Avant

Autrefois, je pouvais jouer à dire à mes amis que j’étais de droite. C’était facile. Il suffisait de ne pas se dire de gauche. Pour l’essentiel, c’était ne pas croire que déclarer soutenir le camp du bien suffisait à faire le bien. Ça ouvrait la conversation.

Il y avait même un petit côté artisan face à la machinerie estudiantine ; un petit côté cohérent face à qui fait n’importe quoi en se déclarant de gauche [1] ; un petit côté anarchiste de bédé à la Reiser ou Lauzier [2] ; un petit côté anti-gauche caviar, etc. Y’avait Le Luron, Desproges et nombre d’écrivains. C’était cool.

Bref, j’étais timide et me croyais punk en annonçant aimer Michel Sardou [3] ; mes futurs amis commençaient par me pardonner ces petites facéties. Je crois qu’ils continuent.

De plus, prendre le contre-pied d’un militant PS semble une honnête méthode pour causer, droit, économie ou société. Je me retrouvais bien souvent à penser en marxiste, en keynésien, et parfois en libéral. [4] Aujourd’hui on causerait sécurité sociale : une affaire de communistes ou une histoire un peu gaullienne ?

Maintenant

Le candidat de la droite et du centre.

Le candidat de la droite et du centre.

Et puis le monde a changé. La droite est libérale, et le libéralisme déclaré servir la patrie et toutes les « vraies valeurs de la France » (souvent réduites à un compendium de nullités). La France, le pays de la patente et de l’égalité, servie par le libéralisme ! La blague. Certains donnent à cette nouvelle idéologie l’allure de l’économie, ou du réalisme économique. La re-blague.

Nicolas Sarkozy a émergé et un monde de droite a disparu (certes ce monde n’était pas uniquement pétri de qualités). De quoi Sarkozy fut-il le nom ? De la droite décomplexée, risquerais-je. [5]

Le sens commun, moral et moralisant, n’est plus un truc de gauche, c’est maintenant une association décomplexée de droite. « Je ne vois pas (ou plus) pourquoi j’aurais honte de mes convictions », répètent à l’envi les nouvelles têtes de droite.

Mais la honte, brave gens, en politique, c’est un semblant de doute. Votre honte était votre grandeur ; votre semblant de honte l’était aussi. Dommage de l’avoir abandonnée.

Bref, l’opinion règne. C’est le temps des crétins. [6]

Et après ?

Après, je n’en sais rien. Il faudrait réfléchir sur le droit, l’économie et la société. Or cela peut s’avérer difficile. Mais ne nous plaignons pas de la difficulté constitutive de la tâche politique : oui, il faut réfléchir. Il a toujours fallu.

Ce n’est pas de ça que je cause ici. Je cause de ceci : je ne peux plus maintenant me dire de droite. Ils sont si nombreux et si bêtes. Ils donneraient presque raison à la bien-pensance de gauche. (Je plains les juppéistes d’être associés aux vainqueurs).

Que reste-t-il au jeune homme en moi, privé de jouer à jouer dans le giron de la droite ? Comment provoquer gentiment, à qui s’identifier pour causer histoire, écologie et Reiser ? Pour être de droite, va-t-il falloir voter Mélenchon ?

 

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[1] Les crétins étant ce qu’ils sont, c’est-à-dire très en retard sur leur temps, cette ruse doit bien continuer de fonctionner. Mais la mise à jour de maintenant doit exister, avec de jeunes pauvres faisant n’importe quoi et se justifiant en se déclarant d’extrême-droite.
[2] Là, je bluffe à moitié.
[3] Je suis toujours apte au combat, prêt à l’apologie du Temps des colonies. (A ne pas confondre avec l’apologie du temps des colonies).
[4] De drôles de gars ces libéraux, occupés à se placer à droite de l’hémicycle surtout pour ne pas être à côté des communistes. Certains d’entre eux préfiguraient la droite de maintenant, d’autres devaient se demander pourquoi on les avait mis là.
[5] Avec cette droite, je crois qu’il partage d’abord la décomplexion (néologisme osé). Il en fut l’accoucheur, le Socrate, le Grand Homme. Il a donné le style, ils ont fourni les valeurs.
[6] Sur les imbéciles, vous pouvez aussi lire ceci (d’un auteur qui doit bien lui aussi porter le deuil de cette droite qui fut un peu complexée et humaine).