Et si demain n’était pas là,
et si de mes actions, de mes tentatives, de mes échecs, plus rien ne restait. Et bien ce serait la vie, où nous nous essayons à la grandeur, tombons dans la paresse, brûlons d’amour. Je ne pourrais plus soutenir mes proches, leur dire que la vie continue, que les joies reviennent, que le monde est beau, que le colibri venu butiner sur ma terrasse était charmant. Adolescent, j’ai trouvé mon épitaphe : « Si je pouvais, je me regretterais » ; charmant épitaphe pour un vieillard en fin de course, un Kantifiant « es ist genug » (c’est assez). Mais si tout cessait demain, il n’y aurait pas grand chose, je crois, que je regretterais, et peut-être quelques-unes que je laisserais (mais Ferré a déjà fait son testament).

Et si hier n’était pas là,
et si nos actions, nos projets, nos tentatives, ou nos émotions étaient oubliées dans ce présent exorbitant ; si hier et ses suites étaient absents, nos erreurs inutiles, et nos petites idées encore plus futiles. Nos grandeurs oubliées, nos angoisses tues, notre perception apeurée du présent trop présente. Je tomberais dans l’erreur ; j’oublierais que l’homme ne se cantonne pas à l’horreur, que l’homme peut être poète, aimant et beau, qu’hier Thiéfaine enchanta ma soirée. Je replongerais directement dans ma sidération d’avant-hier — jusqu’à l’emportement ? — oubliant notre calme, la poésie de mes amis ou mes petites idées.

Et si aujourd’hui n’était pas là ?
Aujourd’hui est rarement loin, mais pas souvent là ; sous la routine, sous les commentaires, sous les commentaires des autres. Sur un blog personnel, je vous dirais ma journée et celle de mon entourage parti à son travail altruiste. Ici vous savez ce que je fais : je me retiens de lancer une Cicéronade vantant ma patrie (je la laisse à d’autres peut-être plus lucides), et m’emploie à vous faire parler : parlez-vous les uns les autres.

La sidération mit en marche les uns, bloqua les autres (dans leurs idées ou chez eux). Parlez-vous les uns aux autres. Rappelez-vous qu’il faut tout répéter trois fois à un homme, pour qu’il se comporte en adulte. Parlons-nous les uns aux autres.

 

Et comme tout être humain, je conclus en ne faisant pas tout à fait ce que je dis.