Contre mon euthanasie, pour un argument sans morale
Le monde contemporain est compliqué, certaines choses bien simples semblent attendre qu’on se penche dessus avec un peu de bon sens pour être résolues. Ce serait le cas de l’euthanasie. Certains médecins et autres membres du personnel médical euthanasient leurs « patients » (oui je mets des guillemets, parce que faudra voir si le patient doit patienter, dès lors qu’on le fait mourir, la demande d’endurance semble réduite) et risquent, en droit, la prison, d’autre part, des patients ne peuvent bénéficier d’une « mort douce », qu’ils ont pourtant choisi librement (j’aurais bien écrit sans contraintes, mais je pense que l’état de santé en demeure une, disons qu’ils se sont décidés sans subir l’influence de leur entourage). Il devient alors incompréhensible qu’on ne décide pas dans notre beau pays, si fort en création juridique, un nouveau cadre juridique, comparable à ce qui se fait en Suisse ou aux Pays-Bas, qui sont pourtant des pays de crétins. Et ce d’autant plus qu’il semblerait que les procédures légales actuelles seraient abracadabrantesques.
Voilà une revendication légitime et résolue.
Mais soyons sceptiques, sans nous occuper de valeurs éthiques ! Voire en se méfiant des valeurs éthiques, il y a suffisamment de petits juges qui dénoncent l’absence de stoïcisme (acceptation), et en profitent pour faire une place à leur système religieux, en plus, ces derniers sont moult fois consultés, on pourrait même dire qu’ils peuvent en venir à compliquer la discussion éthique. Je ne vais pas non plus expliquer que «si la société savait les accepter», les gens ne voudraient pas être euthanasiés, parce que moi je ne pense pas qu’on puisse autant et démocratiquement changer la société. Le propos que vous allez lire devant nos yeux écarquillés s’occupe de craindre les changements, comme le vieil arbre qui en septembre se méfient de ceux qui fêtent le prochain printemps, il a peur d’attraper un rhume.
Bref, les juristes sont sans doute capables de trouver un bon cadre législatif et d’éviter aux médecins la prison — on ne saurait penser ici les médecins qui aident à l’euthanasie comme des sortes d’assassins névrosés dignes de participer au Prix du danger1, nous valons plus que de tels supputations chez Morbleu (Mâtin quel blog !). Remarquons toutefois quelque chose, il semblerait qu’on n’envoie pas encore les médecins en prison. Et on peut parier que le ministre de la Justice qui demandera aux procureurs de s’en charger risque de causer du tord à son gouvernement (ou alors le problème de l’euthanasie sera loin d’être le plus important du pays). Le statu quo existe donc, et il pourrait être dangereux d’en sortir.
Je vais vous proposer une fiction, elle repose sur un fait: les vieux, « c’est chiant ». La misère, ici la mauvaise santé, quand on la fréquente plusieurs heures pas jour, au début de la journée on veut aider, mais à la fin on essaye simplement de ne pas faire d’erreurs, on perd sa compassion. Et on recommence le lendemain.
Que se passera-t-il quand il y aura trop de vieux, quand nous serons vieux ? Nous serons une charge pour ceux qui nous entourent, cercle d’intimes et personnel hospitalier. Par ailleurs nous serons de ceux qui auront vécu longtemps et pesté contre les vieillards ; les générations suivantes auront peut-être trop assimilé ce comportement. Nous pourrions ne pas oser ne pas signer notre euthanasie, ou plus simplement nous raviser. La catastrophe, quoi ! C’est alors que le cadre juridique serait idéal, une bonne procédure, des psychologues et on évite les abus. Certainement, mais dans cinquante ans, avec autant de vieux, y aura-t-il assez de psychologues et assez de temps pour régler ce problème ? S’il n’y en n’a pas, que restera-t-il ? Des questionnaires ? Les vieux d’alors (nous) risquent de ne pas y survivre.
Remarquons au passage la belle figue du psychologue, que peuvent invoquer les défenseurs de l’euthanasie. Pour eux, il est la science, il peut tout régler grâce à son savoir, mais reste un homme, garant de la dignité qui ne saurait être remplacé par un questionnaire. Mi-science mi-humain, il est un être miraculeux. Y faire appel dans ce débat, c’est peut-être répondre vite pour ne pas réfléchir. Les psychologues, c’est comme l’informatique ou le Feng Shui, ça règle tout, c’est éprouvé, et ceux qui le voient pas, ben c’est qu’ils savent pas comment ça marche.
