qu’un mauvais comportement repose sur un mauvais discours (puisque nul n’est méchant volontairement). De même le sociologue prescrit-il de la sociologie politique, et les fous une petite déconstruction du complot. Ainsi, plus un remède est inefficace, plus il semble une affaire de bavardage. Nous nous rêvons Prométhée, nous nous réveillons Docteur Doxey.
Parfois l’inutile confine au poison, comme lorsqu’on s’enquiert trop volontiers de mauvais conseils et d’idées récitées. Ainsi d’une action menée sur la TVA de peur de manipuler la monnaie, ou d’une réforme du Droit pour ne pas oser la morale publique. (J’ai honte, je reste flou à dessein, mais surtout par incompétence).
Un exemple bavard
Ma petite obsession du moment concerne l’horrible endoctrinement grammatical. Tout d’abord, considérez la langue comme pharmakon pour décrire le monde : elle permet la description mais l’influence. Ainsi la majuscule à « Français » fait croire à l’existence du peuple, et « l’animal » à l’uniformité de la faune. Ensuite, jugez le remède : malgré ses défauts, il ne semble pas si mal dosé, et pourrait même révéler quelques vertus secrètes. La « faune » existe, et la majuscule concerne bien des gentilés. Pourtant d’autres sont moins convaincus. Observez alors nos bons Docteur Doxey lutter contre le défaut du moment, via un pharmakon au pharmakon : la réforme linguistique. Est-il difficile d’écrire le français ? Réforme linguistique ! Oubliez la possibilité que travaille l’intelligence, et réclamez sa simplification. (Je râle, et à trop râler peut-être aurais-je milité contre Voltaire, pour le maintien de la graphie « oi » quand on lit « è », remplacée depuis par « ai »). Que la langue file droit ! Quitte à surdoser, à endoctriner — et plus le diagnostic est alarmant, plus on surdose.
Ainsi d’une nouvelle idée pseudo-féministe : la valorisation du langage épicène. Persuadés que l’écrasement sociales des femmes et des autres genres mis en minorité s’opère aussi et surtout par la grammaire (opinion aussi vraie qu’inutile à démontrer), certains s’en vont lutter contre le sous-dosage du poids du genre féminin dans l’accord des adjectifs et participes pluriels. Leur remède ? L’écriture du diagnostic et de la prescription : « nous ne sommes pas encore fichu.es, luttons ! ».
Le diagnostic est risible, le remède plutôt insignifiant. Le diagnostic s’opère en imaginant un agent pathogène tout puissant, un démiurge pressé de dominer le monde en commençant surtout par la grammaire (les plus fins reconnaissent qu’il domina aussi en grammaire). Puis se décide l’entrée en résistance, pas moinsse ! Le médecin-pharmacien singe alors ce qu’il imagine l’agent pathogène et bavarde, montrant à tous combien son méchant fut créé à son image. Avec l’épicène, c’est moche ; mais l’action est jugée utile par les résitant.es, et parfois justifiée par les fous d’en face, adversaires persuadés de servir le démiurge honni (un homme blanc carnophallogocentrique). Et l’on roule sur la pente du bavardage, entre soi, tranquilles, autour d’un chocolat chaud dans un bar à chats. Le conseil est donné, que roule le monde ! Qui n’écoute pas est déjà un salaud. C’est orgueilleux, mais c’est mignon.
Ainsi je puis jurer n’avoir jamais croisé de tenant.e de l’épicène passionné.e par le sort des pauvres et occupé.e concrètement d’action juridique ou sociale. A leur décharge, s’ils existent, on ne croise dans la vie que ses semblables. Mais j’en ai vu exister de loin ; ce qui m’empêcha de glisser leur bulletin dans l’urne. Pourtant je leur reconnais un peu de mérite et de cohérence. Bavard moi-même, j’ai du mal à condamner celles et ceux qui agissent, surtout lorsqu’ils sont généreux.
« En plus t’es con, et faible, me souffle un écrivain allemand particulièrement moustachu (cette année nous sommes entre collègues). Car si ces bavards sont risibles, poursuit-il, tu l’es davantage. Certes il est difficile de ne pas rire à les voir se lamenter que les mots résistent à leurs désirs. Ils se lamentent quand il ne leur reste plus que ça pour vivre, quand ils oublient que la vie et ses œuvres leur résiste davantage. Ils ne voient rien, et croient tout dominer, puis s’énervent de la seule chose qu’ils voient leur échapper. Donne-leur ce qu’ils demandent, laisse-les se libérer du passé, s’offrir un langage tout conforme à leur pensée. Enfin libres, il s’y loveront, et pourront y mourir. Certes ils t’agacent à se bercer d’illusions démocratiques, mais tu ne fais guère mieux. Au fond, à leur exemple, à trop te plaindre, tu restes ce petit bourgeois que tu n’as cessé d’être. Ta barque coule seulement plus vite que la leur. Mon petit bavard bien policé, deviens plutôt ce que tu vises, et joue, avec leurs règles comme avec les autres. Et puis oublie. »
Nan, mais quel connard lui !
L’abus pharmaceutique

Bon, là c’est pas un Titan, c’est Chronos, un Géant qui mange du Titan.
Un remède pouvant se révéler poison, certains poisons peuvent se révéler remèdes. Alors, à trop chasser les poisons, on détruit des remèdes. Tels de zélés scientistes dévoués à leur cause, nous jetons les recettes anti-gueule de bois de nos mémés pirates. Ho, mais c’est que l’apothicaire n’est pas toujours raisonnable lorsqu’il se fait pharmacien ! A trop attaquer la nature, le chirurgien devient bourreau. Un jour nous tuerons le placebo.
Nos Titans, plus particulièrement, attaquent l’histoire (ceux qui s’en prennent aux produits de la nature attaquent l’histoire naturelle, avec des forces issues de la nature). Certes ils n’ont pas toujours tort. Mais nul ne doit se vanter de bâtir à la mode Néron, et d’écrire comme Rousseau démonte les théâtres. Suivons plutôt Jean-Jacques élevant Emile, et lui conseillant de ne pas trop facilement critiquer la société qui les ont élevés, son regard critique et lui. Détruire une institution n’est pas toujours ordonner une pratique, c’est détruire une institution.
Pratique : l’institution contre l’anarchie ?
Tournons-nous un instant vers la pratique et l’institution, afin de penser leur complémentarité et possible contradiction. Le philosophe gallois (eh oui ! ça existe), Alasdair MacIntyre, opère cette distinction à partir d’une autre distinction, entre biens internes et biens externes à une pratique. (Il faut absolument lire Après la vertu). Toute pratique, toute activité, permet de jouir de biens internes inhérents à cette pratique (et souvent appréciés des seuls pratiquants, professionnels ou amateurs). Certaines pratiques permettent de jouir indirectement de biens externes à cette pratique (argent, gloire, etc.). Le pratique du tennis apporte le plaisir du bon coup ou de la tactique, et davantage au joueur excellent qu’au débutant ; le tennis apporte aussi primes et célébrité lorsqu’il est en vogue. Voilà la complémentarité. Voici la contradiction : lorsqu’un individu pratique pour les biens externes. Normalement, au cours de l’éducation, la contradiction devient complémentarité, comme lorsque le petite débutant aux échecs se met à apprécier le plaisir de jouer plutôt que les bonbons associés à la victoire (ce à quoi tout le monde ne parvint pas). Parfois, à l’inverse, les biens externes pervertissent la pratique : on simule une défaite, ou l’on joue à la mode des parieurs.
