L’islam n’est pas violent, mais il peut le devenir
Attention lecteur. Aujourd’hui, on polémique. Ça va parler islam, politique, violence et banlieues. Un vrai morceau de rap, en somme.
Nul besoin d’être très avancé en herméneutique pour découvrir cette évidence : un texte est toujours ambigu. Plusieurs interprétations d’un même texte sont toujours possibles. Certaines significations d’un texte apparaissent être plus subjectives qu’objectives. Sur certaines questions, le sens réside plus dans l’esprit du lecteur que sur le papier.
C’est particulièrement le cas avec un texte religieux. Plus c’est ambigu, plus on glose. Car déjà lorsque c’est peu ambigu, il arrive qu’on glose. En philosophie par exemple, où le « vieux Kant », comme le surnommait Nietzsche, est considéré par certains comme cet esprit éclairé, Père du rationalisme moderne et des sociétés ouvertes, alors qu’au contraire un autre comme Onfray pourra dire qu’il est en fait la source théorique du IIIe Reich.
Avec quelque chose de moins ambigu encore que la philosophie, comme un texte à prétention scientifique, il reste encore possible de gloser. Les Éléments d’Euclide furent longtemps un texte que l’on pensait définitif et achevé. Cependant, un beau jour du XIXe siècle, on questionna l’axiome des parallèles pour tester sa solidité, avec les suites que l’on sait. On tira des interprétations opposées de ce manque de consistance : géométrie elliptique et géométrie hyperbolique.
Avec un texte religieux, dont la particularité est sans doute l’ambiguïté, mais aussi le fait qu’il s’applique à des matières non empiriques au sujet desquelles toute science est impossible, une multitude d’interprétations sont possibles.
C’est pourquoi caractériser la nature d’une religion par le simple texte n’a aucun sens, car le simple texte n’a aucun sens. Le simple texte n’a aucun sens, car c’est le lecteur qui lui donne un sens. Par suite, c’est le pratiquant qui donne un sens à la religion. Plus que le dogme religieux, c’est le rite religieux qu’il faut étudier. Non pas chercher à saisir une hypothétique essence d’une religion, mais le comment on la pratique, comment peut-on la pratiquer, comment est-il possible qu’on la pratique ainsi et pas autrement. (Appliquer une méthode nominaliste en quelque sorte, supposer au moins à titre d’hypothèse que les grands universaux – LA Religion, L’Islam, – que l’on pense exister n’existent pas, et comprendre au contraire comment ils se constituent en tant que pratiques parfois hétérogènes.)
Il n’y a donc pas d’islam en soi, de même qu’il n’y a rien dans cette religion qui soit irrémédiablement constitué, absolu, inchangé et immuable. Le fameux djihad par exemple signifiera pour certains la lutte à mort contre tous les infidèles, alors que pour d’autres il signifiera simplement une lutte intérieure purificatrice contre ses mauvais penchants. (À en croire une source fiable, les théologiens musulmans recenseraient classiquement 14 formes de djihad, pas moinsse.)
Un monde sépare ces deux interprétations : une totalitaire et une tolérante. Une interprétation sépare ces deux mondes : celui du totalitarisme et celui de la tolérance. (Ces derniers temps, j’essaie d’écrire comme Charles Péguy.) Ce qu’on observe, c’est que les mêmes éléments constitutifs d’une même religion peuvent se prêter à des interprétations opposées. L’islam peut être totalitaire. L’islam peut être tolérant.
Jusqu’ici lecteur, rien de neuf et de bien pertinent. Toi qui t’attendait à de la castagne, tu es peut-être déçu. Attends la suite qui est peut-être plus contestable.
Historiquement, il se trouve que les terres de l’islam furent grandement colonisées par l’envahisseur européen. Du Maghreb au Machrek, pas un centimètre que l’homme blanc n’ait pas foulé de ses gros pieds et souliers noirs (c’est de là que vient l’AOC « Pieds-Noirs ») afin tantôt d’asservir les sauvages (conception exploitatrice du colonialisme), tantôt de les éduquer (conception civilisatrice). L’islam, la religion de l’autre, devint par contrecoup la religion du « damné de la terre » (Franz Fanon). C’était la religion de l’oppressé. C’est devenu la religion des minorités, des marginalisés, des exploités.
