Looper, film hollywoodien de XX avec XX et YY, est un bon divertissement, un succès critique et public [0]. Vous me direz c’est normal, il y a Emily Blunt dedans. Je vous encouragerai alors à être un peu moins superficiel. Passons. C’est surtout un film avec du voyage dans le temps, ce qui est toujours agréable car on continue d’y penser en sortant de la projection : « mais comment est-ce qu’il peut faire ceci alors qu’il a fait cela avec son double du futur revenu dans le présent qui pour lui est son passé ? » Pourtant ce n’est pas cet aspect que je vais souligner (devant vos yeux auxquels je conseille d’être ébahis parce qu’ils seraient allés voir le film). Au contraire.

Il me semble que le secret de ce film réside dans sa simplicité : le but n’est pas de jouer avec des boucles temporelles (ce qui a dû plaire aux professionnels du visionnage de films, qui tournent sans doute à plus de dix films par semaine et ne sont plus là pour jouer à démêler les faux problèmes). Dans cette histoire il y a un héros jeune (Jeune Joe), le vieux-lui en provenance du futur (Vieux Joe), et ce qui arrive au jeune héros se répercute instantanément sur le vieux lui (cicatrices, nouveaux souvenirs marquants, etc). Pour plus de détails, il faut voir le film, c’est assez transparent (et surtout n’en disons pas trop) [1].
Ce qui m’intéresse dans ce film est comment une simple connaissance des hommes évite de se poser mille problèmes d’interprétation [2].

Ainsi il y a trois personnages marquants, le héros, dédoublé, Jeune Joe (le vrai héros) et Vieux Joe (plutôt méchant), et un enfant (Petit Enfant). Certains spectateurs cherchent absolument à découvrir le lien caché entre Joe et Petit Enfant (Petit Enfant pourrait être Petit Joe, Fils de Joe, Grand frère de Joe, etc.). Cela parce que d’une part on voit au début du film Jeune Joe confesser à une prostituée que sa maman à lui passait lui la main dans les cheveux quand il était petit [3], et d’autre part on voit plus tard la maman de l’enfant caresser les cheveux de Joe. Du coup on se demande si la maman, serait pas etc.
Cependant on remarquera que la prostituée du début du films caresse les pieds du Jeune Joe, comme le fait aussi la femme du Vieux Joe à son mari (dans le futur d’où est revenu Vieux Joe). Alors on pourrait imaginer que la prostituée et la femme du vieux Joe sont la même, etc. Pourtant l’une est blonde et l’autre chinoise (Ok, brune, je ne veux pas d’ennuis avec la LICRA). Du coup y’a personne pour défendre l’hypothèse.

C’est pourquoi je déclare, quitte à me tromper : Joe et Enfant n’ont rien à voir, si ce n’est qu’ils se rencontrent. Il s’agit simplement de rappeler que les hommes ne sont pas étrangers les uns aux autres, qu’ils ne sont pas de simples individus. Et si Maman-Joe caressait les cheveux de son petit, si Joe ne se rappelle pas son visage, c’est que c’est un p’tit gars qui a eu une enfance difficile – et non que sa maman c’est Maman-Enfant (oui, on sait, c’est Emily Blunt, ça suffit oui ?).

Ainsi Jeune-Joe peut se projeter dans le petit, avoir de l’intérêt pour lui, comme il peut en avoir ici ou là pour des étrangers. C’est qu’au fond c’est un tendre Jeune-Joe, du moins dès lors qu’il rencontre la bonne meuf, blonde dans les champs de maïs (Maman de Petit Enfant), ou chinoise (Femme du vieux Joe). Nous ne sommes pas des individus isolés, nous sommes des hommes (et des femmes, si si !), et tout ce qui est homme ne nous est pas étranger.
D’ailleurs y’a pas que Joe qui a le mérite de s’ouvrir aux autres parce qu’au fond c’est un nice guy même si c’est un tueur. C’est aussi le cas de Emily Blunt (vraiment je suis obsédé ou quoi!) la Maman de Petit Enfant (qui n’est pas une tueuse). Cette dame a été prostituée, comme la prostituée du début, que Joe kiffait assez. Mais la prostituée du début, elle, n’est pas prête à s’en remettre à Joe, car encore trop centrée sur elle-même (et son enfant – ils pullulent dans ce film) pour accepter l’aide de quelqu’un. Tous ces gens sont les alter-ego les uns des autres, c’est le truc classe du film. Il n’y a donc pas de liens cachés entre les personnages, car on a le droit de s’intéresser aux autres et mener une autre vie que celle d’un drogué débauché qui a la rage [4].
Voilà voilà.

Pour conclure, et en évitant de trop en dire, rappelez-vous le thème nietzschéen de l’éternel retour du même. Il faut savoir vivre sa vie comme si chaque instant était destiné à se reproduire indéfiniment. Et bien disons que Looper en est un symbole, voire un mode de présentation. Imaginez que vous vous trimbaliez avec un « Vous + n années » qui fait n’importe quoi, et qui vous rende pas vraiment fier. Eh bien vous vous diriez que vous devriez l’empêcher de faire n’importe quoi, peut-être pourriez-vous même opérer un travail sur vous-même, afin de vous éviter de finir comme lui. Tel serait cette présentation morale de l’éternel retour. Car l’éternel retour c’est se juger soi-même dans ses actions, et s’arranger pour que le sens de nos actions ne nous échappe pas, or Joe se voit échapper. Bon je vous laisse avec cette remarque ouverte.
Et à nouveaux mes meilleurs vœux !

(Ainsi que tous ceux des autres contributeurs, dont Oscar, le Chef)

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[0] Bon d’accord, un film de Rian Johnson avec Joseph Gordon-Levitt et Bruce Willis (si ça c’est pas une bande d’américains)
[1] Pour ceux qui en veulent plus, visitez l’odieux connard
[2] D’aucun préciserait une connaissance de la nature humaine, mais il irait peut-être un peu vite en besogne et se priverait d’un débat-échange de commentaires avec Oscar et les lecteurs de Morbleu
[3] Oui, je vous prends un peu pour des imbéciles, car je me sens obligé de vous préciser par un balourd « sa maman à lui » que la dame qui passait la main dans les cheveux de Joe quand il était petit était bien sa mère, et non pas la mère de la prostituée Ah, le plaisir des pronoms possessifs qui n’indiquent pas le genre de possesseur. Si les Ricains n’étaient pas là il nous aurait été épargné (blague un peu osée mais hommage discret ?)
[4] Blague qui ne fera rire que moi, car Joseph Gordon-Levitt, qui joue Jeune Joe, joue aussi Robin Drake dans le dernier Batman, où il rappelle qu’il a la rage. Et aussi parce que Vieux Joe il devient méchant en choppant la rage.