Idéalement, l’institution s’occupe de gérer les biens externes associés à une pratique ; idéalement, la détermination des biens internes (dont les normes et modèles d’excellence) relève des praticiens. Complémentarité idéale. Mais, parce qu’elle dispose de l’argent, l’institution peut former les apprentis praticiens et ainsi imposer ses règles à la pratique. Certaines institutions finissent par préférer leur pérennité à l’excellence de la pratique : du népotisme en politique à la mauvaise formation des garagistes par les mauvais garagiste (qu’on m’a dit, pour un certain département). Bref, nullité des formateurs, dirigeants corrompus, copinage, paresse, etc. En particulier, au nom d’un démocratisme privé de biens internes, l’ouverture au public se passe d’initiation, et n’est plus qu’extension du marché. Les règles de l’art deviennent les règles du succès public, et s’effacent le sens de l’histoire, les étalons d’excellence, l’humilité devant la grandeur, le courage de progresser et la sincérité sur son niveau et ses capacités (MacIntyre expose très bien ces trois dernières vertus). Arrive le temps des règles et des canons. L’excellence est réduite à un devoir social défini par les zélés institutionnels et instituteurs du temps. Les praticiens sont priés de renoncer à l’autonomie et à l’anarchie, car le temps n’est plus à la loi, mais au pouvoir. C’est le temps d’une adaptation, souvent nécessaire, nécessairement triste.
La morale contre l’anarchie !
L’affaire devient plus folle lorsque les institutionnels admettent explicitement n’avoir cure de l’art pour l’art, mais agir au nom de la cause (ou de la chose, de la Sache note Max Weber). Alors, on ne peut plus rien dire.
Et puis, dada du billet, les atteintes à la langue, que la Cause et son Organe appellent « langage ». Sémantiques d’abord, et la « réclame » devient la « communication », « l’oeuvre » un « concept », et le « travailleur » un « technicien ». Puis syntaxiques.
Car la langue, réalité multiple, petite pratique anarchique persévérante, doit être normée, et suivre les causes : l’entreprise, la rapidité, les femmes, les opprimés. C’est explicite, c’est le mode d’emploi. (Avouons-le, je m’obnubile du présent, au point que le futur pourrait m’humilier, car il y a tout ce que je ne vois pas, et le passé que j’oublie peut-être). Et derrière toutes ces causes, l’utile. L’utile, qui transforma l’anglais en globish, le français en franglais, et l’accord du pluriel en épicène. Ce globish qui n’a pas l’utilité du jargon, mais celle de l’impersonnel, du on, celle d’un langage où les gens ne sont plus des personnages mais des fonctions ou des extraits de classes sociale ; utilité d’un langage où nos destinataires ne sont plus que « chers tout-es ».

Anarchiste immortel
D’ailleurs cette gentille organisation anarchiste qu’est l’Académie française, parait-il fort friande des jargons, apprécie fort peu le globish. — Oui, l’Académie, fondée par Richelieu, sans doute financée par l’Etat, où l’on porte un costume au coût exorbitant, est une organisation anarchiste, du moins quant à la pratique où elle prétend exceller. Les lois qu’elle propose ne sont pas coercitives ; vous restez libre de ne pas les suivre, sans peine aucune (si ce n’est le mépris des autres pratiquants ou l’absence de plaisir).
Dada annexe : la féminisation des titres et professions. C’est un problème délicat. Surtout au plan esthétique. Dans une belle lettre, ou un récit bien fincelé, ça peut être bien vu. En revanche, sous un discours, au-dessus d’un paraphe, ça me dérange. J’ai l’impression d’une leçon de morale. De la moraline direct en intraveineuse institutionnelle.
Effet direct : j’imagine une bien triste scène. Des régulateurs auto-proclamés du langage sont réunis, et s’escriment à pourfendre tout écrivain écrivant « écrivain » même pour parler d’une dame ; puis, au milieu du conciliabule, un fait nouveau émerge, l’écrivain se révèle être lui-même une dame ; alors nos héros se mettent les mains sur la tête, puis se désolent d’un monde qui marche sur la tête. Je les vois bientôt conclure : « Franchement je ne comprends pas. Ils ont du talent, certes, mais trop d’orgueil encore. Qu’importe leur présumé talent, ils doivent le mettre au service du Bien, de la Cause, de l’Action. C’est leur Devoir, de servir la Lumière Vraie de la Science Juste. Ils ne le voient pas en plus qu’il ont tort ? Leur respect vieillot est complètement suranné : la linguistique, l’histoire et la sociologie le prouvent ! » (A la décharge des héros de mon délire, reconnaissons-leur qu’il est d’excellents linguistes dans l’art de tuer les langues et les écrivains. D’ordinaire, soucieux de ne pas leur causer de peine, nous les ignorons ; proutant il faudra le leur dire un jour, si nous les rencontrons, qu’il sont des buses ; puis il faudra les guider vers lettres et la vie, voire vers des linguistes compétents).
Si le passé fut injuste, il n’empêcha pas le présent. Pourquoi sommes-nous si pressés d’oublier l’histoire ? Un jour le pouvoir appuie les aspirants instituteur-tionnels, le pouvoir écrase la pratique, et chacun s’en réjouit. Alors je me désole. Quant viendra l’épicène, le laid gouvernera. Chouette !
Destruction d’un beau remède
Comprenez-moi, torturant la langue malgré moi et avec toutes les peines du monde pour ne pas le faire, je jalouse ces innocents. A eux les mains pleines ! Et quelque part je les comprends, car ils sont pressés de faire bien. Mais redisons-le : agir sur les mots n’est pas agir, même si les mots nous illusionnent et nous bercent. Pharmakon efficace, la dénomination joue entre reflet et exploration, libération et métanoïa, instruction et endoctrinement (normalement on cite Camus). Agir sur les mots n’est agir qu’indirectement, par dressage.
Or la langue n’est pas seulement un langage à corriger, une syntaxe à reprendre, ou une sémantique à réformer (contre laquelle se révolter). La langue nous offre refuge. Elle est belle, distante, coquette (nous échappe sitôt qu’on croit la saisir ou savoir l’imiter), si loin de la myopie du présent. Les mots, vieux et nouveaux, y jouent un jeu libre, et nous invitent dans leur ronde. Occasion de l’analyse et du recul, la langue vaut essentiellement comme beauté. Même quand on se rate. Alors, s’il faut ne pas la figer, évitons de la gâcher. Et si les goûts évoluent, sachez que des arguments comme « c’est bien » ou « c’est pratique » ne sont pas affaire de goût, mais de laideur — plus jeune ou plus saoul, j’aurais parlé de fascisme.
(Merdum ! Après la critique de la technique et la crainte du on, l’éloge de la langue. Je risque une bonne reductio ad heideggerium. Bon, c’est toujours moins pire que la reductio ad illisiblum, mais malheureusement pas incompatible).
De plus, à refuser le refuge, c’est le sens des choses qui pourrait se refuser à nous. Il échappe bien à Faust, pourquoi pas aux contemporains ? Goethe le propose dans l’amour, au-delà de la science. Je l’espère aussi dans les dons de l’histoire, dans les traditions et les nouveautés, dans l’opportunité et la désuétude (dans un français courtois par-delà le français bourgeois). Malheureusement nos pharmaciens visent l’éternité… quittes, et c’est là le prix de leur illusion, à nous enfermer dans l’instantané. Un prix funeste. Méphistophélesque.
Râle dans un monde valeureux et sans histoire
M’enfin ces pauvres diables n’attaquent qu’une règle grammaticale. Et vouloir adapter la langue à sa vision de la société est bien légitime (tant que l’adaptation n’est pas moche, et ne renonce pas à cultiver). On a vu pire. D’ailleurs, pendant ce temps, d’autres font bien pire ; des projets d’endoctrinement plein la tête, et surtout, plein la tête des enfants. C’est l’histoire d’une institution qui fanfaronne, et trahit ses praticiens.