L’islam permet une interprétation violente. On l’a vu. Ce sont les faits. L’islam peut être ainsi un bon moteur pour organiser la rébellion, la résistance, la révolution. Les exemples ne manquent pas. La révolution iranienne fut sans doute l’un de ces moments historiques où la religion permit non pas d’asservir politiquement l’homme, d’aliéner les classes populaires comme le voulait l’interprétation marxiste faisant d’elle l’opium du peuple aux mains des classes dominantes, mais au contraire de libérer politiquement (entendre simplement : bousculer, à tort ou à raison, l’ordre politique existant, chahuter les classes dominantes ; que la révolution iranienne fut souhaitable ou pas est une question ici périphérique).
Parce que l’islam permet une interprétation violente, il a permis que les minorités s’en servent comme moyen de résistance contre les classes dominantes.
Les cas des conversions sont intéressants. Il arrive que certaines personnes issues des minorités étrangères au monde de l’islam se tournent vers cette religion. Tout comme il arrive que certaines personnes étrangères aux minorités et étrangères au monde de l’islam se tournent vers cette religion, car en guerre contres cette société et ses classes dominantes.
Les black muslims, la Nation of Islam fut précisément une tentative d’organisation de l’islam à des fins nationalistes, politiques : celle des Afro-Américains qui entendaient parfois presque bouter les WASP hors d’Amérique. Malcolm X n’était pas musulman, et il rejoint cette organisation moins dans des fins spirituelles que politiques. Mohamed Ali n’était pas musulman, et il en fit de même.
Le terroriste d’extrême gauche Carlos n’était pas musulman. Il n’était pas non plus issu des minorités : il était fils d’un riche avocat. En guerre contre la domination, il se convertit. L’extrême gauche, puis l’islamisme. L’extrême gauche et l’islamisme, mais pour une seule fin : la lutte contre la domination politique.
Que nos délinquants soient parfois musulmans apparaît ainsi simplement circonstanciel. L’islam est compatible avec la violence, et l’islam est la religion associée aux minorités oppressées. Nos délinquants pourraient ne pas être musulmans, si la religion associée aux minorités oppressées était autre. Même : quelle religion ne pourrait pas ne pas être compatible avec la violence ? Ils existent même certains bouddhistes terroristes, comme il existe des kantiens nazis (ou des nazis kantiens ?).
Il y a des convergences et des oppositions binaires canoniques, mais celles-ci sont simplement circonstancielles. On parle parfois d’une alliance des totalitarismes rouge-vert-brun. Le communisme, l’islamisme (ou simplement l’islam pour certains), le fascisme. Tous ont pour particularité de vouloir renverser l’ordre établi. Tous ont des ennemis communs : l’ordre établi. Les Américains, les Juifs, les Sionistes. C’est pourquoi on trouve des gens d’extrême gauche antisémites, comme on trouve des musulmans antisémites. Que certains s’allient : voir le triumvirat Soral-Dieudonné-Le Pen. Mais ceci est simplement circonstanciel.
Dire que la violence est consubstantielle à l’islam est faux. On n’est pas violent parce que l’on est musulman. Mais on peut devenir musulman, adopter tous les signes apparents de l’islam parce que l’on est violent, que l’on veut se révolter. Et l’on peut être violent parce que l’on a le sentiment de faire partie d’une minorité oppressée, ou parce qu’en guerre contre l’ordre établi. À tort ou à raison.
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23 décembre 2009 à 9:40 Jean Roche[Citer] [Répondre]
Belles généralités. Je me permets quand même de compléter avec ceci :
« Dès qu’il est reconnu qu’une croyance, et peu importe laquelle, est importante pour toute autre raison que d’être vraie, alors on s’expose aux pires abus. Le contrôle de l’appareil judiciaire en est le premier, mais d’autres sont sûrs de suivre. Les emplois de direction seront réservés aux personnes qui présentent toutes les garanties d’orthodoxie. Les documents historiques seront falsifiés s’ils remettent en cause les opinions reçues. Tôt ou tard, toute déviance sera considérée comme un crime et sera sanctionnée par le bûcher, les purges ou les camps de concentration. » (Bertrand Russell, Pourquoi je ne suis pas chrétien, repris par Ibn Warraq, Pourquoi je ne suis pas musulman).
Quand à invoquer le Coran, on dit souvent que selon ce livre, « Quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes ».
A relativiser avec une citation plus complète :
5:32: C’est pourquoi Nous avons prescrit pour les Enfants d’Israël que quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes. En effet Nos messagers sont venus à eux avec les preuves. Et puis voilà, qu’en dépit de cela, beaucoup d’entre eux se mettent à commettre des excès sur la terre.
