Moment fondateur de la philosophie : la condamnation à mort de Socrate en 399 avant Jésus-Christ. L’apologie de Socrate écrite par Platon est le récit du procès qui précéda. Socrate y fait bien plus que de défendre sa seule cause. Sa plaidoirie constitue le manifeste de la pensée libre, de la philosophie. Voilà un homme qui préféra la mort à l’interdiction qui lui était faite de raisonner. Car cette interdiction n’est-elle pas en elle-même déjà un meurtre ?

  1. Platon, Apologie de Socrate, Exorde et réfutation des anciens accusateurs, 17a – 20c
  2. Platon, Apologie de Socrate, 25d – 27b

Socrate Le passage étudié ici est le début du procès de Socrate et a été divisé en trois temps dans l’annonce du plan de Luc Brisson. N’ayant pas trouvé de meilleur découpage, nous nous contenterons de le suivre. Socrate demande avant tout à son auditoire de le pardonner de ne pas s’exprimer selon les usages (17a – 18a). Ensuite, il annonce l’ordre dans lequel il va établir sa défense (18a – 19a), avant de détruire les accusations portées contre lui par les tous premiers accusateurs (19a – 20c).

Socrate n’a donc jamais eu l’occasion de se défendre : à soixante-dix ans, nous avoue-t-il, c’est la première fois qu’il se trouve accusé au tribunal. Peut-être est-ce dans le but de montrer que jusqu’alors, il a eu une conduite irréprochable. Il fut néanmoins déjà de l’autre coté du tribunal, en tant que juge, où il fut le seul à vouloir acquitter l’accusé.

Il n’est donc pas usé à ce type de pratique. Il ne possède pas l’aisance vocale que pourrait posséder un homme ayant pu avoir l’enseignement d’un sophiste. Ou tout du moins veut-il le faire croire et peut-être sommes-nous victimes tout comme le jury de l’ironie socratique, car comme le dit Luc Brisson dans une note, Socrate commence son allocution par « Quel effet, Athéniens (p 85) » en lieu et place du conventionnel « Quel effet, juges ». Cela prouve bien que Socrate avait une idée précise de comment se déroulait un procès. Mais il semble vouloir rester sur son terrain, celui sur lequel il discute tous les jours dans la rue.

Ainsi, Socrate fait référence à l’accusation de sophiste qu’on lui porte, en clamant qu’il n’est en aucun cas un « redoutable discoureur (p 85) », ou alors, c’est la définition du « redoutable discoureur » qui est à revoir : en effet, Socrate entend dire ici « la vérité, toute la vérité (p 85) », il veut rendre compte de la réalité tel qu’elle est puisqu’elle fut jusqu’ici très malmenée par les différents accusateurs, au point que Socrate en a presque « oublier[é] qui il [je] suis (p 85) »

C’est pourquoi Socrate veut à tout prix abandonner dans son exposé la langue des sophistes « embellies d’expressions et de termes choisis (p 85) », pour celle qu’il pratique, la seule qui soit conforme à la Justice. Il se doit, en tant qu’orateur (et non en tant que redoutable discoureur), de parler vrai. Il sera ensuite du ressort des juges de trancher sur la justesse de son discours, par rapport aux accusations portées contre lui. Mais quelles sont justement ces accusations ?

 

Socrate est victime de plusieurs types d’accusations. Il les divise de son chef en deux : celles portées contre lui récemment et celles portées contre lui en premier. Pour lui, bien qu’il ne sous-estime absolument pas les accusations récentes portées par Anytos, la priorité consiste tout d’abord à démonter les premières accusations : en effet, celles-ci ayant été proférées il a bien longtemps par un grand nombre de gens alors que beaucoup de membres du jury n’étaient alors qu’enfants, il est du domaine du possible que celles-ci soit profondément ancrées dans leurs esprits au point de ne plus pouvoir les en déloger. Socrate est conscient de la difficulté de cette tache, d’autant plus que le temps joue contre lui.

L’accusation de ces premiers pourfendeurs de Socrate est que celui-ci est « un savant, un penseur qui s’intéresse aux choses qui se trouvent en l’air, qui mène des recherches sur tout ce qui se trouve sous la terre et qui de l’argument le plus faible fait l’argument le fort (p 87) », en d’autres termes, Socrate est accusé d’être à la fois astronome, physiologue et sophiste. Pour Socrate, tout cela est de l’ordre de la rumeur, n’est pas fondé, et il n’aura de cesse de nous le démontrer par la suite de son discours. Ces accusations ne sont l’oeuvre que de lâches, puisque cette rumeur fut lancée sans que Socrate soit là pour apporter la contradiction qui aurait permis de tirer les choses au clair. Comble de la lâcheté, ses accusateurs sont anonymes, si l’on excepte Aristophane, l’auteur de Les Nuées dont nous aurons à reparler par la suite.

Pour l’instant, nulle mention n’est faite des accusations récentes, tout au plus Socrate établit-il une connexion avec celles-ci en analysant les conclusions que tirent les gens de la rumeur, à savoir que celui qui s’adonne aux types d’activités qui absorberaient Socrate ne reconnaît pas les Dieux de la Cité. Or, c’est justement une des accusations que Socrate aura à combattre face à Mélétos, après avoir détruit les anciennes accusations. Comment Socrate va-t-il pouvoir prouver qu’il n’est pas un penseur de la nature, qu’il n’est pas un sophiste ?

 

Conscient de la difficulté qu’il aura à défendre sa cause, Socrate se résigne tout de même à s’exécuter, non seulement parce que la loi lui en incombe, mais aussi parce que la divinité (le logos) en a voulu ainsi. Il rappelle tout d’abord nettement les deux premières accusations : celle de penseur de la nature et celle de sophiste.

Puis, il prend appui sur la « comédie (p 88) » d’Aristophane, Les Nuées, où il est présenté assis sur une balancelle pendue dans les airs, dissertant à qui veut bien l’entendre de divers sujets. Socrate s’empresse de dire que ces sujets lui provoque l’indifférence la plus totale, et que de plus, il est tout à fait ignorant de ce genre de problèmes. Il s’en remet aux Athéniens, de se rappeler si l’un d’entre-eux l’a déjà « entendu discourir sur de tels sujets (p 89) »

Il ajoute également qu’il n’a jamais demandé de l’argent en échange d’un quelconque enseignement, et cela lui permet d’opérer une transition vers le second chef d’accusation : celle de sophiste. Il cite tout d’abord trois sophistes célèbres ayant déjà « sévi » à Athènes : Gorgias de Léontinoi, Prodicos de Céos et Hippias d’Elis. Nul n’était originaire d’Athènes, contrairement à Socrate qui restera jusqu’à sa mort attaché à sa cité. Tous sont capables néanmoins de pouvoir se faire payer pour leurs enseignements dans n’importe quelle cité où ils passent, contrairement à Socrate qui vécut jusqu’à sa mort dans la pauvreté. La seule chose que Socrate a et qu’il se vante d’avoir, c’est son ignorance, et si Evenos de Paros est capable de se faire payer 5 mines pour son enseignement, il est hors de l’esprit de Socrate d’en désirer autant, lui qui est sans savoir, tant en ce qui concerne le ciel et la terre, que pour ce qui est de faire triompher la cause faible sur la cause forte.

 

Ainsi, Socrate a fait son possible pour balayer les accusations portées contre lui par les premiers accusateurs. Cela jette le lecteur dans le trouble, car si Socrate n’est ni un physiologue, ni un sophiste, qu’est-il vraiment ? La suite de son discours se chargera de répondre à cette interrogation.

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