Le « philentrope » ne fait pas le printemps
A celui qui ne vit rien reste la misanthropie. Cloîtré dans sa bibliothèque, en haut de son donjon, il peut, Nietzsche à la main, lancer des invectives au monde : que de nullités produites par des gens misérables ! Mais ce genre d’incongru est parfois tenté de sortir. Après tout, les papillons, les zoizeaux et les fleurs de printemps sont à tout le monde ; même aux habitants des grandes villes. Au printemps, même le misanthrope sort de chez lui. C’est pourquoi la ballade printanière n’est jamais sans risque, surtout lorsqu’elle est citadine. Mais la faune des villes compte un être bien pire que le misanthrope : le philanthrope ; plus précisément une espèce d’être qui fait profession de philanthropie. Afin de ne pas le confondre avec les lecteurs de Morbleu qui – j’en suis sûr – sont tous dans le privé de généreux donateurs et mécènes, nous l’appellerons le « philentrope ».
Nous voilà donc nantis d’un mot absurde que nous allons tenter d’étayer par une étymologie factice mais néanmoins savante. Appuyons-nous sur ἐντροπία , entropia [1], qui au pluriel (à tous les coups entropiê) signifie « ruses, détours » (voir mon Bailly, p.690b). La conjonction de la philia et des entropiê, de l’amour-amitié et des ruses et détours, c’est la philentropie, l’apparence rusée de l’amour-amitié. Le philentrope pourrait être ainsi celui qui par ruse met en avant la philia. Amélioration du jeu de mot : le philentrope est celui qui pour son intérêt personnel prend des allures de philanthrope [2].
Je pourrais maintenant, devant vos yeux forcément ébahis, tenter de reconstruire a priori la figure du philentrope – comme j’ai tenté de le faire pour le cuistre. Mais il se trouve que je préfère Achille Talon à mes néologismes, je ne vous fatiguerai donc pas ici avec ce genre de constructions (bande de petits veinards !). Le philentrope est avant tout un concept désignatif : il sert à dénoncer désigner tous ces vilains qui arpentent les rues des grandes villes en bande, du printemps à l’été indien (vendredi dernier ils avaient déjà envahis la rue de la République à Lyon). Vous savez, ceux qui tentent de récolter de l’argent pour des associations humanitaires. Alors pourquoi s’indigner contre les vilains qui font acte de philanthropie ? Des gens qui alternent bassesse et générosité, c’est vieux comme l’anthropologie de Saint Augustin, et il y en a plein les Country Clubs. Mais il s’agit d’étudier ici des vilains qui sont précisément vilains lorsqu’ils font acte de philanthropie (lorsqu’ils semblent…), des philentropes.
Mais pourquoi sont-ils si méchants ? Parce qu’ils ont choisi de travailler chez les méchants. Sans doute doivent-ils manger, mais ils ont choisi leur métier [3]. Les méchants, c’est ONG Conseil, une boîte à laquelle des ONG confient le soin de leur trouver des revenus.
Comment opèrent ces gens-là ? Il visent les jeunes, arrivent en groupe et interjectent (sont agressifs même avec une voix joviale). A ce niveau, on dirait les jeunes arnaqueurs, œuvrant prétendument pour la jeunesse, qui vendent des cartes postales à 8 euros. La différence ? Le costume, la somme demandée et le but affiché de leur action.
Tableau des différences
Qui | Le costume | La somme | Le but |
Les arnaqueurs | néant (Djeuns) | environ 8 euros contre une carte postale | aider à monter un projet (pour la jeunesse) |
Les philentropes (des jeunes !) | une couleur vive (avec le nom d’une asso) | 8euros par mois minimum (par virement) | aider les démunis (liés à une ONG) |
Ces différences ne doivent pas cacher le mécanisme commun : l’arnaque par sympathie. Lorsqu’on se fait arnaquer, quelque part on est au courant, on voit les choses arriver mais on laisse faire comme un simple spectateur. L’arnaque repose aussi sur une passion accessoire : on craint toujours un peu le jeune de banlieue et sa carte postale, on craint pour son chez soi quand on accueille le serrurier en 0800, et on craint de passer pour un salaud quand on nous demande ce qu’on fait pour le tiers-monde, le quart-monde ou les animaux — certes, c’est à partir d’une anthropologie de la crainte que j’opère ici, on pourrait poser d’autres passions comme support de l’arnaque (empathie, générosité, etc.). Mais l’arnaque employée par celui qui dit agir pour une bonne œuvre est pire : le philentrope qui vous arnaque (force votre consentement par sympathie) peut vraiment croire qu’il fait autre chose que vous arnaquer. Sa mauvaise foi est aussi grande que la culpabilité qu’il fait naître en vous.
