Petit plagiat dans la Sociologie politique du sport de Jean-Marie Brohm
Depuis quelques temps, je suis devenu expert en détection de plagiat. Dans les copies des étudiants, celui-ci est relativement facile à détecter. De nombreux signes le font sentir, à commencer par l’orthographe : lorsque, sur plus d’une phrase, la syntaxe est valide, les participes passés correctement accordés, les conditionnels et les futurs distingués, cela est l’indice d’un potentiel recopiage, ou plus simplement d’un copié/collé d’une page trouvée sur Internet [1].
Mais il n’y a pas que les étudiants pour céder à cette tentation du patchwork. Récemment, de grands noms s’y sont essayés : Rama Yade, PPDA, Michel Houellebecq, Joseph Macé-Scaron − ne manque à cette liste que BHL, mais on ne peut pas non plus avoir tous les défauts.
La pratique est également très répandue dans le milieu universitaire, où, afin de remplir certains espaces, chercheurs et thésards oublient sans précaution de mettre les guillemets qui s’imposent, comme ce fut le cas dernièrement en sociologie − au point que certains étudient ce phénomène de plagiat avec attention, comme Jean-Noël Darde sur le blog « Archéologie du « copier-coller » ». Sans doute se dit-on qu’une thèse a très peu de chances d’être vraiment lue et l’imposture détectée ?
Mais certaines sont lues. Comme par exemple, la Sociologie politique du sport de Jean-Marie Brohm, qui fut la thèse d’état qu’il soutenu en 1977, et qu’il publia en 1976, soit un an plus tôt : Brohm se vante de cette curiosité dans son avant-propos, la dépeignant comme un affront réussi fait aux institutions − tout comme le fait de participer au jury de soutenance qui avalisa comme thèse de sociologie le texte produit par l’astrologue Élizabeth Teissier.
Or, quelques pages du chapitre « Sport et société capitaliste industrielle : l’avènement du sport de compétition moderne » éveillèrent ma curiosité. Je ne sais comment, mais j’eus l’idée d’aller googler certaines phrases, qui me renvoyèrent vers d’autres textes que celui-ci.
C’est en Angleterre qu’il faut chercher l’origine du sport moderne. Dès le milieu du XVIIIe siècle apparaît le « patronised sport ». L’aristocratie encourage les jeux populaires, elle les provoque par des récompenses. Elle les pratique même pour son compte. Éventuellement le noble ne dédaigne pas se mêler aux jeux du peuple.
Ces quatre phrases furent picorées et mises bout à bout depuis le texte de Jacques Ulmann, De la gymnastique aux sports modernes, publié en 1965, soit bien avant la thèse de Brohm. La première phrase provient de la page 323, et les autres de la page 325. Sans malheureusement rendre à César ce qui lui appartient.
Dans ce contexte général, les courses de chevaux deviennent un phénomène de plus en plus important et fréquent. Elle ne cessent de gagner en popularité au cours du XVIIIe siècle. Les courses de chevaux contribuèrent également à susciter une recherche systématique du perfectionnement de l’entraînement. Enfin, c’est en 1731, à l’occasion d’une course de chevaux, que le chronographe est utilisé pour la première fois. […] On note ainsi, en 1787, une performance sur la distance d’un mile ; en 1791, une autre sur un quart de mile. Ces coureurs à pied sont généralement des professionnels. […] Mais la pratique du pari sportif ne régna pas seulement dans le domaine des courses en lesquelles elle trouvait l’image la plus nette d’une société qui commençait à prendre son allure concurrentielle : les Anglais parièrent aussi sur l’issue des combats de lutte, d’escrime et surtout de boxe.
Tout ceci fut à nouveau butiné ailleurs, cette fois-ci dans le texte de Michel Bouet, Signification du sport, publié en 1968, entre les pages 317 et 319. Sans guillemets, sans presque changer un mot, mais en supprimant des phrases : il s’agit de ce que l’on pourrait assimiler à de la contraction de texte, exercice que l’on donne parfois à faire aux élèves et étudiants. Et juste avant ce texte, Brohm fait des citations depuis l’ouvrage de Umminger, qui sont exactement les mêmes que fait Bouet page 316. Soit au total près de trois pages dont l’origine ne fait nul doute.
Cela est cocasse, car Jean-Marie Brohm n’a jamais eu de mots assez durs pour fustiger le sport et ses héros dopés. La triche ? La résultante des contradictions de la machinerie sportive, du capitalisme. Or, pour le coup, ni le capitalisme, ni le sport n’ont à voir dans ce plagiat, qui est du seul fait de ce trotskiste militant. Mais l’on dira certainement qu’ici, la fin justifie les moyens…
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[1] Remarquez que lorsque le texte provient de Wikipédia, ces signes ne suffisent plus, le texte source de la fameuse encyclopédie pouvant lui aussi vaciller dans sa composition, du fait de sa rédaction intersubjective au coup par coup, à la façon d’un cadavre exquis.
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1 février 2012 à 13:29 Luccio[Citer] [Répondre]
C’est beau quand même.