Par ailleurs, imaginons qu’on change d’avis au dernier moment, certains de mes contradicteurs m’ont déjà répondu « c’est trop tard », vérifiant bien mes craintes et présupposés, et ne voulant pas admettre au passage, que même si l’homme est normalement le même tout au long de sa vie, ben celui qui va mourir a peut-être plus son mot à dire que celui qui a signé un document, on a le droit de se raviser merde. (Oui je sais, « ils souffrent tellement qu’ils ont bien décidé et le vivront comme une délivrance », mais moi j’imagine une situation où on se verrait un peu forcer la main au moment de la signature.)
Quoi qu’il en soit, on imagine une procédure réglée, bien encadrée, et on risque, par manque de moyens, de finir sans psychologues, de finir sa vie en remplissant un questionnaire, et de faire de l’exception un automatisme. Une loi qui semble juste aujourd’hui pourrait donc ouvrir la porte à certains excès, même si ces derniers pourraient ne pas l’attendre pour entrer par la fenêtre. On risque donc, dans le futur, de me faire quitter la scène sans même voir un beau film animalier2. C’est pourquoi je propose le sacrifice d’un droit idéal pour sauver une situation qui n’est encore laborieuse que pour les volontaires et le personnel soignant — cela est peut-être égoïste, mais c’est là le nom de l’argument.
Une remarque en passant, le monde est effectivement compliqué, on voit même un contributeur prendre position contre l’euthanasie sur Morbleu, blog dont le fondateur, ce brave Oscar, a fait de Michel Foucault la principale divinité de son panthéon post-moderne. Etonnant non ?
Enfin, de manière œcuménique, je conclurai que si cette position de « catastrophisme éclairé »3 ne règle pas le débat et ne prend pas en compte les difficultés qui se posent au personnel médical, en revanche, elle permet au moins d’exiger de ceux qui défendent l’euthanasie qu’ils s’intéressent au long terme — soit à une durée qui dépasse les 10 mandats présidentiels, je sais, ça paraît fou. Il s’agit en fait d’espérer que le législateur s’occupe aussi du futur et non pas seulement de ce qui se fait chez nos voisins ou de se vanter fièrement de « dépasser le clivage gauche-droite ».
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1Où on voit le héros poursuivi par des candidats-tueurs, qui ont tout à fait le droit, par contrat, de le tuer ; c’est revenir ici sur les valeurs, mais le film en vaut la peine. Et puis Lanvin il a la classe, et c’est tellement un mec bien que je pense qu’il saurait s’indigner devant mes sophismes et me convaincre de son avis, quel qu’il soit, Gérard je t’aime, t’es la classe.
2Ainsi que dans le Soleil Vert.
3Notion mise en avant par Jean-Pierre Dupuy et bien pire que le principe de précaution. Pour un catastrophisme éclairé, Quand l’impossible est certain, Seuil, 2004
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8 mai 2009 à 19:00 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Il existe un grand nombres de systèmes moraux qui se fondent sur l’égoïsme (Hobbes, Mendeville, etc.). On pourrait croire qu’en adoptant le point de vue de l’égoïsme sur la question de l’euthanasie, on aboutirait tout naturellement à une position qui l’autoriserait : d’une part parce que, en tant qu’individu, personne ne peut me priver de ma propre mort, et aussi d’autre part, parce que le vieux est une charge sociale que je peux ne pas vouloir supporter, qu’il est moins couteux de le liquider que de le supporter, etc.
Or, ici, renversement. Si l’on suit l’égoïsme, on aboutit à la proscription de l’euthanasie, qui est donc l’inverse.
Dès lors, comment, en partant de ce même principe qu’est l’égoïsme, aboutir à deux conclusions antinomiques ? Première hypothèse : l’un des deux raisonnements, au moins, est faux. Deuxième hypothèse : l’égoïsme n’est pas compris de la même façon dans les deux cas. Troisième hypothèse : peut-être est-on simplement dans un cas sartrien de « conflit des devoirs » ?
10 mai 2009 à 21:31 Luccio[Citer] [Répondre]
Egoïsme à part, je suis presque triste.
Mes billets précédents n’avaient d’autre fin que leur propre création, et de rigoler un peu. Ce dernier billet tente la publicité d’un argument, espère les rebonds, qu’il finisse dans une oreille pensante, pour finir par être le moins commenté.
