Table des codes ASCIIOn le sait, l’hebdomadaire L’Express est en concurrence directe avec Le Point – chronologiquement, c’est d’ailleurs ce deuxième qui est apparu, grâce aux transfuges Revel et consorts, en réaction à la dégénérescence de L’Express, et qui venait le chahuter. Faut-il comprendre les dossiers que consacre L’Express ces dernières semaines à l’histoire de la ponctuation comme une attaque sournoise contre Le Point ? Peut-être est-ce trop dire. Reste que cela donne à penser.

Ainsi le tiret. Le tiret servait à marquer les temps d’hésitation de la pensée —-. On le traçait plus ou moins long : – ou ——- – ce qui n’est pas parfaitement rendu ici. Car avec l’informatique, la variation de la longueur du tiret, si toutefois il est possible de dire qu’on la fait varier, s’effectue en une répétition du tiret de base, atomique, dans des molécules de tirets dont la longueur est un multiple de l’unité — = 3 * -. Aussi, on entre dans un univers discrétionnaire et non plus continu du tiret ; la dimensiondu tiret n’y est plus analogique mais numérique ; et par conséquent les hésitations, les sursauts de la pensée qu’il traduit le deviennent elles aussi. La longueur du tiret, de l’hésitation n’a plus une valeur qualitative mais quantitative, mathématique. Elle se ramène nécessairement à l’atome du tirer.

On remarque que le point (.) était en France ce que le tiret était aux Anglais. Le point était déjà discret : là où pour les points de suspensions, l’Anglais écrivait un tiret plus ou moins long (que l’on ne peut pas reproduire ici) : —-, le Français faisait déjà …., et précédait déjà le fonctionnement de l’informatique. Il était déjà dans la machine. Peut-être une lointaine conséquence du cartésianisme, qui voyant dans l’espace de l’étendue divisible en unités (voir le repère cartésien), pensait que la pensée devait s’exprimer dans ce moule de l’espace divisible en atomes, c’est-à-dire en éléments disjoints de même taille ?

Si l’on suit l’hypothèse grosso modo dérridienne que l’écrit précède la parole, et non l’inverse, ce serait déterminant : d’abord la façon dont se formalise la pensée dans l’écrit, sur l’espace, puis ensuite la façon dont elle se déploie dans la parole, dans l’immatériel. Les catégories de la ponctuation conditionneraient alors la pensée encore plus que les kantiennes. Toute la pensée serait suspendue à un seul point de suspension : le point de suspension. Que la condition postmoderne en impose une d’une certaine forme avec l’informatique, une ponctuation appartenant à un univers fini de signes compris hier dans les 128 caractères du  jeu Ascii et aujourd’hui dans les 1 114 112 possibles de l’Unicode, restreint notre liberté, notre créativité. Nous ne sommes plus libres de créer de nouveaux signes ; notre seule autonomie repose dans la combinatoire. Nous voilà retournés dans un monde bien clos.

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