Valoriser la jeunesse
Par exemple, qu’est-ce qu’une valeur ? Il y en aurait de vraies, les « vraies valeurs ». Si j’en crois les brochures scolaires, elles sont importantes, et deviennent étendards, mantras, et clips pour le respect à l’école. La société va mal, l’Ecole va mal, il y a une crise de l’éducation, de l’autorité (il y a toujours cette crise ; petite remarque ici), et les bavards bavardent, jusque dans les écoles. Ils plastronnent, partout ils crient « Valeur ! ». Bientôt les gosses en dégueuleront, des valeurs ; et certains avalent déjà n’importe quoi.
Dit plus gentiment : pratiquant son action au moyen de la parole, le politique pourrait oublier que toute action ne se résume pas à la parole. Ou à la parole du communicant. Peut-être faut-il de véritables discours.
Qu’est-ce qu’un enfant, répétant, à l’envi, « respect » ou « tolérance » ? Rousseau aurait reconnu un perroquet, un « petit Docteur », et crié critiqué cette parodie d’éducation, affirmant que l’intelligence d »un enfant s’arrête à « gentil », « méchant » ou « bien élevé ». Mais Jean-Jacques l’aurait calmé, lui rappelant comment les parents confondent parfois certains mots à dessein, afin d’éduquer leurs petits. Maintenant, filmez cet enfant récitant Place de la République ; produisez un spectacle de réconfort, puis interrogez un chroniqueur. Alors le chroniquer s’émeut, de son bel accent du sud : le monde est en marche, et les petits au niveau de la chronique : occupés à répéter du prémâché. (Bon, on l’oblige à parler ce chroniqueur, du coup il est à moitié excusé).
Et voilà l’éducation quittant l’espace public, sous vos applaudissements. L’endoctrinement lui ressemble si bien. (Le chroniqueur éduque en privé ses enfants, il remarque à peine sa disparition publique).
Déconstruire ou…
Mais rassurez-vous, l’éducation quitte aussi l’école.
(Vous connaissez la blague : « Qu’est-ce qu’on fait quand on ne sait pas faire quelque chose ? On l’enseigne ». Et bien laissez-moi rajouter le cruel appendice : « Et quand on ne sait pas l’enseigner ? On enseigne à l’enseigner ». Histoire vraie très vécue, malgré, comme toujours, de grandes exceptions).
Voici venu le tour des pédagogues, soufflant à l’oreille du pouvoir, et obnubilés par LE pharmakon préféré : le langage, toujours. Il faut modifier le langage. Il faut apprendre aux enfants à dé-construire les arguments des autres, et réciter des valeurs ; ils construiront leurs propres arguments plus tard. (C’est marrant, on dirait que je cause du sexe et du genre, alors que j’ai été atterré par une intervention de Madame leoulacommeelleveut Ministre sur le terrorisme).
A l’école, à la réforme du langage, on adjoint deux réformes en guise de side-kicks : celle des programmes, celle de l’enseignement. Batman et ses deux Robin. La tendance 2015 fut à l’invocation de l’informatique et du travail en groupe. Pas du tout des poisons quand ça arrive trop tôt ces trucs, pas du tout. (Profitez de l’utilité du correcteur d’orthographe dès l’école primaire ; c’est fou la paresse). Vous rajoutez les valeurs, et vous obtenez : un nouveau projet. Doit au cœur ! Des mots ! Des thèmes ! (Et encore, tous ces points d’exclamations sonnent faux… ces gens-là ont-ils une âme ?). Des thèmes, voilà la solution. Des thèmes et des petits travaux. Finies les dictées. Finies les fables. Finies les histoires édifiantes. Vous pouvez dicter les consignes (ça c’est du vrai, de l’entendu dans ma radio).
…se raconter des histoires ?
D’ailleurs, au diable les histoires. Place à la nouveauté, à la topologie des temps passés et présents ; car d’histoire, il n’est plus question. Des fables en primaire, un roman national au collège, et sa critique au lycée ? Voilà un projet pédagogique fort complexe, un mauvais truc : du détestable. L’approximation pour les enfants, la critique pour les ado ? Quelle idée ! Il faut du vrai pour tous les âges, d’une vérité à la portée des enfants. Pour l’opinion, le doute ou la finesse ? Allez donc en Australie. Et pourtant… comment nos gamins lutteront-ils contre les histoires des fous et des méchants ?
« Une thèse centrale commence à se dégager : dans ses actions et ses pratiques, ainsi que dans ses fictions, l’homme est par essence un animal conteur d’histoires. Il n’est pas par essence, mais devient, un conteur d’histoires qui prétendent à la vérité.
Mais la question principale ne porte par sur la paternité des récits ; je ne peux répondre à la question « Que dois-je faire ? » que si je peux répondre à la question précédente, « De quelle histoire ou histoires je fais partie ? » Nous entrons dans la société humaine avec un ou plusieurs rôles imposés, ceux pour lesquels on nous a formés, et nous devons apprendre en quoi ils consistent afin de comprendre comment autrui réagit face à nous et comment nos réactions face à autrui peuvent être interprétées.
C’est en écoutant des histoires de marâtres méchantes, d’enfants perdus, de rois bons mais mal conseillés, de louvent qui allaitent des jumeaux, de fils cadets privés d’héritage qui doivent faire leur chemin dans le monde et de fils aînés qui gaspillent leur patrimoine en débauche et partent en exil vivre avec des pourceaux, que les enfants apprennent (bien ou mal) ce que sont les enfants et les parents, ce que peut être la distribution des rôles dans la pièce où ils sont nés et comment va le monde.
Privez un enfant d’histoires, vous en ferez un bafouilleur anxieux et mal préparé, dans ses actes comme dans ses paroles. Il est donc impossible de nous faire comprendre une société quelle qu’elle soit, même la nôtre, autrement que par l’ensemble d’histoires qui constituent ses ressources dramatiques initiales. La mythologie, au sens originel, est au cœur des choses.
Vico avait raison, et Joyce également. La tradition morale qui va de la société héroïque à ses descendantes médiévales a donc également raison d’affirmer la nécessité de conter des histoires pour nous apprendre des vertus ».
Alasdair MacIntyre, Après la vertu, chap 15, p.210 (trad. Laurent Bury)
Contempler le remède
« Tu doutes encore ? Ne t’inquiète pas. Si tu ne croises pas de pédagogue, ne doute pas. Demande, au directeur, à l’inspecteur, au proviseur. Eux savent. « L’éducation contre la barbarie ». C’est un slogan, ne lis pas « l’endoctrinement contre l’endoctrinement », tu serais triste. L’instruction et la culture sont au mieux de vieilles lunes, au pire une ruse des dominants. Toute critique n’est qu’un cache misère pour professeurs ronronnants et paresseux. (En plus c’est vrai). Il n’y a qu’un seul moyen d’aider les enfants à s’en sortir malgré leurs éducateurs : apprends-leur à apprendre. Fais ce qu’on te dit, et si ça rame, apprends leur à apprendre à apprendre, en récitant les règles et compétences pour apprendre à apprendre. Et avant tout, larme à l’œil, récitons nos valeurs, les bonnes valeurs ».