Il faut croire que la philosophie appliquée à l’humour ou aux sujets déjà connus a plus de succès que celle appliquée à l’éthique sur un sujet moins brulant, qu’on détourne le regard, qu’on s’en foute, ou qu’on tombe entre deux pics où quelqu’un tout délabré explique à la Presse entière, qui le relaye à la nation, qu’il est dans son bon droit en demandant à être euthanasié.
En quoi cet argument se prétend-il philosophique ? La réponse est simple, il interroge les conditions de possibilité d’un débat, avançant que celles qu’on suppose acquises risquent de varier. Ici, la possibilité de s’occuper de tous les cas individuels et exceptionnels est fortement mise en doute, notamment parce que leur légalisation et la démographie risquerait de les rendre moins exceptionnels.
De même certains essayent de réfléchir sur une telle légalisation à un plan plus conceptuel. Par exemple, si le médecin devient aussi un être qui donne la mort, ne risque-t-on pas de voir désacralisé la vie au profit du confort/bien-être. Ajoutez à cela un doigt de soupçon face à l’idéologie du confort, qui pourrait être un château de l’Espagne-ultra consumériste. Vous obtenez une petite chanson : un système de pensée et économique pourrait bien nous expliquer qu’une fois décrépi, autant y aller, surtout qu’on coûte des sous (ben oui, une fois atteint ce niveau de dégénérescence, c’est presque malsain de persévérer dans la vie, on n’est presque plus humain).
note. possibilité d’un effet de contraste : celui qui ne saurait plus se servir des appareils de conforts pourrait devenir celui qui perdrait tout dignité. En effet, arrivé à un certain point de technique, comment ne pas succomber à l’illusion que la technologie supplée à tout ; puis que tant qu’on est libre et digne on peut s’en sortir, que le jour où on n’y arrive plus, ben c’est qu’on n’est plus qu’un truc moins digne. Un truc de trop. Contraste : le jour où ça ne sert plus à rien d’acheter de quoi satisfaire son confort, autant arrêter de vivre, puisque le plus important c’est le confort. La différence par l’envie d’acheter, voire par le pouvoir d’achat.
ps : la note est plus que moyenne, mais j’aime bien quand même, ça pose un début de quelque chose, mais si c’est de pas grand chose, voire de rien du tout.
11 mai 2009 à
[…] Le tiers exclu (IV): Prolégomènes à une critique de la raison socio-politique Société Oscar Gnouros 11 mai 2009, 2:15 « Contre mon euthanasie, pour un argument sans morale […]
1 juin 2009 à 20:19 Plume Solidaire[Citer] [Répondre]
Est-ce que la question ne serait pas aussi : mourir ou pas de son plein gré au moment de passer l’arme à gauche ?
Et la question suivante : comment choisir sa mort pour l’éviter , en l’amadouant, en la reculant…le plus longtemps possible ?
Et ultime problème, sachant que la mort n’est jamais – toujours – naturellement qu’un moment mauvais à passer, est-il moralement acceptable d’en parler d’une manière rationnelle tant elle semble rationnellement irrationnelle ? Mourir pour quoi, pour quelle cause ? Mourir pour aller vers quoi ?
Encore mourir pour une belle pouvait jadis avoir un sens. Mais aujourd’hui, ne pas mourir semble LA cause. En clair la finalité de la vie c’est de ne plus mourir !
Confronté à ce devoir d’en finir avec la mort, la suprème impertinence n’est-elle d’en parler rationnellement d’une manière détachée et drôle ?
Plume Solidaire
1 juin 2009 à 23:45 Luccio[Citer] [Répondre]
La pensée que ça m’inspire :
Y’a des fois où je me dis que Deleuze est le vrai philosophe du XXème siècle, il a écrit des trucs compliqués, il passait pas à la tv et il est mort en se suicidant, un vieux Grec (eh oui, quoiqu’on pense, la Grèce Antique n’avait pas la TV, ni TNT, ni PAL, ni SECAM).
Une petite réponse :
° je pense que lorsqu’on passe l’arme à gauche, à ce moment précis, on ne meurt pas de son plein gré, on meurt [mais ce n’est que le début d’une objection analytique un peut mauvaise, du genre « Imaginons un cerveau dans une cuve, relié par onde radio à un corps artificiel. Le processus d’oxygénation et de nutrition de la cuve du cerveau s’arrêtera si le corps auquel il est relié se désactive, ce qui ne peut se faire que par un mouvement du corps. Question : entre le moment où le cerveau envoie l’ordre au corps de se désactiver et le moment où le cerveau meurt, y’a-t-il plein gré ou simple arrêt du processus d’oxygénation de la cuve ? » ça pourrait être rigolo de se déchirer là-dessus (inspiré d’une nouvelle de Daniel Dennett)].