Apportons cependant un bémol à cette condamnation unilatérale [4]. Il semblerait que les managers d’ONG Conseil ménagent leur troupe et leur modus operandi si leur commanditaire leur demande de le faire. Ainsi, une employée de ces vilains pour « Habitat et Humanisme » (ou quelque chose dans le genre) a eu pour consigne de ne pas être agressive dans la vente et d’être sûre que les donateurs soient des gens qui profitent de l’occasion pour agir (et donner) comme ils auraient à la limite pu agir d’eux-mêmes, de se contenter d’être un comptoir accessible. Mais ce serait oublier le connard qui a failli me faire verser quelques euros par mois à l’UNICEF alors que je n’avais pas de revenus (pas même de carte bancaire), ou un autre qui démissionna d’ONG Conseil parce qu’il trouvait que la gestion et le licenciement facile du personnel pour manque d’efficacité étaient un peu monstrueux.
Car voilà la chose : ONG Conseil n’est pas une ONG , et ses employés ne sont pas des bénévoles, ils sont payés (et commissionnés ? et ont la possibilité de voir leur salaire fixe évoluer… mais à partir de quels critères ?). Pour ne pas avoir d’ennuis, il faut placer le lien suivant http://www.ongconseil.com/nos-valeurs.html où le tout venant pourra voir que je suis un salopard trop prétentieux, ou que les choses ont pu changer avec le temps.
En tout cas, au nom de la bonne cause, on s’autorise alors à employer les méthodes les plus agressives du street-marketing – je suis désolé que les déclarations d’intention de la GE (gentille entreprise) ne correspondent pas nécessairement à mon vécu personnel. Ces gens semblent servir ce vieux Mammon (le démon de l’argent, que Marx met en avant dans le premier livre du Capital [5]), avec l’aval de certaines associations. Quand on joue pour le bien, on devrait vraiment le faire bien, quitte à jouer avec une main dans le dos. Si vous acceptez de faire appel à des méthodes marketings à la limite de l’arnaque, ne renforcez-vous pas cet horrible système où l’argent est roi ? Prétendant servir les démunis, ils servent Mammon et agissent donc contre les démunis.
Alors nous voilà en plein dans un conflit entre éthique de conviction et éthique de responsabilité (si l’on suit Weber dans Le métier de savant). Une valeur : aider son prochain (les démunis). En éthique de conviction, c’est cette valeur qu’il faudra à tout prix défendre, en refusant tous les moyens qui s’en éloignent, comme le street-marketing. En éthique de responsabilité, on pense à sauver les plus malheureux quelle que soit la façon dont on prend l’argent. En vrai il faut ménager les deux (l’homme politique compétent est celui qui commence par la responsabilité et sait un jour dire stop au nom de ses valeurs). Sans doute ne suis-je qu’un curé qui avance masqué [6], car la façon dont ces gens ménagent responsabilité et conviction me semble bien ahurissante.
_____________________________
[1] Pour les curieux : le mot entropie s’appuie que entropê, l’action de se retourner, de changer de disposition
[2] Heureusement que je n’ai pas l’influence d’un Derrida, sinon ce mot assez moche risquerait de se répandre.
[3] Un type moins consensuel pourrait dire de même à propos des policiers qui expulsent les sans-papiers
[4] Avant de la reprendre, parce qu’il faut quand même pas pousser !!!
[5] Plus je vérifie et moins je suis sûr de mon coup ; si un généreux lecteur veut bien me confirmer la chose, qu’il n’hésite pas
[6] Un peu à la Léon Bloy, « S’il donne de mauvais cœur un sou à un pauvre, ce sou perce la main du pauvre, tombe, perce la terre, troue les soleils, traverse le firmament et compromet l’univers », in Le Désespéré.