Heureusement et gros coup de pot (sans ironie aucune), que c’est vrai. Nous avons en effet de bonnes valeurs. La « tolérance », par exemple, qu’est-ce, sinon un heureux don de l’histoire ? Merci Castellion, Merci Voltaire, Merci Montaigne, Merci la France, et les Français. Les salauds sont obligés de régner avec, et ça les arrête encore un peu. Peut-être est-elle même une excuse pour certains d’entre eux, se laissant aller à l’endoctrinement parce qu’ils devinent une idée qui le transcende. Merci à vous aussi les salauds, de n’être pas si maléfiques, alors que je vous réduis à ce que vous avez de plus mauvais. — Ça n’est pas très charitable. M’enfin, vous vous en foutez. Et puis votre paresse… laisser faire des gens qui vous disent savoir faire(si facilement) ; et ma paresse… à vous laisser les laisser faire.
De divagations en divagations, autour d’un remède bien souvent transformé en mal (par amour du remède pour le remède), nous retrouvons le bonheur. Fort heureusement se découvre aussi le sérieux des instits, gens de bien ménageant volonté de bien faire, précarité de l’emploi, et incertitude pédagogique (dont la fécondité échappe à leurs patrons). Heureusement demeurent quelques institutions exigeantes pour tous. Heureusement d’honnêtes gens s’ingénient une petit peu. Heureusement que tout le monde ne passe pas sa vie à se lamenter et à accuser les autres. Autant de petites au milieu du caillou dans la chaussure. Plein des pépites ! Je vous le disais, ces derniers temps, je suis content, je contemple.
4 février 2016 à 21:27 Noblejoué[Citer] [Répondre]
@ Luccio
» La cité, par exemple, est un remède à la fragilité inhérente à l’isolement de l’individu ; mais elle l’empoisonne aussi, puisque la proximité mène à la violence. A ce poison-remède, un nouveau remède : les lois ; à nouveau poison, puisqu’elles pérennisent quelques violences sociales. Etc. Le pharmakon appelle le pharmakon ; or l’homme est un pharmakon ; donc l’homme invente des pharmaka (pluriel de pharmakon). L’homme-remède s’est inventé pharmacien. »
Incroyable comme on parle de tout sauf du bouc émissaire ! Même si René Girard a fini par être traité de philosophe, si je lis un livre d’entretien de lui et d’un philosophe… Comme je comprends sa réticence envers la philosophie !
Il remarquait que contrairement à la bible et à divers romans, elle *ne repère pas le désir mimétique (je désire ce que l’autre désire, d’où rivalité, d’où violence ) violence purgée par le bouc émissaire pressentie avant Girard, prouvé par lui, confirmé dans la viande par les neuronnes miroirs !
Cela et d’autres choses me font demander, mauvais esprit, si les systémes philosophiques n’ont pas, pour une part du moins, pour objet, de se masquer certaines réalités.
Je suppose que c’est une question qui a déjà été posée mais j’aimerais savoir les réponses qui y ont été données et la vôtre.
Bon, je continuerais la lecture de votre Prométhée dont le début m’a scandalisé par cette lacune. J’ai eu envie de ne pas réagir, parce que je n’aime pas trop attaquer, mais en somme, comme la mort de René Girard est passée bien trop inapercue, je me dis que l’oubli ne passera pas par moi, au moins.
Mais là, je ne peux pas.
Néanmoins, j’ai bien souri de votre moquerie contre Kant, ceci dit, je me demande, autre question, si des intelligences artificielles ne pourraient pas être interressées par Kant parce que ses critères sont universels et ont donc une apparence de comment dire ? Scientificité, peut-être, et aussi parce que, par définition, contrairement aux hommes, elles manqueraient beaucoup d’expériences et seraient tentées par les a priori… Mais cela pourrait avoir des avantages pour les hommes, kantiennes elles se moqueraient qu’on ne reconnaisse pas leur droit à l’existence, intelligence et le reste, et elles ne disrimineraient pas certains hommes.
* En fait, exception, Nietszches avait repéré les victimes mais au lieu de les défendre, déplorait qu’on les défende, accusant cette attitude d’aller contre la vie.
5 février 2016 à 12:52 Luccio[Citer] [Répondre]
Comme vous avez raison. A parler franc, j’avouerais l’oubli. Mais je vais tenter de filouter.
Tout d’abord, rappelons le rôle de l’appel au bouc émissaire dans la philosophie de René Girard. Il s’agit d’expliquer l’organisation sociale des sociétés, qui commencèrent non pas énumérer des lois fondées en raison, mais des interdits et des prescriptions adossés à des mythes. Girard s’intéresse à l’origine des mythes.
Résumé : les premiers rassemblements humains, lorsqu’ils ne crèvent pas la dalle et prennent le temps de se quereller pour des broutilles, n’ont pas même l’idée d’un ius talionis, et se contentent d’un régime de vendetta. Mais le cycle de violence allant trop loin, un jour ils s’emportent, et certains décident de s’arrêter (par crainte, dégoût, peur du désordre ; je n’en sais rien, car je ne connais ni leurs mots ni leurs sentiments). Alors, par prévention, ces sociétés se racontent l’histoire de ceux qui ont su s’arrêter, en insistant sur celui qui fut coupable mais n’appela pas à être vengé, dernier méchant, premier gentil : le bouc émissaire (en grec ce serait pharmakos, à ne pas confondre avec pharmakon). La pensée et les mots d’alors étant ce qu’ils sont, tous ces éléments sont mêlés dans des personnages-types, auxquels on confère parfois le statut de dieux dont l’exemple puis l’action accompagnent encore les hommes, et qu’il faut suivre. On tient là l’origine des mythes, l’explication de la formation de société pacifiées, et l’intérêt des romans.
Voilà donc pour le fait et l’origine, mais il n’est peut-être pas suffisant pour passer au droit, et d’autres fondements anthropologiques peuvent motiver l’union civile et l’existence des lois. Au-delà de l’imagination, la raison peut réfléchir sur ce qui nous est réellement utile (aurait remarqué Spinoza). C’est ici le cœur de ma réponse, mais je filoute juste après !
Les mythes premiers, les grands faits divers et les histoires nous influencent (l’innocent condamné), mais la raison apporte sa part, et découvre peut-être des fondements essentiels qui n’étaient qu’en germe dans les mythes (la présomption d’innocence).
Par exemple Hobbes propose de penser un contrat social à partir de la crainte de l’extérieur, de celle de l’intérieur, et de l’intérêt pour la richesse. Peut-être tout cela expliqua-t-il aussi le succès des mythes primitifs, même si c’était moins patent. Les motifs on pu changer.
De même Locke motive-t-il l’union civile par la fragilité de l’homme face à la nature (c’est ici que je filoute). Supposons-nous un peu éduqués et altruistes : il faut tout de même travailler et organiser la distribution des fruits du travail. Voilà un état de nature pacifié, ou en tout cas un état-préjuridique, même si post-éducation. Des lois de répartition semblent alors nécessaires, mais risquent toujours de bénéficier à une classe davantage qu’à une autre. Elles sont un remède mais aussi un mal possible. Dès lors la loi apparaît comme un pharmakon, même s’il ne fut pas le premier pharmakon social.
Une petite remarque des systèmes philosophies (à distinguer des petites analyses bavardes) : ils ont l’air de vouloir tout totaliser, tout faire rentrer dans leur idée. Dès lors on peut se moquer et leur reprocher leur oublis, en les décrivant comme des bêtises, ou pire, comme des cachoteries.
Cependant il faut être charitable avec les grands auteurs de systèmes. Ils me semblent au contraire obsédés par ce qui échappe par nature échapper à leur système, et s’obligeant à la forme classificatoire, comme à la penseé en systèmes (principes et génération d’idées) — songeons aux rôles de la Négation et de la Différance chez Hegel ou Derrida. Ces systèmes ont un grand mérite : ils se savent souvent incomplets, ou reposant sur un inexplicable (juste constatable, un truc à seulement observer, supposant une « phénoménologie »).