° Quoique possiblement irrationnelle, il me semble qu’il convient d’en parler rationnellement. « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire », certes, mais ce dont on parle, il faut essayer d’en parler avec méthode, même si l’objet est bizarre. D’autant plus qu’ici je ne parle pas de la mort, mais de la difficulté à créer et à organiser un système, le fait que la mort en soit la fin rend à mon avis la difficulté monstrueuse ; j’attends de plus malin la solution.
° En outre, Plume Solidaire, ta réponse me paraît plus littéraire que rationnelle, j’adore l’appelle au détachement. J’ai pourtant peur qu’après avoir été un luxe, il ne finisse par être considéré que comme un « non produit de première nécessité » (c’est pareil, mais avec un point de vue différent). Il faut bien vivre, avoir l’illusion d’un confort perpétuel, sans quoi on risque bien d’arrêter de consommer, en effet, pourquoi faire ? Et peut-être à cause de LA cause que tu envisages : ne pas mourir. Mais un retournement est possible, faute de ne pas mourir, on veut ne plus souffrir, et c’est bien normal. Le problème est : faut-il nécessairement en faire un problème de droit, n’y a-t-il pas trop de risques ?
Et si l’euthanasie était le paradis d’une société consumériste ? Et après tout, pourquoi pas ? C’est ainsi qu’on revient plus ou moins où on était parti.
16 juin 2009 à 9:04 jean-daniel[Citer] [Répondre]
oooohh quel pays de crétin XD
2 juillet 2010 à 21:44 Eric Folot[Citer] [Répondre]
OUI à l’aide au suicide, mais NON à l’euthanasie !
Au sujet de la différence entre l’euthanasie et l’aide au suicide, il faut distinguer entre les arguments juridiques, éthiques et religieux. On ne peut pas simplement affirmer sans nuance qu’il n’existe pas de différence entre les deux : dans un cas c’est le patient lui-même qui s’enlève la vie (aide au suicide) alors que dans l’autre c’est le médecin qui la retire. Il faut d’abord préciser sur quel terrain (juridique, éthique ou religieux) on tire notre argumentation. Si l’on se situe sur le terrain de l’éthique, on peut raisonnablement soutenir qu’il n’existe pas de différence. Cependant, si l’on se situe sur le terrain juridique, il existe toute une différence entre l’euthanasie (qualifié de meurtre au premier degré dont la peine minimale est l’emprisonnement à perpétuité) et l’aide au suicide (qui ne constitue pas un meurtre, ni un homicide et dont la peine maximale est de 14 ans d’emprisonnement). Dans le cas de l’aide au suicide, la cause de la mort est le suicide du patient et l’aide au suicide constitue d’une certaine manière une forme de complicité. Mais comme la tentative de suicide a été décriminalisée au Canada en 1972, cette complicité ne fait aucun sens, car il ne peut exister qu’une complicité que s’il existe une infraction principale. Or le suicide (ou tentative de suicide) n’est plus une infraction depuis 1972. Donc il ne peut logiquement y avoir de complicité au suicide. Cette infraction de l’aide au suicide est donc un non-sens.
En revanche, l’euthanasie volontaire est présentement considérée comme un meurtre au premier degré. Le médecin tue son patient (à sa demande) par compassion afin de soulager ses douleurs et souffrances. Il y a ici une transgression à l’un des principes éthiques et juridiques des plus fondamentaux à savoir l’interdiction de tuer ou de porter atteinte à la vie d’autrui. Nos sociétés démocratiques reposent sur le principe que nul ne peut retirer la vie à autrui. Le contrat social « a pour fin la conservation des contractants » et la protection de la vie a toujours fondé le tissu social. On a d’ailleurs aboli la peine de mort en 1976 ! Si l’euthanasie volontaire (à la demande du patient souffrant) peut, dans certaines circonstances, se justifier éthiquement, on ne peut, par raccourcit de l’esprit, conclure que l’euthanasie doit être légalisée ou décriminalisée. La légalisation ou la décriminalisation d’un acte exige la prise en compte des conséquences sociales que cette légalisation ou cette décriminalisation peut engendrer. Les indéniables risques d’abus (surtout pour les personnes faibles et vulnérables qui ne sont pas en mesure d’exprimer leur volonté) et les risques d’érosion de l’ethos social par la reconnaissance de cette pratique sont des facteurs qui doivent être pris en compte. Les risques de pente glissante de l’euthanasie volontaire (à la demande du patient apte) à l’euthanasie non volontaire (sans le consentement du patient inapte) ou involontaire (sans égard ou à l’encontre du consentement du patient apte) sont bien réels comme le confirme la Commission de réforme du droit au Canada qui affirme :
« Il existe, tout d’abord, un danger réel que la procédure mise au point pour permettre de tuer ceux qui se sentent un fardeau pour eux-mêmes, ne soit détournée progressivement de son but premier, et ne serve aussi éventuellement à éliminer ceux qui sont un fardeau pour les autres ou pour la société. C’est là l’argument dit du doigt dans l’engrenage qui, pour être connu, n’en est pas moins réel. Il existe aussi le danger que, dans bien des cas, le consentement à l’euthanasie ne soit pas vraiment un acte parfaitement libre et volontaire »
Eric Folot
3 juillet 2010 à 11:59 Luccio[Citer] [Répondre]
Comme quoi, de l’autre côté de l’atlantique, on sait être synthétique. Merci pour ce commentaire.