Pour approfondir, ce produit disponible chez un libraire de proximité, éthique, responsable, durable et équitable : |
9 avril 2011 à 17:18 Ovide[Citer] [Répondre]
J’aime l’analyse de la ruse 🙂
Oui, il se trouve que les vendeurs de rue et autres joyeux humanitaires utilisent des tactiques sournoises. « Aimez-vous les animaux? » « oui » répondra le piéton moyen (car le piéton moyen aime les jeunes, les animaux, l’égalité et la liberté, car le piéton a une haute estime de lui-même). C’est alors que le joyeux vendeur lui expliquera qu’il faut verser de l’argent pour aider les gentils koalas. Le piéton moyen se trouvera alors pris dan sun paradoxe: lâcher de l’argent à ce qui est clairement une arnaque ou se contredire.
C’est assez sournois j’en conviens et, pour avoir travaillé dans la vente je le sais bien, efficace. Mais que faire? L’ONG a besoin d’argent pour sauver les koalas. Si l’ONG attend que les gens donnent spontanément…il risque d’avoir peu de revenus (et je relaye un préjugé moderne qui veut que le piéton moyen est un sale pourri égoïste). DONC, en partant de l’hypothèse que le piéton moyen est un égoïste radin, le collecteur de fonds ne doit pas hésiter à utiliser des méthodes douteuses, car le fin justifie les moyens.
Comme le signale Luccio c’est grave parce que le camp du « bien » est en train de passer au service du dieu argent. On oublie de compter sur la générosité spontanée des individus. Pendant la seconde guerre mondiale, les français ont sauvé des milliers de juifs au péril de leur vie, sans promesse de récompense. Il n’était pas nécessaire d’argumenter pour que leur générosité s’éveille.
9 avril 2011 à 18:37 Kévin[Citer] [Répondre]
En quoi ce fait-on arnaquer en devenant donateur régulier pour la Croix Rouge ou l’Unicef?
Je ne vois pas en quoi le fait d’ être très légèrement « agressif » avec les riches pour qu’ils aident les pauvres peut de quelques manières que ce soit entrer en contradiction avec l’objectif d’ aider les pauvres.
Des formules comme « en vrai il faut » peuvent-elles encore être employées au-delà du CE1?
10 avril 2011 à 22:21 Luccio[Citer] [Répondre]
Ovide, je comprends ton argument. Mais fais quand même gaffe avec les comparaisons (même si elles servent à étayer l’argument).
Kévin, pour faire court : il est plutôt recommandé d’être irréprochable quand on fait la leçon aux autres.
1) Disons que pour l’action humanitaire c’est particulièrement le cas (argument moral)
Ca ne fait pas tout, mais ça compte. Ensuite, pour me citer moi-même (autant y aller à fond !), « Prétendant servir les démunis, ils servent Mammon et agissent donc contre les démunis ».
2) Si on pense que tout est plus ou moins permis pour arriver à ses fins (égoïsme), on légitime un mode de pensée qui semble à l’origine de tout le mal (physique et moral) dans le monde. L’égoïsme ne servirait finalement que l’égoïsme (argument métaphysico-etc.).
3) Une petite dernière question (plutôt dans le registre de ton commentaire) : est-on bien sûr qu’on prend aux riches ?
Enfin, excuse-moi de ne pas répondre à ta petite suggestion de style.
12 avril 2011 à 18:21 Kévin[Citer] [Répondre]
Cher Luccio, tu répètes dans ta réponse ton argumentation que j’avais, je crois, déjà comprise.
même un français assez pauvre est infiniment plus riche que les populations pour lesquelles certaines ONG comme action contre la faim. Je crois que justement ce genre d’ asso ne fait pas de moral: il s’agit de prendre un peu à une société qui a trop pour donner à ceux qui n’ont absolument rien.
On a l impression que tu es capable de t’indigner de choses futiles qui te touchent de près (les assos qui collectent des fonds dans la rue) plus que des situations vraiment scandaleuses (il parait qu’ en Afrique on crève de faim, il parait).
Alors j’ai bien compris que tu voulais surtout nous servir ta soupe philosophique sur la question des fins et des moyens (très originale par ailleurs). Mais l’exemple choisit me semble totalement inadéquate et peu pertinent. Comme si tu avais d’ abord tes concepts à caser, mais que ta petite vie étriquée ne t’as pas permis de trouver d’ exemple valable.