Quant à René Girard, l’éclipse de la nouvelle de son décès et le faible retentissement des hommages peuvent s’expliquer par le contexte. Je sais que j’évoquai ses théories un mercredi et son souvenir le lendemain, mais je sais d’abord et suis absolument certain que les attentats de novembre eurent lieu le vendredi. Mais je crois que vous saviez déjà qu’ici on apprécie cette petite affaire qu’est le désir mimétique.
6 février 2016 à 20:06 Noblejoué[Citer] [Répondre]
@ Luccio
» Ils me semblent au contraire obsédés par ce qui échappe par nature échapper à leur système, et s’obligeant à la forme classificatoire, comme à la penseé en systèmes (principes et génération d’idées) — songeons aux rôles de la Négation et de la Différance chez Hegel ou Derrida. Ces systèmes ont un grand mérite : ils se savent souvent incomplets, ou reposant sur un inexplicable (juste constatable, un truc à seulement observer, supposant une « phénoménologie »). »
Si j’ai bien compris, vous pensez que les philosophes sauraient les limites de leur systèmes et auraient une méthodologie aussi sérieuse qu’en science.
A ce propos, idée : vous pourriez expliquer les similitudes-différences entre les deux démarches…
Et entre la philosophie et la théologie, qui, comme la théologie, fait système.
6 février 2016 à 21:41 Luccio[Citer] [Répondre]
Coucou !
Tout d’abord, pour aller contre une de mes remarques, et compenser la sensation d’indigestion mentale que pourrait provoquer la lecture du gros pâté ci-dessus, le rapport sur la nouvelle orthographe. Petit scoop : Maurice Druon écrit bien mieux que moi.
Sur les philosophes et les systèmes, je tenterais bien de faire venir un philosophe systématique pour une réponse. Peut-être pourrait-il faire remarquer comment les philosophes systématiques peuvent avoir leur méthodologies, souvent des anti-méthodo : abstraction et composition pour l’ontologie, analogie pour l’hénologie (ou Derrida et sa déconstruction, et peut-être l’herméneutique), phénoménologie pour Hegel (ou considération de la Durée chez Bergson, et autres phénomènes chez les phénoménologues).
L’ontologie serait davantage méthodo, davantage proche de l’état dit de « science normale », quand les sciences conquièrent un programme. Même si l’ontologie peut découvrir par abstraction non pas des choses, mais des désirs, des âmes, des vertus, etc.
Et je crois que la théologie classique se range du côté de l’ontologie (Thomas d’Aquin — qui pratique toutefois diverses sortes de preuves), tout comme le font les théologies plus phénoménologiques, que je ne connais pas du tout. Je suis encore moins qu’un amateur dans ces domaines, et j’invite la moindre âme perdue sur ces pages à venir satisfaire votre curiosité.
6 février 2016 à 23:44 Noblejoué[Citer] [Répondre]
@ Coucou !
» Petit scoop : Maurice Druon écrit bien mieux que moi. » Hum, je lirais votre lien plus tard, moi j’aime bien quand vous écrivez, entre autre :
« De même Locke motive-t-il l’union civile par la fragilité de l’homme face à la nature (c’est ici que je filoute) » pour attirer l’attention. Surtout des gens qui pourraient penser que les philosophes trichent pour faire tout coincider comme certains enfants rabotent les pièces de puzzle pour qu’elles tiennent.
Mais venons-en au fait, vous dites :
» Des lois de répartition semblent alors nécessaires, mais risquent toujours de bénéficier à une classe davantage qu’à une autre. Elles sont un remède mais aussi un mal possible. Dès lors la loi apparaît comme un pharmakon, même s’il ne fut pas le premier pharmakon social. »
Très juste ! Mais les anarchistes et autres font eux-mêmes de la loi un bouc émissaire en la prétendant l’origine des problèmes. Comme si d’une part, sans loi, les singes étaient forcément formidablement égalitaires, et que sans loi, il n’y aurait pas désir mimétique donc rivalité donc violence donc bouc émissaire.
Tout ce qu’on peut dire de la loi, c’est que comme le bouc émissaire, comme la religion (aussi bouc émissaire de bien des gens) elle est un dispositif de régulation.
Tant que les hommes seront ce qu’ils sont, je ne vois pas comment ils pourraient se passer de ces protections.
Comment pourraient-on améliorer ce dispositif ?
7 février 2016 à 12:32 Luccio[Citer] [Répondre]
Et bien l’on tombe ici dans les problèmes de philosophie politique tels que Rousseau les a créés : envisager une façon de produire la loi qui puisse lui donner un contenu honnête, et produire des sujets se sentant citoyens (et dans la production de la loi, et dans les effets que la loi produit sur eux). Des écarts à cet idéal, découlent les critiques contemporaines du politique (contenu illisible, absence de consultation, dépossession du sentiment de citoyenneté), et les pistes plus ou moins nouvelles : insister sur la discussion (faire de la possibilité de la discussion un outil pour construire des lois), le tirage au sort (pour la citoyenneté), l’obligation du vote, etc.
7 février 2016 à 20:40 Gnouros[Citer] [Répondre]
Ça part loin : d’une critique du transhumanisme pour aller à la critique de la critique du langage par ces saletés de féministes et autres queer en tout genre. Mais on a envie d’arroser l’arroseur qui arrose les arroseurs en les accusant de manque de décentrement. Car ces milliardaires de la Silicon Valley, qui « rêvent l’humanité telle qu’ils la vivent » (dixit Luccio), lisent le monde à partir de leurs propres intérêts d’arrogants dominateurs. Mais n’en est-ce pas de même pour l’auteur du présent pamphlet, que l’on devine à coup sûr être mâle, blanc, adulte, jeune, hétérosexuel, en bonne santé, CSP+, qui donc ne ressent pas la violence symbolique ? Et ne la ressentant pas à la première personne, la considère comme ne pas exister ? Et ne se rend pas compte qu’il contribue justement à la perpétuer par son discours ?
Par ailleurs, dire que « le diagnostic est risible, le remède plutôt insignifiant » par rapport au langage épicène ou politiquement correct n’est pas sûr. Je ne comprends pas bien en quoi il faudrait désespérer parce que l’on ne nomme plus les gays des PD ou des invertis, les noirs des négros et des bamboulas, les maghrébins des bougnoules, les trisomiques des mongoliens. En quoi cela ne pourrait-il pas faire partie d’un processus de civilisation à la Norbert Elias, indiquant que l’humanité se refuse à la violence et s’adoucit, y compris dans le langage ? Mais sans doute notre auteur regrette-t-il les ardeurs et fureurs du Moyen Âge. Je me souviens pourtant d’un temps où Luccio était vaguement lévinasien, et rêvait d’une humanité enfin capable d’accueillir l’épiphanie du visage de l’autre avec grâce et souplesse.
Du reste, un peu d’empirie ne peut pas faire de mal. Il existe certaines études montrant que le parler « politiquement correct » possède des répercussions plutôt positives, comme ici par exemple, où l’on montre que respecter ces contraintes du langage stimule l’intelligence des individus : http://digitalcommons.ilr.cornell.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1921&context=articles. Un peu comme les contraintes du langages permirent la littérature de l’Oulipo. Cet aspect du jeu de langage mériterait d’être analysé. C’est pourquoi dire que « Agir sur les mots n’est agir qu’indirectement, par dressage » est loin d’être sûr.
