Chers ingrats, chaires ingrates, si la lecture, cet été, de La Conjurations des imbéciles de John K. Toole vous malmène, n’ayez crainte, vous n’êtes pas les seuls. Les aventures d’Ignatius Reilly m’enchantèrent aussi ; et je me suis promis de lutter, moi aussi, contre toutes « ces insultes au bon goût et à la décence, à la géométrie et à la théologie ». Cordialement, Luccio.

Deux aveux pour commencer. 1. Cet été je n’ai pas encore acheté de Super Picsou Géant. Me le pardonnerai-je un jour ? 2. Alors que je me perdais dans les méandres des conditions de possibilité de la réfaction de mon PIQSOU n°4, j’ai vu que j’étais dépassé. En reste ce jour un petit résumé du traité que je n’ai pas écrit , sur quelques raison de se méfier des explications de nature sociologiques, car le PICQOU 4 s’y essaiera. [1]

Le propos partait d’un constat : à travers le problème de l’identité, la société nous somme d’être cohérents (papiers, déclarations, etc.). J’imaginais que le sociologue faisait de cet impératif une méthode (sans doute existe-t-il une version marxiste et francfortaise de cette critique), puis venait la suite. Voici donc un fantasme, un scrupule, une anecdote. [2]

Le fantasme

Y’a le bon sociologue, et le mauvais sociologue.

J’évoquais une illusion, ou plutôt un fantasme, c’est-à-dire une illusion qui rend le réel acceptable.  Précisément ici un fantasme sociologique, c’est-à-dire un fantasme propre au mauvais sociologue : « ce n’est qu’après enquête, que les activités humaines ne révèlent leur sens véritable ou leur efficacité réel », les témoignages des premiers concernés doivent nécessairement être filtrés. Ce principe insuffle la vie à des fantômes de paille anti-littéraires réels ; du moins je le crois, au moins à titre de repoussoir.

Derrière se dresse l’ennemi commun : le fantasme explicatif , de nature sociologique, anthropologique ou philosophique. C’est celui qu’esquisse le PIQSOU 2 ; c’est le repoussoir auquel votre serviteur craint toujours de céder (voir PIQSOU 3). En passant, la difficulté se double : croyant à leur fantasme, les hommes agissent et transforme le monde à son image. Quitte à détruire les possibles qu’ils ne savent pas déceler ; cela en toute bonne conscience. Ainsi, que d’enfants dyslexiques dont une réforme de l’apprentissage de l’orthographe a su déceler le mal-être ! Qu’importe les Cassandre à la Dehaenn … [3] Notons combien les mondes dogmatiques peuvent être légers, et leurs explications promptes à s’auto-justifier.

Le Scrupule

Mon analyse pourrait être anecdotique, non seulement per lector (malheureusement je m’y habitue), mais carrément per se. La cohérence que je traque est d’abord un moyen d’étudier l’identité, et pourrait ne compter pour rien ; la cohérence comme leurre ne brillerait qu’à travers le fantasme de la substance. Je serais très égaré et dans le faux.

Pis, le dernier volet des PIQSOU serait fondamentalement hors-jeu, lui qui prétend mettre au jour un amour social pour la cohérence (un moment où je ne suis cohérent ni pour me rassurer, ni pour m’excuser, mais pour me présenter aux autres) ; car le véritable enjeu serai la passion de l’union [union dans l’identité sociale].

Une Anecdote

Cette anecdote, pour être belle, repose sur deux fantasmes.

N°1 : le fantasme éducatif ; la clef du fantasme réside dans la croyance en l’autonomie, voire en l’autarcie, de l’éducateur : « Moi seul sait comment éduquer mon enfant ». Armé de ses lumières, l’éducateur renvoie le passé dans les cordes ;par la finesses de ses analyses, l’éducateur seul sait ce qui doit être fait ; imiter le passé n’est pas apprentissage, mais servilité. Ne développons pas trop, car la bêtise est évidente. Kant, déjà, osait ainsi indiquer à ses contemporains comment certaines générations passées avaient osé enseigner la marche à leurs bébés sans employer de youpala. Bref, hors de l’éducation éclairée, point de salut !

N°2 : le fantasme du genre. La version non sévère consiste à dire que le genre est plus ou moins social ou historique, et agir comme s’il était naturel ; ou l’inverse. La version sévère est une hydre toujours radicale : le genre est naturel, le genre n’a rien de naturel, les enfants souffrent des excès ou défauts d’une éducation trop ou trop peu genrée. Bref, hors du (bon/trans)genre, point de salut ! [4]

Le protagoniste : prenez un bon gars, un camarade d’université. Il y a deux ans j’appris son penchant à s’habiller en dame de façon occasionnelle, tout en déclarant être homme, afin d’opérer les bonnes révolutions dans les synapses de ses contemporains (je rajoute « synapses »). Il faut dire que la scène se passe dans cet étrange milieu de tolérance gentille et rafraîchissante que sont les campus allemands, du moins celui que j’eus la chance de fréquenter. Bon, jusque-là, tout va bien.

L’anecdote : Supposez que notre monsieur vienne d’avoir un enfant, avec une dame partageant ses fantasmes ; imaginez qu’ils lui donnent un nom nordique mixte parce que masculin dans un pays et féminin dans un autre (je n’ai aucune mémoire). Alors le prénom du bébé n’est pas genré. Bravo ; mais ce n’est pas assez. Il faut une éducation bien menée ! Ainsi, aux dernières nouvelles, les grands-parents et leur curiosité rétrograde n’avaient pas le droit d’approcher de l’enfant.e. (Rarement le langage épicène ne m’aura paru aussi opportun)

Source : Je tiens l’information de l’ancienne amie du monsieur ; à mon niveau c’est fiable, au vôtre c’est rumeur et littérature. Je devrais écrire au père, ne serait-ce que pour la petite bestiole dont il a la charge, mais j’ai encore trop peur de le comparer à Frédéric II, non de Prusse, mais de Sicile…

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[1] Peut-être
[2] Si seulement je passais plus de temps sur la plage, cette annonce ne serait pas si mensongère.
[3] Dehaenne va jusqu’à dire que certaines méthodes d’apprentissage de la lecture laissent volontiers se développer les dyslexies ; et je me permets de rajouter que leurs partisans doivent sans doute se vanter de savoir protéger les enfants dyslexiques des violences de la méthode syllabiques (j’ai trop de paresse pour exhumer une archive)
[4] Dogmatisme au choix ; la suite raconte un choix numéro 2.