12 avril 2011 à 19:48 Ovide[Citer] [Répondre]
Oui Luccio, effectivement je caricature un peu. C’était pour pointer que « l’égoisme psychologique », la théorie qui veut que l’humain est égoiste, est trop souvent présentée comme une évidence alors qu’il s’agit d’une construction théorique. J’aurais peut-être mieux fait de mobiliser les analyses de Terestchenko pour étayer mon propos.
Pour Kevin, « l’exemple choisi » me paraît au contraire très pertinent. Sous couvert d’action humanitaire, peut-on employer n’importe quelle méthode? Quand Machiavel écrit qu’il vaut mieux un bon bain de sang plutôt que le chaos, il vise une cause juste (la paix) mais propose des moyens discutables.
A titre personnel, je travaille depuis presque 15 ans dans le social (oeuvres caritatives, animation avec des jeunes défavorisés), je comprends qu’on puisse être indigné par « l’insensibilité » de nos concitoyens à la misère humaine. Mais si on se met à employer des méthodes capitalistes, si on se met à servir le système qui provoque certains maux de notre société, on risque de mettre le doigt dans l’engrenage.
12 avril 2011 à 21:34 kevin[Citer] [Répondre]
Envoyer des jeunes (et donc au passage leur donner un salaire) pour rappeler qu’une partie du monde grève de faim et qu’on pouurait leur filer chacun quelques euros par mois= « n’importe quelle méthode »…
N’importe quoi.
13 avril 2011 à 11:34 Luccio[Citer] [Répondre]
Coupable ! Sans doute parce que j’imagine que ce genre de trucs à minima pourrait suffire si tout le monde faisait pareil — si chacun s’occupait de ses petits scandales, peut-être ne se taperait-on pas les gros. Peut-être est-ce faussement moral et politiquement inefficace. En tout cas on ne pourra pas me reprocher d’avoir une indignation menée par le fantasme : je n’ai pas besoin du malheur des autres pour vivre.
Quant à ma vie de carpe, elle a ses indignations avant ses concepts (et mes concepts ne cherchent pas des situations). Une fois on m’a demandé de donner 8 euros par mois, j’ai signé et tout. Le truc c’est qu’à l’époque j’étais chez mes parents avec un argent de poche de 50 euros par mois, et que j’ai signé pour je ne sais quelle raison (je pensais trouver un boulot l’été). Bref, j’ai été victime d’une arnaque — car rien qu’en sandwichs occasionnels, 50 euros filent vite. Ton serrurier en 0800 va bien te remplacer ta serrure, dont tu as vraiment besoin, mais quand il te surfacture, il t’arnaque. Ben là j’ai l’impression que c’est pareil. A l’époque je suis allé récupérer l’autorisation de virement l’après-midi, j’aurais bien aimé avoir eu les armes conceptuelles pour voir l’arnaque et m’éviter cette situation embarassante.
Ce n’est que dans un second temps, parce que je suis très intelligent, que je suis allé chercher des concepts pour totaliser tout ça. Et dans un dernier temps (qqs années plus tard), je fais un Morbleu, parce que je me dis que c’est quand même un phénomène intéressant, où je glisse un peu de Weber à l’occasion, pour faire découvrir. Il y a donc volonté de servir ma soupe, mais la chose vient avant le concept — qui traine quelque part mais ne cherche pas à s’appliquer (c’est un peu comme si tu accusais un candidat de Question pour un champion de se cultiver uniquement pour gagner à Question pour un champion).
Et puisque j’ai fini de me justifier pour justifier mon propos (ce qui est toujours un peu absurde pour celui qui ne fait que commenter, différent de celui qui agit), voilà mes pattes blanches qui présentent ce petit mot : « si les ONG ne font pas de morale, que font-elles ? ».
Si elles font de la politique, selon moi, elles s’y prennent mal, mais Ovide vient à nouveau de le résumer.
Si elles sauvent à tout prix des vies en s’en foutant des moyens, j’ai limite le droit de leur cracher à la gueule, juste en me concentrant sur ma vie en me foutant des moyens. Je pourrais même dire que ma vie de type cultivé vaut plus que celle d’une bande d’analphabètes, autant que j’aille au ciné ! Mieux : je pourrais monter une boîte qui vendrait ses services comme récolteuse agressive de sous.
Mais tout ça est évidemment plus compliqué !