Et tu lui as divisé sa note par deux ?
1 février 2012 à 21:00 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Un texte écrit il y a près de quarante ans… Il y a prescription.
2 février 2012 à 11:07 Luccio[Citer] [Répondre]
C’est ce que je me disais aussi…
Peut-être que le bonhomme a depuis découvert une autre forme de plagiat, et qu’on m’a dit être coutumière chez un célèbre éditeur contemporain de Kant (par oral je te dirai plus de détails pour ne pas mettre par écrit ce qui pourrait être jugé comme une rumeur… pour info c’est un Allemand basé en Allemagne, donc tout le monde s’en fout en plus) : plagier en amont. Le plagiat en amont est une pratique plus professorale, et plutôt reposante. Il suffit de piocher dans les conférences prononcées par ses étudiants, une ou deux idées, de quoi alimenter une ou deux pages.
Mais faisons attention, cette supposition hypothétique (redondance redondance !) n’est que rhétorique, elle n’est que l’occasion de rappeler l’existence d’une telle pratique.
2 février 2012 à 14:24 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
N’exagérons rien : les pages dont il est question proviennent d’une partie très descriptive de la thèse de Brohm, où il est question de l’histoire du sport. Brohm, trop occupé par l’ingestion du corpus freudo-marxiste (le monsieur cite souvent Mao sans rougir), n’a certainement pas eu le temps ou l’envie de se replonger dans les archives, et s’est contenté de la littérature secondaire de l’époque à ce sujet. Il cite ainsi beaucoup Bouet dans ces pages, qui sont d’inspiration directe, et même les analyses, au point de malheureusement oublier les guillemets par endroit…
Cependant, il ne faudrait pas nier l’originalité de Brohm : bien que des personnalités de gauche ait affirmé dès les années 20 et 30 l’identité du sport et du capitalisme, c’est à Brohm que l’on doit l’approfondissement le plus poussé de cette thèse.
2 février 2012 à 18:49 Luccio[Citer] [Répondre]
Ca en ferait l’auteur préféré de Popper !
2 avril 2012 à 9:21 Gnouros[Citer] [Répondre]
Et dire que dans d’autres pays, certains sont devenus président de la république avec de pareils procédés sur des mêmes thèmes !
16 mars 2015 à 17:09 FUMEX Gérard[Citer] [Répondre]
Je suis arrivé par hasard sur votre site en recherchant sur google des renseignements sur Jean-Marie Brohm.
Sur la page de google apparaît des photos de Jean-Marie Brohm. Une d’entre-elles a retenu mon attention puisque elle m’a rappelé une interview que j’avais réalisée à Cran-Gevrier (commune limitrophe à Annecy).
En cliquant sur l’image, je suis arrivé sur votre site : http://www.morbleu.com/petit-plagiat-dans-la-sociologie-politique-du-sport-de-jean-marie-brohm/ où effectivement cette photo illustre votre article.
Vous qui fustigez Jean-Marie Brohm de « plagiat », je ne comprends pas comment vous avez utilisé une photo issue de ma vidéo publiée sur notre média en ligne « librinfo74.fr » sans en citer la source ?
Pour confirmez mon propos, en cliquant sur la photo de Brohm sur votre site, on accède à mon article dont le lien est : http://www.librinfo74.fr/wp-admin/post.php?post=6689&action=edit, paru le 2 avril 2011.
Ce qui me gêne, c’est qu’en cliquant dans la page de google sur l’image de Jean-Marie Brohm qui m’appartient, on accède à votre blog et non à mon site.
Sans peut-être vous en rendre compte, vous vous êtes approprié ma vidéo.
Pourriez-vous me donner une explication
Avec mes remerciements
Gérard Fumex
Journaliste
18 mars 2015 à 17:23 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Effectivement, cette photo n’a pas été prise par nos soins, mais est issue de l’une de vos pages. Nous n’en avons pas cité la source, mais nous avons fait un lien qui conduit directement à vos pages à partir d’un simple clic sur celle-ci, comme vous pouvez très simplement vous en rendre compte, ainsi que l’ensemble des visiteurs de Morbleu !. Si j’en crois nos statistiques, ils furent plusieurs centaines à se rendre sur votre site à partir du nôtre depuis la publication de cet article. Toutes nos excuses si cette pratique vous a froissé. Si vous le souhaitez, nous pouvons très rapidement supprimer, et le lien, et la photo.
6 mars 2018 à 10:43 Pierre[Citer] [Répondre]
Bonjour,
ce n’est pas le sujet principal de l’article mais j’ai noté une erreur : Brohm n’a pas participé au jury de thèse d’Elizabeth Teissier. Ou alors je n’ai pas compris le sens de votre phrase ?
6 mars 2018 à 17:06 Gnouros[Citer] [Répondre]
Effectivement, c’est très troublant… J’étais persuadé, si ce n’est convaincu, d’avoir eu cette information quant à sa participation à ce jury de thèse. Mais je ne parviens pas à la retrouver. Au contraire, mais quelques recherches m’indiquent qu’il est innocent sur le sujet.