Et l’on arrive presque sur un demi-aveu : « Ainsi je puis jurer n’avoir jamais croisé de tenant.e de épicène passionné.e par le sort des pauvres et occupé.e concrètement d’action juridique ou sociale. » Sans doute parce que tu ne croises pas les bonnes personnes : il y a un biais important dans ce constat empirique, lié à ton environnement. Et je lis la phrase suivante, qui par conséquent est forte juste : « A leur décharge, s’ils existent, on ne croise dans la vie que ses semblables. ». Voilà. Car la plupart sont d’extrême gauche et rêvent de sauver l’humanité en général (ce qui n’est pas pour autant les racheter). Pensons à Derrida, montrant du doigt les carnopahalogocentristes. En rajoutant un soupçon de Bourdieu, de Deleuze et de Foucault, cela donne la pensée critique contemporaine classique, autrement appelée French Theory, qui s’empresse de dénoncer l’infâme où qu’il soit, et qui est le cadre théorique de tout les militants du langage que tu attaques. Reprocher le manque d’humanité, de compassion, d’empathie, de sympathie, de pitié ou que sais-je encore de ces individus, en ne jugeant que l’on peut réduire tous leurs penchants à des intérêts égoïstes de classe ou collectivistes, visant à séparer une communauté d’une autre loin de tout projet universaliste, tout cela est factuellement faux.
En effet, le concept d’intersectionnalité est là pour le montrer : https://fr.wikipedia.org/wiki/Intersectionnalit%C3%A9. Tout comme les recherches d’Elsa Dorlin, qui montre que derrière tous les discours justifiant les inégalités (racisme, sexisme, inégalités sociales), il y aurait comme une épistémè (voir Foucault) donnant corps à tout cela et imposant une Weltanschauung. Mauvais procès, donc, de jeter la pierre aux féministes en les accusant de ne lutter que pour leur chapelle, ou bien aux antiracistes qui en feraient de même : c’est bien une lutte avec quelque chose d’universel et de sous-jaçent qui se joue.
7 février 2016 à 20:52 Noblejoué[Citer] [Répondre]
@ Luccio
En effet, vous avez raison, Rousseau a créé bien des problèmes… En surévaluant la loi, par exemple, qui est une protection contre la violence mais dont la notion d’honnêteté me semble assez subjective, une loi à mon avis incapable de faire des citoyens. C’est parce qu’on est citoyen qu’on se donne une loi, c’est pour se protéger de la violence. Comment peut-on prendre la fin pour le début ? C’est comme si on croyait que c’est l’Académie française qui fait le français – enfin, j’imagine que les « immortels » se laissent parfois aller à le croire.
La surévaluation de la loi ne peut qu’inciter à des abus du pouvoir qui se croit tenu de légiférer sur tout, ne peut que décevoir les citoyens qui ne peuvent qu’être décus que la loi n’ait pas résolu les problèmes qu’elle ne peut, par sa nature, résoudre.
Abus d’un côté, activisme ou incivisme de l’autre… Sur un tel nid de contradiction, le recours au sauveur genre Napoléon, ne doit pas étonner.
Non, j’aurais dû demander comment d’une part équilibrer les pouvoirs, non seulement entre les trois pouvoirs mais aussi par exemple entre l’Etat et les entreprises, et d’autre part promouvoir les droits de et à des individus sans empiéter sur les droits, justement, de ces derniers ?
En somme comment empêcher le mal et promouvoir un bien qui ne se retourne pas contre lui-même de se vouloir total ?
8 février 2016 à 0:50 Noblejoué[Citer] [Répondre]
@ Luccio et Gnouros
Vous avez tout de même un point commun, être contre le transhumanisme.
Si on ne se réconcilie pas sur le dos de l’ennemi, à quoi bon en cultiver ? Parce que les transhumanistes ne cherchent personne, on les cherche… Si d’aucuns veulent souffrir et mourir, d’autres ne veulent pas et de quoi ne les accuse-t-on pas ?
S’ils proposent leur idée, de vouloir forcer les gens, s’ils restent dans l’entre-soi, de vouloir la vie immortelle et de laisser égoistement mourir, les affreux… Bref, ils ont tort de cesser de jouer à qui perd gagne, on souffre, on meurt, notre intelligence n’est pas si extraordinaire que cela…
… et surtout ne changeons rien à cet état de fait.
Un monde où la mort ne vient que d’accident ou d’assassinat, on pourrait rajouter de suicide, est un monde de liberté. La souffrance et la mort, si je veux… Le monde de vieillards apeurés ? C’est aujourd’hui.
Dès la jeunesse, beaucoup cherchent la sécurité de l’emploi, ce que je ne critique pas, il faut partir de la sécurité, il faut partir plus généralement d’un avoir pour y renoncer, beaucoup s’endettent donc dépendent du créancier, les vieux ont peur des jeunes quand ils ne réflechissent pas, des maisons de retraite autrement… La peur est omniprésente, elle est celle de perdre ce qu’on a ou ce qu’on croit être en droit d’avoir.
Les transhumanites, en général, sont plutôt gens non de peur mais d’espoir. Augmentation ! De capacités et de durée de vie, est leur mot d’ordre. Des riches aux premières loges ? Normal, l’appétit vient en mangeant, c’est dans les trente glorieuses, dans un autre ordre d’idées, que les gens réclamaient des augmentation de salaire. Ils étaient plus mus par le désir d’acquerir que par la peur.
Mais il est normal que dans un monde de peur, on croit les transhumanistes motivés par la peur.
Pour ce qui me concerne, c’est à part égale peur et désir qui me meuvent… Je n’ai pas eu besoin de la révolution NBIC pour me dire que la mort et la souffrance sont à éviter (sauf qu’il vaut mieux se suicider pour rester libre dans certains cas).
C’est un désir d’enfance, démons et merveilles à parts égales, comme dirait l’autre…. Pas besoin de savoir où exactement en était la science pour désirer qu’elle nous mène à bon port, probablement pas moi, mais des humains, plus tard… Divine suprise de voir que d’autres nourrissent les mêmes ambitions avec plus de moyens, tristesse de voir tant d’hommes accrochés à leur naufrage.
On s’est moqué de l’impuissance des médecins de Molière, à présent, on commence à se moquer de la puissance éventuelle de ceux qui pourraient guèrir l’homme.
Une chose ne change pas, l’Homme se dédommage de plier face à la nécessité en grognant, comme les grognards qui n’en suivaient pas moins Napoléon… Mais on peut inverser le point de vue, vouloir s’affranchir de la nécessité et pour commencer, se moquer de ceux qui en font une liberté, les qui perd gagne, les battus mais contents.
C’est la perte qui fait peur, c’est la richesse, pas seulement d’argent, qui permet de ne plus avoir peur, les renonçants, par définition, renoncent à ce qu’ils ont (les autres sont des Tartuffes) ils ne disent pas que les raisins sont trop verts, les renonçants sont le prince Siddhrta, soit le Bouddha, sont Dioclétien, homme de naissance obscure devenu empereur qui abdica pour que la tétrachie fonctionne et sauve l’empire.
Résoudre les problèmes ? Se fera, comme toujours, probablement, par la technique. Si toutefois cela advient : rien n’est moins sûr, nous ne sommes pas homo sapiens mais homo demens.
Ce n’est pas la chasteté qui a augmenté la liberté de la femme et donné un sexe sans peur d’avoir des enfants indésirés, mais la pilule.
Ce ne sont pas les seuls raisonnemnents qui nous apprenent qui nous sommes mais la science soit une théorie passée à l’épreuve du feu de la technique expériementale.
René Girard a prouvé sa théorie par les textes, mais cela a encore été confirmé par les neuronnes miroirs… Un exemple que les sciences sociales deviennent plus « dures », et pas le seul, mais celui que je n’ai pas besoin de développer.
…
Alors je pense aussi que les rapports entre les hommes pourraient être améliorés par la science.