13 avril 2011 à 16:23 Kévin[Citer] [Répondre]
L’un d’entre nous n’a pas compris la définition du mot « arnaque ». Je ne vois pas le rapport entre la definition qu’en donnent les dictionnaires et la situation que tu décris. Merci de m’expliquer ce lien.
Effectivement, les candidats de question pour un champion n’ont peut être pas tous bien compris que la culture n’était pas un ornement, ils ne sont sans doute pas les seuls.
13 avril 2011 à 18:38 Chloé[Citer] [Répondre]
Hop, un premier commentaire sur Morbleu !
.
1) Tout d’abord, je pense que les salariés d’ONG Conseil sont effectivement commissionnés, au moins dans certains cas (selon les associations ?), bien qu’une recherche rapide sur internet ne m’ait pas permis de trouver de « preuve » de cela. Mais j’ai discuté il y a quelques temps avec quelqu’un (un ancien étudiant en philo !) qui bossait comme recruteur de donateurs pour cette boîte, et qui m’avait clairement dit qu’il percevait des primes en fonction des dons qu’il parvenait à obtenir (une certaine somme pour un don ponctuel, et plus pour l’obtention un prélèvement mensuel).
.
2) Par ailleurs, la rentabilité du recours à ONG Conseil pour les associations est très discutable. En effet, une heure dans la rue d’un salarié d’ONG Conseil (payée 10 euros) coûte au minimum… 60 euros à l’association concernée. Et comme le rendement est inférieur à une promesse de don mensuel par heure (autour de 0,7 signature / heure), et que le don consentit est en moyenne de 10 euros / mois, ça signifie, tout compte fait, qu’un don souscrit via ONG Conseil n’est rentable pour l’association qu’au bout de 8 à 12 mois environs. Ça veut donc dire qu’un donateur (un arnaqué ?) remplit les poches d’ONG Conseil pendant cette période avant de commencer à financer l’association de son choix… Plutôt écœurant, non ? On peut douter du fait que les gens accepteraient de donner via ONG Conseil, s’ils étaient correctement informés… Source : Rue89, http://eco.rue89.com/2009/11/09/ong-enquete-sur-le-business-des-donateurs-125253.
.
3) Le recrutement de donateurs via ONG Conseil s’oppose à une démarche de de type militant – puisque l’objectif, c’est de faire du chiffre. Les formateurs d’ONG Conseil le disent clairement : l’activité militante, c’est trop fatiguant, pas assez rentable, c’est contre-productif (même source, Rue 89). L’activité d’ONG Conseil (que l’on peut donc, il me semble et au vu de ce qui a été dit précédemment, à juste titre assimiler à une activité de type marchand, où il s’agit de vendre de la bonne conscience après en avoir (provisoirement) créé le besoin) s’oppose donc à une démarche militante, qui consiste à s’efforcer de faire prendre conscience à quelqu’un de certaines réalités, qui va alors, peut-être, se mettre à réfléchir plus avant sur les fonctionnements de la société dans laquelle il vit et qui sont à l’origine des problèmes auxquelles ces associations tentent d’apporter des palliatifs.
.
4) On peut toutefois douter que les ONG qui font appel à ONG Conseil aient par ailleurs vocation à mettre véritablement en œuvre ce type de démarche militante, dans la mesure où il s’agit de grosses ONG qui se veulent apolitiques, dont le militantisme évitera en général de mettre les problèmes sur le compte de systèmes et de décisions politiques (est-ce que ce n’est pas ça qu’il faut mettre sous le nom de « Mammon » ?). Je ne veux pas dire qu’il faudrait cracher sur ces ONG, mais que c’est intéressant de voir ce que ça implique en terme de limitation de leurs actions. Un exemple : un article qui pointe le fait que la Croix-rouge, avec son refus de toute prise de position politique, en vient à constituer un appui pour le gouvernement à sa politique d’expulsion des sans-papiers. (Source : L’Envolée n°29, novembre 2010, pp. 40-41 ; téléchargeable à l’adresse http://lejournalenvolee.free.fr/article.php3?id_article=42). Dans cette perspective, on comprend assez bien que les ONG en question fassent appel à ONG Conseil – même si c’est finalement absurde, du point de vue de l’argument du type : « les associations qui délèguent leurs activités de recherche de dons à ONG Conseil participent (aveuglément) au fonctionnement d’une économie responsable des problèmes qu’elles prétendent combattre ». Ce que je dis dans ce dernier point revient à demander s’il ne faut pas mettre au compte de l’apolitisme déclaré des ONG leur choix de faire appel à ONG Conseil ?
