Le centrisme vertical
Bertrand Russell (1872 – 1970) avait coutume de rendre compte des atrocités du XXe siècle par le fait que l’humanité avait incomparablement progressé intellectuellement, mais que du point de vue moral, elle n’avait fait que du surplace, voire était retournée à l’âge de pierre. Si l’homme avait été capable d’entrer dans l’ère atomique, il fut incapable de se rendre compte que construire la bombe A pour l’envoyer sur une partie de l’humanité n’était pas acceptable. S’il avait été capable de développer techniques et technologies, il fut incapable de juger immoral de ne pas les utiliser dans des buts d’asservissement.
Karl Popper (1902 – 1994) inversait la proposition. L’homme était trop bon moralement mais pas assez intelligent. Ce qui explique que l’humanité a mordu à l’hameçon tendu par les ténébreuses idéologies du XXe siècle – pour faire vite, fascisme et marxisme -, c’est qu’il était recouvert de morale. Le marxisme prétendait faire la peau au paupérisme ; le fascisme régénérer la société. Comment ne pas y céder ? L’homme, par manque d’intelligence, fut incapable de s’apercevoir des conséquences, de démasquer ces idéologies.
Si l’on reprend la classification de Max Weber (1864 – 1920) et que l’on épure les positions pour obtenir des idéal-types, on pourrait rattacher Bertrand Russell à l’éthique de conviction et Karl Popper à l’éthique de responsabilité.
L’éthique de conviction, c’est s’attacher aux principes, être intransigeant, refuser la compromission. Pour Bertrand Russell, l’humanité, par manquement moral, s’était trop refusée à se remettre en question, à persister à poursuivre un but nihiliste érigé comme un dogme. Les progrès de son intelligence accélérèrent l’avènement eschatologique en disposant des moyens techniques accrus.
L’éthique de responsabilité en revanche, c’est s’attarder sur les conséquences des actes et faire fi des convictions si la situation l’exige. Pour Popper, le manque d’intelligence de l’homme lui rendit tout discernement et clairvoyance impossibles. Il fut incapable de comprendre les répercussions pratiques des doctrines auxquelles il adhérait.
Max Weber concluait que l’éthique du politique se situait entre ces deux. Il lui faut être convaincu et responsable. Il faut se méfier tant de l’idéaliste que du réaliste et préférer le pragmatique, le « machiavélien ». La politique est prudence, juste milieu, centrisme ; non pas un centrisme horizontal entre le défaut et l’excès comme chez Aristote (ou Bayrou), mais un centrisme vertical situé à bonne distance, et de la théorie, et de la pratique.
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4 novembre 2008 à 14:38 LOmiG[Citer] [Répondre]
C’est intéressant. J’avais interviewé pour mon blog Alain boyer (prof de philo politique à la sorbonne) et qui avait appelé à voter pour Sarkozy, en raison de l’éthique de responsabilité, justement (c’est un homme qui se dit de gauche).
Pour ma part, je découvre depuis quelques temps les penseurs libéraux, et je trouve que leur manière de vouloir extraire des principes fondateurs, jugés justes, et de s’y tenir ne manque pas de clarté et de force. Le pragmatisme mou qui sert de ligne idéologique à Sarkozy et Fillon en ce moment est tout de même lassant, et peu lisible…
à bientôt !
4 novembre 2008 à 20:04 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Et curieusement, Alain Boyer est l’un des plus grands spécialistes français de Karl Popper (qui lui aussi se disait de gauche). Qu’il se tienne à l’éthique de responsabilité est donc relativement cohérent (tout cela en grossissant et forçant le trait, bien sûr).
Je suis d’accord avec la critique à l’endroit du pouvoir actuellement. Ceux qui firent de Sarkozy un ultra-libéral ou même un libéral tout court sont bien risibles.
Je pense que si Sarkozy en fut un un jour, ce n’est pas en raison de l’une ou l’autre conviction, mais tout simplement, entre autres raisons, par pragmatisme : « le libéralisme, ça marche (dans les autres pays) ».
Aujourd’hui que le vent tourne – en apparence du moins – et que la solution semble être à nouveau dans le dirigisme, il se dit : « l’étatisme, ça marche (car le libéralisme ça ne marche pas, preuve en étant les subprimes) ».
C’est bel et bien du pragmatisme (mou comme tu dis) mais que je qualifierais d’horizontal. Ici la droite, là-bas la gauche ; le centrisme (ou pragmatisme, je prends ces deux termes comme étant ici équivalents) horizontal tente de composer entre ces deux pôles en prenant ici et là-bas : de l’économique par ici, du social par là-bas.
Il ne faudrait pas en revanche le confondre avec le centrisme vertical : celui-ci ne compose pas avec la droite et la gauche mais entre ses principes et le réel, ce qui pour moi est une nuance importante. Ici une théorie libérale, marxiste ou que sais-je encore ; là-bas le réel qui résiste au libre-échange ou à la collectivisation. Le centrisme vertical cherchera à composer entre ces deux pôles.
La question sera alors de déterminer si, horizontal ou vertical, le résultat est le même et, s’il se trouve qu’il l’est, s’il est pertinent d’établir une distinction sur l’intention ayant donné lieu à ce résultat.
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