S’il est prouvé que mieux parler aux-des faibles aide, pourquoi se l’interdire ?
S’il est prouvé que la méditation rend plus altruiste, pourquoi ne pas l’encourager ?
Mais je ne crois pas que les techniques comportementales puissent aller très loin. Certes, une constellation de petits effets pourraient finir par avoir une certaine puissance, mais en somme, les hommes se donneraient, comme d’habitude, beaucoup de peine pour pas grand chose.
Pour image, on peut apprendre à courir vite, on ira tout de même moins vite qu’on prennant un véhicule à x chevaux… Il est quand même étrange qu’un animal qui se sert d’outil pour fabriquer d’autres outils ne comprenne que même en morale, les outils ont du poids… Ainsi, on a pu dire que les romans développaient l’empathie, de même certains jeux vidéos.
Mais et la chirugie ? Je me demande si la chirurgie, pour les volontaires, si on avait eu des résultats probants, ne serait pas plus décisive ?
Ainsi, bonne nouvelle, l’altruisme pur existe, quoiqu’ait pu en dire trop de religieux et philosophes :
http://www.scilogs.fr/l-actu-sur-le-divan/laltruisme-pur-un-espoir-pour-le-monde/
Mais bon, c’est assez faible, qui sait si en accroissant la zone responsable de la chose, on ne deviendrait pas plus altruiste ?
Il se peut que sur cet exemple, je sois sur une fausse piste.
Mais ce n’est pas en essayant de bien voir qu’on corrige la myopie mais grâce à des lunettes ou à de la chirurgie et il me semble que les incitations verbales au bien n’ont jamais eu une efficacité si grande qu’on puisse dédaigner d’autres approches.
9 février 2016 à 8:43 Gnouros[Citer] [Répondre]
Pour ma part, j’ai tout de même peine à condamner le transhumanisme si rapidement. L’homme est d’emblée dans un processus de dépassement de sa nature par la technique. Je connais de nombreux transhumains, ravis de porter lunettes, lentilles, sonotones, prothèses de hanche et autres pacemakers. Possible que le transhumanisme soit condamnable, mais il faut plus que le simple argument de l’hybridation corps/machine.
9 février 2016 à 20:07 Noblejoué[Citer] [Répondre]
@ Gnouros
» Pour ma part, j’ai tout de même peine à condamner le transhumanisme si rapidement. L’homme est d’emblée dans un processus de dépassement de sa nature par la technique. Je connais de nombreux transhumains, ravis de porter lunettes, lentilles, sonotones, prothèses de hanche et autres pacemakers. »
Les lunettes sont un exemple canonique, et d’ailleurs, j’en porte, pratique d’attirer l’attention là-dessus quand je parle pour donner un accompagnement visuel à ma voix quand je défends le transhumanisme !
Pas tous les jours, quand même, vu le climat général, il faudrait être un héros ou avoir reçu des augmentations de capacités pour ça.
Evidemment, j’ai choisi des lunnetes discrètes pour ne pas casser le visage, mais ça a cet avantage, en plus. D’autant que comme j’ai des yeux assez grands mais enfoncés, j’ai un visage plus sévère sans lunettes qu’avec. Ce qu’il ne faut pas faire pour convaincre que l’eau est humide !
J’étais transhumaniste enfant, encore plus depuis que je porte des lunettes et que je constate combien la vie est améliorée par la technique. Mais il reste tant à faire ! Un argument mesquin contre le transhumanisme est l’inégalité, il faut se battre pour que tout le monde bénéficie du mieux, plutôt qu’y faire barrage.
Je suis transhumaniste, et ai essayé de défendre, sans doute avec un talent bien insuffisant, ce mouvement si attaqué.
Merci de ne pas le condamner malgré mon indignité !
En récompense et par honnêteté intellectuelle, je vous dirais pourtant ce en quoi je me détache de trop de transhumanistes : l’idée de produire des intelligences artificielles.
1 Ilégitimes : ces êtres, intelligents, n’auraient pas de droit, c’est choquant, une recréation de l’esclavage. Enfin, il faut bien dire que ça, ça ne choque pas, puisque tout le monde ou presque veut profiter des robots… Certains tranhumanistes, pas que moi, ouf, sinon les IA seraient mal barrées, promeuvent leurs droits.
2 Mais le problème spécifique transhumaniste est ailleurs, certains veulent créer des IA plus intelligentes pour nous sauver… Hum, elles risquent de plutôt vouloir et avoir les capacités de nous détruire, je crois.
Par contre, les transhumanistes du monde entier sont de plus en plus sensibles à l’idée de sauver tout ceux qui veulent l’être et non pas seulement une élite intellectuelle et financière. Le transhumanisme français défend ainsi – je tombe là hors des augmentations de capacités mais de ce qui, pourrait-on dire, en rend la jouissance plus douce – un revenu inconditionnel de vie pour chacun.
Mais en somme le mouvement n’est pas plus réductible aux divisions droite-gauche que René Girard.
Je désire certes que tout le monde puisse aller mieux, mais je vous le souhaite particulièrement car votre commentaire m’a fait très plaisir.
14 février 2016 à 19:07 Luccio[Citer] [Répondre]
Chers amis, pardonnez-moi de ne pas avoir davantage participé au fil de la conversation ; j’étais fort occupé, et mes réponses (absentes) fort prévisibles.
24 février 2016 à 18:14 Un roumain[Citer] [Répondre]
La première intervention de Gnouros me donne envie de réagir.
« Je ne comprends pas bien en quoi il faudrait désespérer parce que l’on ne nomme plus les gays des PD ou des invertis, les noirs des négros et des bamboulas, les maghrébins des bougnoules, les trisomiques des mongoliens. En quoi cela ne pourrait-il pas faire partie d’un processus de civilisation à la Norbert Elias, indiquant que l’humanité se refuse à la violence et s’adoucit, y compris dans le langage ? Mais sans doute notre auteur regrette-t-il les ardeurs et fureurs du Moyen Âge. »
Ce commentaire me fait un peu penser à cette chanson de Bénabar – « Politiquement correct » (https://www.youtube.com/watch?v=X_I5YrBaUfw). Au fond Bénabar dit : ben oui je suis antiraciste, écolo et gender ; ça fait de moi quelqu’un de gentil; résultat, je ne vois pas où est le problème. Mais il y a bien un problème. Bénabar, tout comme Gnouros visiblement, semble n’avoir jamais lu George Orwell ou Victor Klemperer. A titre personnel, je pars du principe que la novlangue désigne une tendance tout à fait réelle au sein de nos sociétés modernes. Diminuer le nombre des mots- réduire l’éventail des concepts – couper les moyens de réflexion – faire triompher l’affect. C’est un enchaînement parfaitement logique. Mais bon… tout cela est un peu idiot à en croire de brillants psychologues de l’Université de Cornell.
« Du reste, un peu d’empirie ne peut pas faire de mal. Il existe certaines études montrant que le parler « politiquement correct » possède des répercussions plutôt positives, comme ici par exemple, où l’on montre que respecter ces contraintes du langage stimule l’intelligence des individus : http://digitalcommons.ilr.cornell.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1921&context=articles. Un peu comme les contraintes du langages permirent la littérature de l’Oulipo. Cet aspect du jeu de langage mériterait d’être analysé. C’est pourquoi dire que « Agir sur les mots n’est agir qu’indirectement, par dressage » est loin d’être sûr. »
A la lecture de cet article « scientifique », je ne peux pas m’empêcher de penser que notre monde est devenu complètement grotesque. Tout d’abord, dans ce type d’étude empirique, le contexte et le point de vue des examinateurs importent énormément. Je connais d’autres études qui démontrent que l’abus de politiquement correct rend profondément malheureux. On peut vraiment faire dire à ces études ce que l’on veut (je pourrais étoffer en parlant de Kuhn ou de Lakatos, mais n’abusons pas des références).