13 avril 2011 à 19:06 Ovide[Citer] [Répondre]
L’arnaque c’est l’échange déséquilibré. Dans un bon échange, les deux partis doivent être satisfaits. Mais dans le cas qui nous occupe, difficile de parler d’échange puisque nous sommes dans le don. Le don pur et gratuit puisqu’il est sans public et sans possibilité de réponse.
Le don est toujours une « arnaque » de ce point de vue. Mais ici l’arnaque vient de la méthode employée. Si on use d’un sentiment de culpabilité et de la manipulation pour soutirer de l’argent à des jeunes sans emploi, est-ce équivalent au don motivé par la générosité et le désintéressement?
Le nouveau système est discutable sur un autre point: le don perpétuel. De mon temps, on donnait de l’argent ou un sandwich. Maintenant on demande une « contribution régulière ». Ca me semble à l’opposé de l’idée de don. Le don doit être spontané et sans espoir de retour. Il s’exerce dans la fulgurance, dans le sentiment. Qu’est-ce que c’est que cette rationalité du don qui voudrait imposer un petit don régulier? Mieux vaut donner 50 euros une fois plutôt que 50 fois un euro.
13 avril 2011 à 19:12 Luccio[Citer] [Répondre]
Je n’aurais pas dit mieux.
13 avril 2011 à 20:44 Kévin[Citer] [Répondre]
Le texte de départ était un peu débile. Je suis content de vous avoir amené au bout de votre connerie, avec le dernier commentaire d’Ovide en bouquet final.
Salut.
13 avril 2011 à 20:54 Kévin[Citer] [Répondre]
Le texte de départ était un peu débile. Je suis content de vous avoir amené au bout de votre connerie, avec le dernier commentaire d’Ovide en bouquet final.
« difficile de parler d’échange puisque nous sommes dans le don »: il faut être sacrement inculte pour écrire ça. Lis n importe quel ouvrage d’anthropologie sur la question du don …Pfff
Par ailleurs tu confirmes par cette définition (même idiote) du don que l’empoi du mot « arnaque » n est pas du tout adapté
Adieu
13 avril 2011 à 21:13 Luccio[Citer] [Répondre]
Pas mal la réponse sur le don.
Mais le don n’est pas qu’un concept anthropologique. Et l’arnaque n’est pas qu’un mot du dictionnaire (ou propre à l’utilisation que tu en fais).
Mais le plus important est d’expliquer au futur lecteur de ce fil que si on n’a pas répondu plus tôt au commentaire de Chloé, c’est parce que son commentaire est apparu tardivement (sans doute en attente d’une autorisation de publication vu la taille, il faut remercier Oscar de l’avoir sorti du purgatoire). http://www.morbleu.com/le-philentrope-ne-fait-pas-le-printemps/#comment-10693
Chloé, merci pour ton commentaire.
Sur l’apolitisme affiché et le recours à ONG — ta thèse d’une association entre l’appel à ONG Conseil et l’apolitisme des associations clientes –, m’est avis que c’est pas mal vu du tout (simple et bien vu). En plus ça confirmerait ce qu’on devine chez Kévin et que partageraient ces ONG, une position plutôt cohérente face au scandale qu’est la misère : tout est bon pour lutter contre, même les compromissions.
Dans le détail :
1) tu es plus courageuse que moi dans ton propos, mais comme auteur du billet et par couardise, je rappelle que ONG Conseil semble démentir ce genre de trucs (ou c’est flou, ou c’est que je ne saisis pas)
2) Merci pour le résumé de l’article de rue 89 (je l’avais lu après la publication du billet, mais avec paresse, comme quoi un lectorat de qualité — tous les lecteurs de Morbleu — peut remplacer les défaillances des scribouilleurs).
Et faut dire que tout ça m’a assez choqué.