En revanche, il faut encore faire un effort quant à l’anthropocentrisme. Dans le point de référence du monde et de l’univers, la France, la peine de mort ne fut pas abolie en 1976, mais en 1981. 🙂
Et ce problème de l’aide au suicide, est-il présent dans beaucoup de législations ? (je ne connais rien au Droit)
3 juillet 2010 à 16:01 Eric Folot[Citer] [Répondre]
Je ne peux parler que pour les systèmes juridiques que j’ai étudiés à savoir le Canada et la France. En France, la tentative de suicide a été dépénalisée en 1810 au nom de la liberté individuelle. Il n’existe pas d’infraction d’aide au suicide, mais seulement une infraction de provocation au suicide. La provocation au suicide consiste à inciter ou à encourager une personne à commettre un suicide (cette incitation doit avoir un caractère contraignant). Même si l’aide au suicide n’est pas une infraction pénale en France, elle a été condamné sous d’autres chefs d’accusation dont la non assistance à une personne en péril. Voici les propos du rapporteur Jean Leonetti de l’Assemblée nationale : « Le corps médical n’est-il pas placé devant une contradiction ? D’un côté l’aide au suicide n’est pas pénalisable ; de l’autre le médecin a un devoir d’assistance – il doit préserver la vie de son malade –, et le droit positif interdit la non-assistance à personne en danger ».
Eric Folot
3 juillet 2010 à 20:02 Gnouros[Citer] [Répondre]
Merci de rouvrir le débat que posait cet admirable billet, trop vite et injustement oublié. Je me permets une petite observation que me démangeait.
La distinction entre, d’une part, suicide volontaire (et, pourquoi pas, assisté), qui serait légitime car prenant sa source dans la volonté de l’individu intéressé lui-même, et, d’autre part, euthanasie (et, pourquoi pas, concertée avec l’intéressé), qui serait répréhensible car pouvant prendre sa source davantage dans l’arbitrage d’un tiers, repose sur un présupposé de taille qu’il convient d’interroger, et qui est cette absolue confiance très optimiste quant au concept de liberté, de volonté, sur lequel l’action des agents reposerait pleinement.
Ainsi, d’après cette vue, il pourrait exister un choix libre, radicalement libre, indubitablement libre, où une personne pourrait être intéressée par l’idée d’en finir, de périr, de mourir, de disparaître à tout jamais. Mais un tel libre choix est-il seulement possible ? Et même, d’une manière générale, un libre choix est-il possible ? Pour ma part, malgré tous mes efforts pour rejeter et me libérer des conceptions déterministes ou nécessitaristes qui, paraît-il, sont grossières, absurdes ou au moins erronées, je reste enfermé dans une conception plus proche de celles-ci que de celle des partisans de cette liberté soi-disant fondamentale de l’homme.
La psychologie sociale nous l’enseigne merveilleusement : voir l’ouvrage de vulgarisation (qui parvient admirablement bien à vulgariser sans rendre vulgaire) de Joule et Beauvois, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Il est parfaitement possible de manipuler des individus et de leur faire faire de nombreuses choses qu’ils n’auraient pas faites spontanément, et ce par le simple recours à certaines techniques très basiques, dont plusieurs sont désormais bien connues. Même : paradoxalement, il est beaucoup plus simple de manipuler quelqu’un pour peu que cette personne ait le sentiment de se sentir libre. Plus une personne fait un choix en ayant le sentiment qu’elle était parfaitement libre de le faire, et plus cette personne s’enfermera dans sa décision.
