Marine Le Pen, présidente en 2012 : et alors quoi ?
Choses dites, choses vues, Politique 7 mars 2011, 10:55
On a appris ce week-end par un sondage que Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour des élections présidentielles de 2012 avec 23% des suffrages, devant Nicolas Sarkozy et Martine Aubry, qui resteraient tous deux derrière à égalité de voix à 21%.
Les réactions face à ce sondage divergent :
- Certains jouent la carte de l’étonnement, et accusent la politique de l’actuel gouvernement d’être responsable de cette montée :
- Soit que cette politique « chasse sur les terres du FN » à coup de débats sur l’islam, sur l’identité nationale, sur la laïcité, à coup de réactions sécuritaires face aux faits divers et de nomination de ministres décomplexés quant à la question de l’immigration.
- Soit qu’au contraire cette politique ne tient pas ses promesses en tous ces points, et qu’en lieu et place du Le Pen soft qu’est Sarkozy, on préférera désormais l’original à la copie.
- D’autres ne voient en revanche là-dedans qu’une simple confirmation du mécontentement que l’on entend gronder dans la société, et qui ne fait que monter depuis des années.
- D’autres, enfin, nient la crédibilité du sondage, en disant qu’il a été fait de telle sorte que le journal commanditaire puisse faire sa « une » sur cette nouvelle, et vendre ainsi plus de papier.
En dehors de ces interprétations, faisons un petit essai de « catastrophisme éclairé », et prenons l’hypothèse au sérieux d’une Marine Le Pen présente au deuxième tour :
- Il est déjà hautement improbable que celle-ci puisse succéder au deuxième tour, que cela soit face à Nicolas Sarkozy ou Martine Aubry. Sans doute les reports de voix ne seraient pas les mêmes : dans une telle configuration, je soupçonne qu’il y aura plus de voix de gauche à se reporter sur Nicolas Sarkozy, que de droite sur Martine Aubry. Mais l’un ou l’autre de ces candidats sera certainement élu. Mais admettons que non, et que Marine Le Pen soit élue.
- Une fois au pouvoir, Marine Le Pen doit affronter une deuxième épreuve, qui est celle des élections législatives. Il sera alors encore plus hautement improbable que celle-ci trouve une assemblée nationale à sa main. Impossible même : sans aucun doute une poignée de députés parviendront à se faire élire, mais jamais il n’y aura une majorité de députés frontistes à l’Assemblée Nationale.
- Se formera alors très probablement un gouvernement de cohabitation, soit de gauche, soit de droite. Mon intuition est qu’il sera de gauche, car il y aura une contre-réaction lors de cette élection de tous les gens outrés par l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir. Il va d’ailleurs sans dire que la rue aura été très agitée dans l’intervalle des quelques semaines séparant les élections.
- Marine Le Pen devra alors gouverner tant bien que mal avec ce dispositif. Ses pouvoirs seront on ne peut plus limités par cette cohabitation : on a vu ce qu’il en était par le passé. On a souvent reproché au système de la cohabitation d’être une monstruosité institutionnelle ; en l’occurrence, dans le cas présent, elle pourrait bien être ce qui rendra l’élection de Marine Le Pen totalement inefficace − mais pas anodine, car, comme on va le voir, on va patiner.
- Marine Le Pen n’aura dès lors qu’une petite marge de manœuvre. En premier lieu, elle pourra choisir de dissoudre l’Assemblée Nationale. Il lui faudra alors attendre le bon moment. Dans ce cas, tout dépendra du contexte. Soit les choses s’améliorent (que le gouvernement en soit responsable ou pas) et dans ce cas il est fort possible que la fièvre frontiste baisse, et que donc les choses tournent encore moins à son avantage à l’Assemblée ; soit elles se détériorent encore plus, et dans ce cas, les proportions de députés frontistes augmenteront sans doute. Mais là encore, il n’y en aura encore jamais assez pour qu’ils puissent être majoritaires. Aussi bien, on pourrait passer d’un gouvernement de gauche à un de droite, ou inversement.
- Mais elle pourrait aussi décider de nommer un premier Ministre frontiste, quand bien même l’Assemblée ne serait pas à sa main − et ce, dès même son élection. Mais alors comment un tel gouvernement pourrait-il gouverner sans l’aval de l’Assemblée ? Il y aura très probablement une sur-utilisation des dispositifs un peu autoritaires, tels que le fameux 49.3, dont on connait les limites. On aura manifestation sur manifestation, affrontements policiers, et etc. J’ignore quelle peut-être l’issue d’un tel scénario : à voir comment cela se passe dans les « pays nord-méditerranéens » (comme les désigne Claude Guéant, histoire de ne pas prononcer certains mots), on peut imaginer une situation sociale pas mal secouée − il n’y a qu’à voir cette année pour une simple histoire de retraites.
