Kant aussi est CharliePresque par hasard, je retombe sur ce texte de Kant dans La religion dans les limites de la simple raison. Si je n’avais pris garde au livre que je tenais entre les mains, j’eus presque cru que ce texte avait été, malheureusement, écrit hier. Même : presque aurais-je cru qu’il avait été écrit par Luccio. Mais le fait que je le compris presque du premier coup m’enleva mes doutes : il devait avoir été écrit par Kant lui-même. Cependant, afin de lever toute ambiguïté, je prends le parti de le commenter ci-dessous d’une façon qui déplaira sans doute aux puristes, en mettant mes ajouts entre des crochets bien gras.

« Prenons, par exemple, un inquisiteur [un des frères Kouachi, ou bien leur ami Coulibaly] tellement convaincu de la vérité de sa foi [Allah Akbar], seule croyance positive vraie [pas d’autre religion possible], qu’il se ferait martyriser pour elle [ou bien, plus prosaïquement, se faire fusiller lors d’un assaut du RAID ou du GIGN], et supposons qu’il ait à se prononcer sur un hérétique [ces chiens d’infidèles de Charlie Hebdo, ou bien ces juifs qui n’ont comme seul tort que de l’être] (d’ailleurs bon citoyen) [tous ces gens n’étaient-ils pas la bonté même ? ne payaient-ils par leurs impôts comme tout le monde ?] accusé d’incrédulité [on cultive effectivement la mécréance chez tous ces gens-là] ; eh bien, je vous le demande, s’il se décide pour une condamnation à mort [venir un mercredi matin, je cite, « venger le prophète Mahomet » à coup de Kalachnikov], peut-on dire qu’il a jugé selon sa conscience (erronée, c’est certain) [nos inquisiteurs agissaient-ils moralement ?] et ne peut-on pas, au contraire, lui reprocher d’avoir absolument agi sans conscience, soit qu’il se soit trompé [peut-être l’inquisiteur en question est-il mou du bulbe, bête], soit qu’il ait fait mal sciemment [pis : l’inquisiteur peut tout simplement être un méchant intentionnel], attendu que l’on peut lui jeter à la face qu’en pareil cas jamais il ne pouvait être entièrement sûr [car comment ne pas douter en pareil matière ?] de ne pas risquer peut-être quelque injustice [comme, je ne sais pas moi, donner la mort à quelqu’un qui ne la mérite pas en se faisant prétendument l’exécutant de Dieu] en prononçant la peine capitale [bim, bam, boum]. Il croyait fermement, sans doute, tout nous porte à le présumer, qu’une volonté divine connue de manière surnaturelle, grâce à une révélation [le Coran, les Hadiths, tout ce qu’on veut, mais surtout par la médiation de quelqu’un ayant interprété cette révélation d’une manière bien mauvaise] […], lui permettait ou même lui faisait un devoir d’extirper à la fois l’incrédulité prétendue et le mécréant [car il ne suffit pas pour ces gens-là de lutter contre l’incroyance : ils luttent aussi et surtout contre les incroyants – à la différence de Charlie Hebdo, qui lutte contre la croyance, mais non contre les croyants]. Mais avait-il donc effectivement de la doctrine révélée et du sens qu’il faut lui donner une certitude aussi absolue qu’il le faut pour immoler [lire : fusiller] d’après elle un homme [voire 12, voire même 17] ? Qu’il lui est interdit d’enlever la vie à un homme pour des raisons de croyance religieuse, voilà une chose certaine [car faut pas déconner : ni Dieu, ni la morale ne peuvent autoriser ce genre de comportement], à moins que toutefois (faisons les plus grandes concessions [imaginons toutefois, on ne sait jamais, que Dieu puisse ordonner de tuer en son nom]) une volonté divine, extraordinairement parvenue à sa connaissance, en ait ordonné autrement [expérience de pensée, hein, Dieu nous dit de tuer pour lui]. Mais cette volonté terrible, Dieu l’a-t-il jamais exprimée ? [et bien historiquement, il n’est pas sûr que Dieu ait un jour commandé un tel acte] c’est un fait qui repose sur des documents historiques [effectivement, dans la Bible et autres textes sacrés, on a des traces faisant état d’une pareille volonté divine meurtrière, pour ne pas dire assassine] et n’est jamais apodictiquement certain [mais comme tout texte légué par l’histoire, il n’est pas certain qu’il n’ait pas été trafiqué : il serait plus sage de douter du texte en lui-même, car Dieu ne peut pas ordonner ce genre de chose : c’est un être hautement moral, lui !]. Somme toute, c’est par les hommes que lui est venue la révélation [Mahomet ne dit-il pas lui-même qu’il transmet une « récitation » – ce que signifie le terme « Coran » ? aussi sain qu’il peut-être, homme il demeure ; n’est-il pas alors plus probable qu’il se soit trompé, qu’il ait mal entendu ce que l’Ange Gabriel lui disait, lorsqu’il est question d’exercer de la violence ?], et ce sont eux qui l’ont interprétée [tant de sourates ambigües ! pourquoi les interpréter de la plus folle des manières ?] ; et quand même il lui semblerait qu’elle lui arrive de Dieu lui-même [et même sans intermédiaire, si c’est Dieu qui est supposé parler lui-même et commander un acte insensé : il peut y avoir un souci ; l’hallucination n’est-elle pas une hypothèse plus probable dans de tels cas ?] (tel l’ordre qu’Abraham reçut d’immoler son fils comme une brebis [rappel de quelques faits bibliques pour ceux qui auraient oublié leur Missel ou bien séché leurs cours de catéchisme : alors qu’Abraham s’apprête à tuer son fils Isaac, Dieu le retient au dernier moment : il faut imaginer alors Kant à la place d’Abraham, se retourner face à Dieu, et lui dire : « – Non mais Dieu, tu déconnes ? Tuer mon fils innocent pour te prouver ma dévotion ? Je veux bien, mais il y a quand même des limites ! En fait, tu n’es sûrement qu’un ensemble de voix dans ma tête ; je devrais plutôt aller me coucher et prendre un Doliprane, et surtout arrêter la picole. »]), il serait tout au moins possible qu’il y eût erreur là-dessus [et oui]. Il s’exposerait, en ce cas, à accomplir un acte souverainement illicite, et par là-même il agirait sans conscience [entendons sans conscience morale, car tu agis sans te poser la question de la moralité de ton action, ducon.]. On doit conserver la même attitude vis-à-vis de toute croyance historique et phénoménale [Bible, Coran, ou même corpus raélien] ; il est toujours possible qu’une erreur s’y rencontre, et c’est, par conséquent, agir sans conscience, étant donné que ce qu’elle prescrit ou permet peut être coupable, que de donner suite à cette croyance au risque de violer un devoir humain certain par lui-même [ça paraît idiot de devoir le souligner, mais Dieu, en tant que garant de la moralité, ne peut enjoindre à faire des choses immorales : Dieu est comme soumis au devoir de la morale, de la même manière qu’il l’est au principe du tiers exclu chez Leibniz. Chers Kouachi-Coulibaly, et autres épigones, Dieu ne peut pas vous demander de faire des choses immorales. Car Dieu, s’il existe, est un type bien, et vous, qui avaient existé, de dangereux hallucinés.].  »

Kant, La religion dans les limites de la simple raison, 1794, p. 143.

Après mon passage, j’ai peur que l’on ne comprenne plus rien de la lettre kantienne : je suis un souillon. C’est pourquoi, à Charlie Hebdo, on se disait sûrement souvent, comme Napoléon, qu’« un bon croquis vaut mieux qu’un long discours ».