TentationIl t’arrive de regarder les autres filles, et ta copine te gronde, car elle trouve cela mal? C’est parce qu’elle n’a pas pris le temps de l’analyse philosophique. Voici trois propositions qui tentent de démontrer que son opinion est infondée, d’un point de vue perceptif, métaphysique et éthique.

 

 

PROPOSITION I

Du point de vue perceptif

 

L’analyse critique et réflexive du moment de l’acte perceptif enseigne que l’injonction « Tu ne dois pas regarder les filles » est paradoxal, pour ne pas dire contradictoire, et donc vide et dénué de sens.

 

Démonstration

 

L’unique façon par laquelle l’injonction « Tu ne dois pas regarder les filles » peut fonctionner est la suivante

 

  1. Un objet=X entre dans ton champ perceptif. Tu ignores pour l’instant tout de cet objet, et de sa substance, et de ses attributs. Il n’est que noumène car tes catégories ne s’y sont pas encore appliquées pour qu’il existe pour toi en tant que phénomène.

  2. Comme tu veux faire plaisir, et que tu veux respecter l’ordre que l’on t’a donné, tu examines l’objet=X pour savoir si celui-ci appartient à la classe « filles » ou non. Autrement dit, tu le regardes.

  3. Si l’objet=X appartient à la classe « filles », alors évidemment tu t’en détournes.

 

Ainsi, l’unique façon de respecter cette injonction serait de stopper toute perception pour ne pas prendre le risque de rencontrer un objet=X appartenant à la classe « filles ». Or, comme Hume le remarquait lorsqu’il critiquait le cogito ergo sum de l’ami Descartes, « si je ne perçois pas, je n’existe pas ». Comme ta copine t’aime (un peu/beaucoup/passionnément/à la folie/pas du tout – rayer les mentions inutiles), elle a besoin que tu existes. Or, ta copine est loin d’être bête, et elle maîtrise parfaitement le modus tollens et la contraposée, ce qui lui permet, à partir de la proposition humienne, de déduire que « si tu existes, tu perçois », et que par conséquent, son injonction ne peut être respectée.

C. Q. F. D., comme dirait Spinoza.

 

COROLLAIRE

 

Si tes yeux sont trop perdus dans un décolleté, c’est précisément parce que tu ne t’es pas encore aperçu qu’il s’agissait d’un décolleté.

 

 

SCOLIE

À l’usage de nos amis non-voyants qui parviennent à lire ceci.

 

Pour toi, l’injonction « Tu ne dois pas regarder les filles » n’a aucun sens si on le prend strictement, et si ta copine te le propose, soit :

 

  1. Elle est idiote, et tu dois la quitter.

  2. Elle veut faire de l’humour, et libre à toi de rire ou de te fâcher.

  3. Elle entend par « regarder » la notion plus générale de « percevoir ».

 

Concernant ce troisième point, on peut utiliser le même raisonnement. Tout dépend alors comment il te faut percevoir pour déterminer si l’objet=X appartient, oui ou non, à la classe « filles ». Peut-être as-tu besoin d’écouter, de sentir, ou de toucher?

 

COROLLAIRE

 

Si tes mains sont baladeuses, c’est uniquement le temps de déterminer si tu peux continuer ou pas à le faire.

 

 

PROPOSITION II

Du point de vue métaphysique

 

Le platonisme nous exhorte à nous élever vers le Beau intellectuel.

 

Démonstration

 

On ne pourra pas t’accuser de parti pris, car c’est Diotime, une femme, qui l’explique dans Le banquet de Platon. Comme tu es philosophe, tu désires parvenir au dernier degré de ta quête qui est la « contemplation » (210a), ni plus ni moins. Ton âme doit s’élever. « Quiconque veut, dit-elle, aller à ce but par la vraie voie doit commencer dans sa jeunesse par rechercher les beaux corps [c’est nous qui soulignons]. » L’activité philosophique te commande donc de rechercher les beaux corps. « Puis il observera que la beauté d’un corps quelconque est soeur de la beauté d’un autre. » Un seul beau corps, celui de ta copine, ne suffit pas à ton élévation spirituelle : tu dois en chercher d’autres. « Il doit se faire l’amant de tous les beaux corps. ». Ici, il y a même une invitation à l’adultère.

La suite est moins intéressante pour notre problème, puisque qu’il faut ensuite « qu’il considère la beauté des âmes comme plus précieuse que celle des corps en sorte qu’une belle âme même dans un corps médiocrement attrayant, lui suffise pour attirer son amour et ses soins », « regarder la beauté qui est dans les actions et les lois », chercher la beauté dans « les sciences », pour ne plus s’occuper en dernier lieu que du beau en soi.

C. Q. F. D.

 

COROLLAIRE I

 

Encore te faut-il être platonicien, ce qui nécessite soit de la sottise, soit de la mauvaise foi.

 

COROLLARE II

 

Note toutefois qu’il ne te faudra être qu’apprenti-platonicien, et prétexter que tu restes bloqué à la première étape de l’ascension de ton âme. Car si tu dis que tu es maître ès platonisme, tu es alors censé ne t’intéresser qu’au Ciel des Idées, à apprendre à mourir, à détacher ton âme de ton corps, et à ne connaître que le célèbre amour platonique dont personne ne veut.

 

 

PROPOSITION III

Du point de vue éthique

 

L’injonction « Tu ne dois pas regarder les filles » est formellement incompatible avec l’impératif catégorique kantien.

 

Démonstration

 

  1. Selon Kant, pour agir moralement il te faut « agir de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action puisses faire partie d’une législation universelle ». Demande-toi ce qui se passerait si tout le monde agissait comme toi.

  2. Peux-tu vouloir que tout le monde ne regarde pas les filles? Non, car en ce cas, il n’y aurait plus de séduction possible, plus de fécondation possible, et l’humanité serait stoppée nette.

  3. Ne pas regarder les filles est donc un acte immoral

C. Q. F. D.

 

COROLLAIRE I

 

Remarque aussi ce que Sartre disait, à savoir que l’on se définit dans le regard d’autrui. Ne pas regarder les filles serait leur interdire de déterminer leur être car ton regard ne serait pas là pour les réifier, les objectiver dans leur être-pour-autrui pendant l’être-vu. Pour se connaître, on a besoin de l’autre.

 

SCOLIE

 

Ce n’est sûrement pas ce que Sartre a voulu dire, mais quelqu’un sait-il vraiment ce qu’il a voulu dire?

 

COROLLAIRE II

 

Tu peux très certainement déduire la même chose à partir de Lévinas. Par l’épiphanie d’autrui, par le visage de l’Autre, dès que l’Autre me regarde, je l’assume et j’en suis responsable, ce qui conduit à dire que regarder les filles est une condition de possibilité de l’éthique.

 

SCOLIE

 

Finalement, la phénoménologie, l’herméneutique, Heidegger et tout ce bazar ont des bons cotés.