3) c’est en effet ce qu’on lit sur Rue 89, et ça s’oppose avec le discours affiché : on m’a souvent dit qu’on était là pour me sensibiliser
4) je te l’ai déjà dit, je trouve ça très pertinent
un réserve toutefois sur le lien entre gvt, sans-papiers et Croix Rouge, que je ne commente pas tout de suite car je vais faire dodo sans lire l’Envolée (pardonne-moi)
13 avril 2011 à 21:49 Luccio[Citer] [Répondre]
Si certains s’imaginent que je déborde d’enthousiasme parce que c’est le commentaire d’une fille, ils n’auraient pas tort, mais pas tout à fait raison. Le plus important : ce commentaire est compatible avec MON propos à MOI (je suis égocentrique) ; mais tout aussi important : enfin un commentaire de fille. Car même si les genres remplacent les sexes et toussa… il n’en demeure pas moins qu’une tas de gonzes qui discutent entre eux, c’est quand même moins la classe qu’un groupe ouvert où on n’a pas que des amateurs de Catch.
14 avril 2011 à 11:42 Ovide[Citer] [Répondre]
Lucci: On a peu de filles parce que les stéréotypes veulent que les philosophes soient des hommes.
Kevin: Ton argument n’en est pas un. Tu ne peux pas arriver et dire « Marcel Mauss a dit autre chose », c’est un argument d’autorité. D’ailleurs si tu avais lu nos commentaires en détails tu verrais que j’ai précisé un don « sans public et sans possibilité de réponse ». On est pas dans le cadre d’un potlatch ou d’un contre-don séparé dans le temps.
Chloé: Les associations font le choix de l’apolitisme pour ne pas se poser de limites. Si elles faisaient le choix de se positionner, elles risqueraient de ne plus recevoir le soutien des groupes concurrents. Après on peut débattre de la possibilité de la neutralité.
15 avril 2011 à 14:04 Chloé[Citer] [Répondre]
Merci pour ta réponse et ton accueil, Luccio. Ça me semble juste d’aller dans le sens que tu proposes pour comprendre la position de Kévin.
.
Ovide, je ne conteste pas le fait que ce soit pour ne pas se couper de sources de financements que les ONG se définissent comme étant apolitiques – même si, par ailleurs, l’on doit aussi pouvoir compliquer cette analyse (en disant notamment que les principes que ces ONG défendent sont, de leur point de vue, susceptibles de transcender toute appartenance politique).
.
Par contre, j’ai indiqué l’opposition entre une pratique militante et une activité marchande. Je suis donc en désaccord avec une conception du soutien apporté à une association comme devant se baser sur quelque chose comme une fulgurance du sentiment, je pense au contraire qu’il doit s’agir d’un choix rationnel et militant.
16 avril 2011 à 7:40 Ovide[Citer] [Répondre]
On peut faire un choix militant, au sens sartrien. Je m’implique dans des actions humanitaires donc je milite en faveur de cette attitude. Je donne l’exemple d’une attitude pour qu’elle soit reprise. Là je suis d’accord.
Je défends une conception morale basée sur le sentiment(dans la lignée de la philosophie écossaise: Hume, Hutchetson) parce que j’émets des doutes sur une morale « rationnelle ». C’est très bien Kant, en théorie. Mais les désastres du 20ème siècle ont montré les limites de la raison. La raison en tant que telle peut devenir simple raison instrumentale, coupée de la moralité. Le triomphe de la raison au vingtième siècle n’a pas empêché la violence et la barbarie. A l’inverse, les recherches menées par les psychologues américains sur les Justes (les sauveurs de juifs) tendent à démontrer que les gens qui agissent moralement agissent en suivant l’impulsion de leur sentiment(générosité/compassion) et ne font pas un raisonnement.
Je suis d’accord pour dire qu’un philosophe, quand il écrit son livre, se base sur un système rationnel pour démontrer son système. Mais dans la réalité (disons dans la « pratique » pour ceux qui doutent de la « réalité ») qui parmi nous agit de façon parfaitement rationnelle? A part Kant, qui se livre à un calcul rationnel pour se dire qu’il faut agir moralement? Spontanément, nous sommes portés par la fulgurance des sentiments moraux à aider les autres. Nous rationalisons ces actions a posteriori.
5 août 2013 à 15:11 Luccio[Citer] [Répondre]
En passant,
http://blog.causeur.fr/asiledeblog/charite-mal-ordonnee,001911
afin de signaler l’existence du blog du mari de la madame, mais surtout de l’auteur de l’excellente histoire de la pensée universelle, de Cro-Magnon à Steevie.