Comment peut-on être poppérien ?
Karl Popper. Pourquoi sa Logique est-elle écrite à la première personne – comme, semble-t-il, tous ses livres – et pourquoi parle-t-il toujours de sa théorie ? C’est, je pense, une conséquence épistémologique de sa philosophie. S’il parlait de la théorie en général, il serait dans une perspective conventionaliste, essentialiste, lamarckienne dans laquelle il tenterait de faire évoluer une théorie de l’intérieur ; au contraire, sa pensée est falsificationiste, nominaliste, darwinienne, où il y a des théories qui sont en concurrence les unes avec les autres, dont la sienne, et sont sélectionnées.
C’est pourquoi Popper ne pouvait pas fonder d’école. Se réclamer poppérien n’a, en toute rigueur, aucun sens. Ce serait dénaturer la philosophie de Popper que d’être poppérien, car ça ne pourrait signifier que deux choses : ou bien être poppérien pour défendre sa philosophie, mais dans ce cas là, celle-ci serait comme un dogme, ce que combat Popper ; ou bien l’être pour faire évoluer la philosophie de Popper, mais ici, ce serait la dénaturer car on tomberait dans les travers énoncés ci-dessus.
Un poppérien ne peut donc pas être poppérien. On trouvait le même problème jadis avec Pyrrhon : il y avait une contradiction à son enseignement, car comment pouvait-il enseigner quelque chose puisqu’il disait précisément qu’on ne pouvait rien savoir ? Cependant, il y a pourtant eu des pyrrhoniens, ceux qui imitaient Pyrrhon, dans une certaine mesure. Peur-être est-ce finalement cela, être popperien : suivre son modèle.
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28 octobre 2009 à 12:48 Frédéric Fabre[Citer] [Répondre]
Je suis d’accord vous lorsque vous dites qu’on ne peut pas être « poppérien », puisqu’il n’y a pas de système poppérien, mais une approche poppérienne. Popper s’oppose d’ailleurs à l’idée qu’un « système » au sens strict (comme par exemple le système hégelien) puisse être scientifique. Cette critique n’est évidemment pas juste polémique, mais solidement argumentée.
Je pense toutefois qu’on peut prolonger et perfectionner l’approche poppérienne. Tout d’abord cette approche est elle-même ouverte à la critique, par définition. D’autre part Popper a évidémment lui-même fait évoluer ses idées (qu’on songe par exemple à l’élaboration du concept de corroboration). On peut faire évoluer certaines thèses de Popper, par exemple la « théorie des trois mondes » qui n’est pas exempte de contradictions: v. mon article sur ce sujet:
http://www.dblogos.net/er/txt3.php
D’autre part l’approche poppérienne peut être utile dans l’analyse de problèmes épistémologiques et scientifiques que Popper n’a pas lui-même abordé, ce qui peut ensuite informer en retour cette approche.
Il y a encore un point avec lequel je ne suis pas tout à fait d’accord. L’approche poppérienne ne peut pas être mise en concurrence avec d’autres théories de la même façon que le sont les systèmes empiriques, et ce pour deux raisons: 1) non seulement l’approche poppérienne n’est pas un système, mais pas même une théorie au sens strict; 2) cette approche est formelle et non empirique, elle relève de la logique de l’empiricité, le critère de démarcation ne peut donc lui être appliqué. Ceci n’est pas contradictoire, au contraire. Si ce critère délimite la classe des énoncés empiriques, il ne peut pas lui-même être empirique, sinon on retomberait dans une antinomie logique (j’aborde cet aspect dans le document pdf téléchargeable sur mon site). L’approche poppérienne peut cependant être critiquée, et donc mise en concurrence avec d’autres approche, mais uniquement du point de vue de l’analyse formelle.
28 octobre 2009 à 15:25 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Je suis parfaitement d’accord avec tout ce que vous avez pu dire 🙂 En fait, à la relecture de ces quelques lignes, celles-ci m’apparaissent moins traiter d’un problème ayant une consistance bien réel, et elles me semblent embourbées dans une question simplement rhétorique.
Car effectivement, la méthodologie de Popper fut reprise, enrichie, améliorée, systématisée même : elle fonda le courant dit du « rationalisme critique« , et l’on doit à Hans Albert d’en avoir proposé une méthodologie rigoureuse dans le Traktat ûber die kritische Vernunft malheureusement encore non traduit en français à ce jour. Vos critiques concernant la théorie des trois mondes – dont je découvre la pertinence – va également évidemment dans ce sens.
Pareillement, Popper lui-même a dit, je crois, que sa théorie épistémologique n’avait rien à voir avec une théorie empirique, qu’elle n’était pas testable (cependant, au moins de par son évolutionnisme, elle prétend tout de même emprunter – ou bien peut-être même au contraire fournir – des éléments à cette théorie quasi-empirique – ou programme métaphysique d’investigation – qu’est le darwinisme). Il dit même au sujet du choix entre rationalisme et irrationalisme – sujet il est vrai un peu différent – qu’il réside non pas dans un choix raisonné mais bien dans un acte de foi irrationnel dans le rationalisme, acte bien étranger aux principes scientifiques qu’il défend : ce que vous dites très bien par rapport
Cependant, celle-ci est tout de même mise en concurrence avec d’autres théories rivales du même type, et ce y compris dans le cadre même défini par Popper dans la LSD (il s’agit des quatre points auxquels doit être soumises une théorie que j’ai repris récemment ici : http://www.morbleu.com/largument-dautorite/), du point de vue de l’analyse formelle, comme vous le rappelez judicieusement.
Être popperien, ce pourrait être une attitude critique, mais également poursuivre et réformer la voie et la voix du rationalisme critique.