5:33: La récompense de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager, et qui s’efforcent de semer la corruption sur la terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leur jambe opposées, ou qu’ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l’ignominie ici-bas; et dans l’au-delà, il y aura pour eux un énorme châtiment,
5:34: excepté ceux qui se sont repentis avant de tomber en votre pouvoir: sachez qu’alors, Allah est Pardonneur et Miséricordieux.
24 décembre 2009 à 12:02 luccio[Citer] [Répondre]
Plutôt que de tirer des extraits de livre, si je devais dire mon mot sur ce billet, c’est qu’il ne laisse pas grand chose à la religion, ni même à l’individu.
En effet, qu’est-elle si elle n’est qu’un comportement social? Ou plutôt, qu’est-ce qu’elle n’est pas ?
Y a-t-il deux genre de religions possibles ? celui de ceux qui croient (qui comparaient les dogmes afin de choisir leur produit) et celui de ceux qui revendiquent (où les dogmes ne viennent qu’en second lieu) ? Que faire alors de la foi, qui passe par une sorte d’attirance vers une église (communauté religieuse) particulière ? doit-on la réduire à un sentiment social ou psychologique (aller à l’église qui recommande de se faire pousser les cheveux quand nos parents nous forçaient à les avoir longs) ?
Enfin, ce phénomène du croyant en état de minorité (là y’a un jeu de mot sociologico-kantien moyen mais que j’apprécie : voir Qu’est-ce que les lumières ?), peut mener à ceci : ne prendre dans la religion que ce derrière quoi chacun peut se retrouver ? soit à apprécier les variantes mystiques des grands récits religieux, celles qui inviteraient à voir que tout se rejoint dans l’océan de l’être. (Là je ne vais pas dans un sens Gnourosien, mais ah ah ah …) (pis c’est aussi assez chiant parce que ça fait de la religion un nid de tolérance, et après c’est la fin du débat, on va dénoncer les mauvais aspects du phénomène comme lui étant extrinsèques, alors que ça pourrait être les bons aspects, ou pire : ni l’un ni l’autre, voire les deux. Mais par renversement dialectique etc. – y’a toujours des gens pour s’amuser.)
Plus polémique (et pour susciter une réponse, ce bon Oscar est trop gentil pour correspondre à l’idée suivante, c’est un poperro-foucaldien) : à présenter la religion ainsi, ne propagande-t-on pas pour la nécessaire phobie de la religion minoritaire ? en effet le minoritaire qui passe par la religion ne comprend pas les processus en place, il est un membre du Lumpenprolétariat, un alcoolique de la pensée dialectique, un truc dangereux qui gêne tout le monde et à bon droit ? (parce quet se revendiquer d’un instrument d’asservissement pour konquir sa liberté… c’est digne de Rohff (Oscar parle de rap au début et moi je préfère Booba)
(moi je provoque… à ma minuscule échelle de lâche anonyme)
29 décembre 2009 à
[…] ce genre de raisons qu’on essaya de chercher lorsque l’on tentait de montrer que l’islamisme prenait ses sources non pas dans un texte qui serait par nature corrosif (pour sûr il peut l’être, mais il peut tout aussi bien ne pas l’être), mais plutôt […]
29 décembre 2009 à 17:51 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
J’avais commencé à répondre, mais je me rends compte que finalement, ma réponse excède ce qui est convenable pour un commentaire. Par conséquent, il est préférable que je me répandre en des nouveaux billets complémentaires, à commencer par celui-ci qui ne fait que radoter, au mieux clarifier, certains des points avancés ici.
7 février 2010 à
[…] dans le marbre d’une supposée essence de l’islam, mais serait bien plutôt accidentel, conjoncturel, historique, relatif à certaines causes sociologiques, anthropologiques et…, dont l’une pourrait bien trouver ses racines, selon cette hypothèse, dans le contrecoup […]
24 juillet 2015 à 9:54 Jean Roche[Citer] [Répondre]
Après, indépendamment de ce que le Coran prescrit ou proscrit, qui est très flou (par exemple le passage sur le voile ne permet pas de dire ce que les femmes doivent voiler), un texte qui menace, des dizaines de fois, des plus éternels et effroyables supplices ceux qui ne le croient pas ne peut que générer le fanatisme, surcompensation du doute selon C G Jung. Rien qu’avec ça, je ne cherche pas ailleurs ce qui fait que l’Islam génère plus de fanatiques que toutes les autres religions réunies.
Quant au « vrai Islam », désincarné, qui serait innocent de ce qui se fait de mal en son nom mais qu’on devrait créditer de ce qui se fait de bien en son nom, c’est une escroquerie morale.