« Soyez libres de vous suicider ; tuez-vous comme bon vous semble ! » Ces injonctions humanistes en apparence − puisqu’elles pausent libéralement comme fondement la liberté promise par le libéralisme philosophique et politique et garantie par les démocraties libérales − ne sont pas neutres : elles font plus qu’ouvrir un droit ; elles configurent un monde, une société, et les individus qui la peuplent, si bien que, alors même qu’elles n’imposent rien et laissent absolument libre, il ne sera pas possible de choisir aussi librement qu’elles le font croire.
3 juillet 2010 à 20:37 Eric Folot[Citer] [Répondre]
En tout respect, la distinction que je fais entre l’aide au suicide et l’euthanasie ne repose pas sur des considérations éthiques, mais juridiques. Car éthiquement, on peut raisonnablement soutenir qu’il n’existe pas ne différence morale entre l’euthanasie volontaire et l’aide au suicide (à ce sujet, voir Dan W. Brock, « Voluntary active euthanasia » (1992) 22:2 The Hasting Center Report 10) pas plus qu’il n’existe de « différence morale pertinente » entre l’arrêt de traitement à la demande du patient et l’aide au suicide à la demande du patient (voir Ronald Dworkin et al., « Suicide assisté : le mémoire des philosophes » (2003) 11 Raisons politiques 29).
Mes craintes reposent sur les conséquences sociales d’une légalisation ou d’une décriminalisation de l’euthanasie volontaire. Les risques d’abus ne sont pas les mêmes dans le cas de l’euthanasie et l’aide au suicide.
Les philosophes grecs, tels que Sénèque, ont depuis longtemps démontré que le suicide peut, selon les circonstances, être l’exercice d’une liberté. Il affirmait : « Tu trouveras même des hommes professant la sagesse qui nient qu’on doive attenter à ses jours, qui tiennent que le suicide est impie et qu’il faut attendre le terme que la nature nous a prescrit. Ceux qui parlent ainsi ne sentent pas qu’ils ferment les voies à la liberté ». Certains psychiatres, dont Thomas Stephen Szasz affirment : « Dying voluntarily is a
choice intrinsic to human existence. It is our ultimate, fatal freedom ».
Au plaisir
Eric Folot
3 juillet 2010 à 20:50 Gnouros[Citer] [Répondre]
Parfaitement d’accord : d’un point juridique, la distinction est absolument pertinente et opératoire ; mon observation prenait un point de vue davantage moral.
7 décembre 2010 à 17:41 Eric Folot[Citer] [Répondre]
Pour plus d’informations, je vous invite à lire mon mémoire de maîtrise en droit de la santé (Université de Sherbrooke et Université Montpellier 1) intitulé : « Étude comparative France-Québec sur les décisions de fin de vie : le droit sous le regard de l’éthique » (2010) que vous pouvez télécharger à l’adresse suivante : https://public.me.com/ericfolot/fr/
Eric Folot
8 décembre 2010 à 21:33 Luccio[Citer] [Répondre]
Alors, on ne remercie pas morbleu dans son mémoire ? 😉
Merci en tout cas de le mettre en lien.
En ce qui me concerne je ne pourrai pas le lire en entier avant ces mois d’été je pense (et sans doute ne comprendrai-je jamais réellement les parties centrées sur le droit). Mais je compte le parcourir un peu avant.
Deux remarques préalables et superficielles :
– que de littérature en anglais
– alors Peter Singer ne serait pas qu’un défenseur de la cause animale ?
8 décembre 2010 à 22:05 Eric Folot[Citer] [Répondre]
Je suis content de voir qu’il sera lu. J’ai beaucoup de références à la littérature française également (voir biblio). Peter Singer est un professeur d’éthique appliqué et, en ce sens, il traite de plusieurs sujets dont la cause animale et l’euthanasie.
Eric
31 mars 2011 à 10:18 Ovide[Citer] [Répondre]
Un bon article! Tu pourrais travailler dans l’éthique (il paraît qu’ils manquent de thèsards en droit).
Effectivement le problème de l’euthanasie renvoie au problème de la liberté d’une part et de l’égoïsme d’autre part.
Mais ce n’est pas parce que quelqu’un a fait un choix que le choix est forcément intelligent. Nous avons une rationnalité limitée (voir sociologie des organisations). Les gens prennent des décisions avec des informations incomplètes. Donc oui au droit de « changer d’avis au dernier moment ».
Pour ma part c’est décidé: « interdiction absolue de me débrancher ».