Alors bon… que nous disent ces génies de Cornell? Quelque chose d’assez simple au fond : la politesse permet de faire travailler l’intelligence. C’est un sacré scoop! Je n’y avais jamais pensé. Dans cette défense du politiquement correct, il y a quelque chose de malhonnête: à aucun moment on ne mentionne le cœur du débat. La plupart des gens ne s’opposent pas au politiquement correct pour revendiquer leur racisme, leur misogynie ou leur homophobie. Non. Ils remarquent simplement un triomphe de l’affect sur la logique. Ils voient ces féministes qui, plutôt que de parler de la tragédie de Cologne, préfèrent critiquer l’absence de rôles féminins dans un film social sur le calvaire des mineurs écossais. Ils sont écœurés par ces gens qui n’ont pas d’autres arguments que le « point Godwin ». Ils constatent que la compétition victimaire nous prive de débats dignes de ce nom. Mais bon, faisons confiance à ces honnêtes chercheurs de Cornell : tout cela est le signe d’une nouvelle intelligence en devenir.
Poursuivons :
« Pensons à Derrida, montrant du doigt les carnopahalogocentristes. En rajoutant un soupçon de Bourdieu, de Deleuze et de Foucault, cela donne la pensée critique contemporaine classique, autrement appelée French Theory, qui s’empresse de dénoncer l’infâme où qu’il soit, et qui est le cadre théorique de tout les militants du langage que tu attaques. Reprocher le manque d’humanité, de compassion, d’empathie, de sympathie, de pitié ou que sais-je encore de ces individus, en ne jugeant que l’on peut réduire tous leurs penchants à des intérêts égoïstes de classe ou collectivistes, visant à séparer une communauté d’une autre loin de tout projet universaliste, tout cela est factuellement faux. »
Ah bon? A ma connaissance, ce sont justement tous ces sacro-saints postmodernes qui ont mis l’accent sur le contexte depuis lequel le locuteur s’exprime, plutôt que sur les discours en eux-mêmes. Sur ce point là, Ferry et Renault n’ont pas tort (https://www.youtube.com/watch?v=soatCKVpn2I). Je connais peu de philosophes qui, comme Deleuze ou Derrida, ont à ce point évité toute forme de débat.En ce moment, c’est un peu le retour de bâton. Quelque chose de très mimétique au fond. Les postmodernes ont voulu voir des intérêts de classe et de l’idéologie de partout. Qu’il en soit ainsi : faisons pareil pour eux! Et donc voilà où nous en sommes : chacun est l’idiot utile du capitalisme, chacun est le gros méchant. On « déconstruit les déconstructeurs ». Merci messieurs les postmodernes pour avoir à ce point amélioré la qualité des débats intellectuels en France!
Même d’un point de vue nominaliste le politiquement correct se plante. On se persuade que la déconstruction est une victoire en soi. Mais c’est extrêmement naïf. Nos concepts interagissent avec les personnes qu’ils classifient. Ce ne sont pas de simple fictions dont on se débarrasse à coups de revendications pleurnichardes. Ces concepts forment une nouvelle réalité et modifient l’expérience humaine. Ian Hacking appelle cela le »nominalisme dynamique ». L’hygiène du langage est un projet ridicule car rien ne privera les concepts de leur vie, et de leurs conséquences potentiellement néfastes.
24 février 2016 à 18:41 Un roumain[Citer] [Répondre]
P.S : Et Girard est ici d’une utilité particulière. Le grand point commun de tous les postmodernes est de croire que le problème de la violence sera résolu par une forme de communication pure et sans contrainte. En ce sens, ils sont encore extrêmement hégéliens. Girard, au contraire, refuse la définition de la violence comme « non-communication ». Bien au contraire : d’après Girard, plus les échanges sont rapides, efficaces et nombreux, plus le risque des conflits augmente.
24 février 2016 à 20:07 Noblejoué[Citer] [Répondre]
@ Un roumain
Vous avez raison. Pour ne pas se disputer avec les gens, mieux vaut ne pas trop communiquer.
Pour les idées, mieux vaut parler. Pour la paix, se taire. Je crois qu’on peut un peu désamorcer les tensions par la communion, nourriture, vin, humour – l’esprit se fait en général aux dépens de quelqu’un et il faut donc en user avec circonspection, d’autant que comme dit l’autre, qui court après l’esprit attrape la sottise.
Et maintenant, compliment à nos hôtes et aux commentateurs : ici, grâce au fait qu’on parle d’idées avec humour, nous n’avons pas de pugilat !
25 février 2016 à 10:48 Luccio[Citer] [Répondre]
Cher Roumain,
j’espère que tu as su lire rapidement (sauter par dessus) mon texte, pour aller directement aux commentaires d’Oscar. Car la lecture de tes commentaires me fut extrêmement plaisante : du moi en mieux (vraiment, si j’avais pu, j’écrivais tout pareil, surtout sur Cornell) ; et lire du soi « en balourd » doit miner le moral.
En outre, une remarque sur Bénabar : moi je l’aime bien sa chanson (et j’aime bien ton résumé), si ce n’est qu’il commet une grave erreur : il dit être pour la préservation des dauphins « j’veux pas qu’ils meurent » ; or si une espèce ne disparaît pas, difficile d’oublier que les individus le font (c’est quasiment un truc qui le définit).
Gros bisous de France,
Luccio
25 février 2016 à 13:47 Un roumain[Citer] [Répondre]
Cher Luccio,
J’ai bien lu ton article. J’aime bien cette nouvelle veine (plus proche de Christopher Lasch que de Lévinas). Mais il fallait bien réagir au commentaire de notre ami Gnouros qui transforme presque le politiquement correct en une étape primordiale de notre histoire universelle (je pensais pourtant qu’Oscar était surtout influencé par M. Foucault… ses orientations philosophiques ont visiblement changé).
Enfin, je ne pense pas que ton texte soit balourd (j’ai d’ailleurs ajouté l’ouvrage de MacIntyre à ma liste de lectures). Toute cette question du politiquement correct est devenue assez compliquée… Concernant ce problème, j’aime bien l’angle psychologique et anthropologique (la plupart des désaccords sont, selon moi, liés à la manière dont on conceptualise la violence). Mais ces arguments sont inaudibles pour nos chers postmodernes. Ils n’abandonneront pas de sitôt leur sacralisation de la « Différence » et leurs lubies de « construction sociale ». Ils aiment bien tourner en rond. J’espère qu’ils finiront par s’en lasser. Honnêtement, je crois que c’est la seule solution.
En ce qui concerne la chanson de Bénabar, le problème c’est quand même le « et moi je t’emmerde ». D’une manière générale, ce serait quand même bien que cette petite compétition de la coolitude et de la subversion cesse. Je ne retrouve pas ça en Roumanie (et ça fait du bien!).
Bises Gitanes,
Dédé
25 février 2016 à 13:48 Un roumain[Citer] [Répondre]
@ Noblejoué : merci pour vos commentaires. Enfin un girardien sur Morbleu!
27 février 2016 à 12:58 Luccio[Citer] [Répondre]
Tu fais bien de mettre MacIntyre sur la table de tes lectures. Quant à moi, peut-être faudra-t-il que je m’occupe de ce M. Lasch.
12 janvier 2018 à
[…] tolérants nous empêchent de parler, qu’ils créent de la violence, qu’ils… bref, je scrogneugeue et j’ai raison. Une dose de civilité est très nécessaire, mais râler est vital ; laissons-nous râler, moquer […]