« On ne saurait trop encourager les jeunes filles à pratiquer l’art gracieux de la cuisine.

De l’estomac satisfait dépend le bonheur en ménage. Une mauvaise cuisine, des digestions pénibles, en voilà bien assez pour amener la brouille et le divorce. Pour être une maîtresse de maison accomplie, il n’est pas obligatoire de passer sa vie devant ses fourneaux, mais une cuisinière à gages mettra d’autant plus d’amour propre à bien faire, qu’elle saura sa patronne experte en cuisine et capable d’apprécier le travail bien fait.

Comment ordonner un menu si l’on ne connaît pas la préparation des aliments ?

A notre époque, où les exigences de la vie moderne poussent la femme à des professions qui l’éloignent de son foyer, il faut plus que jamais développer chez la jeune fille l’amour de son intérieur.

L’homme est trop occupé au dehors, sa tête est prise par des préoccupations multiples, c’est à lui qu’incombent les charges de famille. Il est donc tout naturel que sa jeune femme, sa compagne prenne sa part des efforts nécessaires à un jeune ménage pour réussir dans la vie.

Une femme intelligente, ambitieuse, doit soigner son mari absolument comme un manager soigne le champion qui lui rapportera plus tard la forte somme.

Quand l’homme a bien travaillé, il faut qu’en rentrant chez lui il trouve un visage souriant, que dès l’ouverture de la porte, la bonne odeur du logis propre et la chaleur du nid lui montent au visage avec le parfum d’un plat préparé avec amour dans la cuisine. Rien que cette bouffée réconforte déjà. Les baisers de sa femme et de ses enfants font disparaître le souvenir de la boue de la rue, de la fatigue du jour, des soucis des affaires.

Le voici dans son vêtement d’intérieur, à table. La nappe blanche fait étinceler l’eau et le vin des carafes. Autour de la soupière fumante, les enfants sont assis, ils attendent que le père remplisse les assiettes.

Une nourriture saine, sans excès, mais préparé comme il convient, et voilà le travailleur réconforté. Il aime son chez lui, le café ne le tente pas, il est bien disposé à satisfaire les menus caprices de Madame, parfois un peu coûteux pour le budget du ménage… mais peut-on résister à une femme aussi accomplie ? Un estomac satisfait prédispose à l’indulgence et à la générosité.

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A notre avis, ce qui différencie la cuisine française et constitue sa supériorité universelle, c’est qu’elle se contente de chercher à mettre en valeur la saveur propre de chaque aliment.

Certains pays font bouillir ou rôtir leurs viandes et les accompagnent de sauces toutes prêtes qui dénaturent le goût des mets. C’est agir en barbares.

La bonne cuisinière se contente de mettre juste ce qu’il faut d’assaisonnements, puis elle surveille amoureusement la cuisson.

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Il faut aussi savoir ordonnancer un menu.

Laissons aux sots et aux vaniteux ces dîners interminables où défilent des plats sans nombre pour la grande consternation de nos estomacs.

Pour qu’un repas soit bon, il faut qu’il y ait peu de convives. Le bon Dieu lui-même en a ordonné ainsi en ne donnant que quatre membres à un poulet.

Le meilleurs repas se font pour quatre personnes, six à la rigueur. Au delà, c’est déjà trop.

Les plaisirs de la table sont des plaisirs intimes. Ils n’aiment pas le tapage ni la foule. Quelle grossière erreur aujourd’hui ! Comment croire à l’intelligence humaine quand on voit ces restaurants où l’on danse entre deux plats et aux sons d’un orchestre nègre bon à nous donner la colique ?

C’est un scandale. On comprend que des nègres qui dévorent un couscous ou des fragments de chair rôtis saupoudrés de la poussière du sol se consolent de cette maigre chère en dansant ; mais des êtres civilisés ! C’est à peine croyable. Un bon repas demande du recueillement et un échange de paroles spirituelles et gaies. »

La Cuisine Moderne Illustrée, rédigée par une réunion de professionnels, Librairie Aristide Quillet, 1948

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