- Reste que, la constitution semblant rendre inefficace le pouvoir de Marine Le Pen, celle-ci cherchera sans aucun doute à la modifier. Cela se ferra très certainement à coup de referendum, car la modifier par le Congrès du Parlement n’offre une solution que très friable pour elle. Sans aucun doute seront nous alors submergés de referendum sur de nombreuses questions, jusqu’à ce que l’issue de l’un d’eux s’avère positive − car les gens résisteront aux différents referendum, simplement parce que son initiative vient de Marine Le Pen. Cependant, je pense qu’il y aura moins d’obstacles à ce que des gens même anti-frontistes puissent voter « oui » à l’un de ces referendum. En effet, il est des questions constitutionnelles qui transcendent les intérêts frontistes, comme par exemple celle portant sur le changement du mode de scrutin des législatives (et d’autres élections) pour la proportionnelle : voici qui intéresse tous les petits partis et qui effraye les gros. Une telle proposition, selon le contexte, pourrait sans doute être très facilement adoptée, car les intérêts des adversaires les plus féroces au Front convergent paradoxalement avec lui.
- On procéderait alors à de nouvelles élections législatives, qui déboucheraient sur une Assemblée beaucoup plus métissée, où il y aura beaucoup plus de frontistes, moins de socialistes et d’UMP, mais aussi beaucoup plus de députés de l’extrême gauche. Qui sait si Jean-Luc Mélanchon ne pourrait pas profiter de ce contexte politique pour encore monter ?
- Quel gouvernement pourrait alors se former ? Sans aucun doute un gouvernement frontiste aura plus de chances de faire voter ses lois. Un gouvernement de coalition un peu bariolé pourrait aussi se former, un peu à l’israélienne, mais je n’y crois pas du tout : au Front, on reste tout de même plus attaché à la « pureté » qu’au pragmatisme, et on ne cherchera pas à rassembler à l’État hébreux.
- Le temps que tout cela se passe, et les élections de 2017 seront déjà arrivées. Quelle en sera l’issue pour les frontistes ? De part l’instabilité politique qu’il y aura eu pendant un quinquennat, la politique exercée aura été inefficace : on aura perdu (encore) 5 ans. La situation pourrait alors bien être explosive. Soit les électeurs imputeront la responsabilité de cet échec aux forces d’oppositions au Front et pourraient bien persévérer ou même se renforcer dans leurs choix. Soit, au contraire, on jugera de l’inefficacité de porter des dirigeants frontistes au pouvoir, et on ne recommencera pas − j’imagine que c’est là l’issue la plus crédible. En fonction du contexte, on se portera alors soit à nouveau sur des partis classiques, soit au contraire vers d’autres populismes.
- On conservera cependant les réformes constitutionnelles que le Front aura fait passer − si toutefois il parvient à réussir cette entreprise. Comme dans L’Aventure c’est l’aventure, on s’écriera que « la Ve, c’est foutu ».
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10 mars 2011 à 11:43 Ovide[Citer] [Répondre]
Je profite de cet article (rassurant) pour être alarmiste. Si un groupe extrémiste (de droite ou de gauche) prenait le pouvoir en France, qu’adviendrait-il des philosophes? En général, les régimes autoritaires aiment à exterminer les intellectuels. Alors que risquons-nous vraiment?
Le nombre de places au capes est-il le pire drame de ces 50 dernières années ?
Après je rejoins le commentaire d’Oscar. On s’affole mais le système est conçu pour éviter ce genre de chose.
10 mars 2011 à 15:13 Gnouros[Citer] [Répondre]
Goebbels était docteur en philosophie : il n’y a donc rien à craindre de ce côté. Il y aura toujours besoin de propagandistes assez sophistiqués pour transformer en raisonnements des opinions, à camoufler la doxa en épistémé.
12 mars 2011 à 10:17 Lasardine.[Citer] [Répondre]
cet article ressemble parfois au sketch de Bigard « la chauve souris. »
Plus sérieusement je crois qu en fait le paysage politique se recompose, en France mais aussi dans de nombreux pays européens. Les tensions idéologiques qui traversent les partis conservateurs- mondialistes deviennent trop fortes. La droite de l échiquier politique est alors dominée par des partis populistes.
En fait l evenement politique le plus extravagant de ces dernières années est l élection de Sarkozy, qui avait réussi a réunir sous son nom des bourgeois libéraux mondialistes et des prolos apeurés par la mondialisation ( =immigration + économie ouverte). Quoiqu il fasse, Sarkozy décevra une partie de son électorat beaucoup trop hétérogène sociologiquement donc idéologiquement.
14 mars 2011 à 21:42 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Le sketch de Bigard est un exemple parfait de catastrophisme éclairé.
Quant au raisonnement expliquant la montée de Marine Le Pen, elle me rappelle les plus belles explications d’Eric Zemmour.
19 avril 2011 à 16:46 Laure D.[Citer] [Répondre]
Je sais que ce sketch de catastrophisme éclairé tend à vouloir rester dans ce que l’on considère une politique relativement normale. Dans ce genre de circonstances, je suis d’accord, Le Pen ne pourra pas s’amuser à ramener la francisque.
Par contre, je note quelques points historiques
– Engelbert Dolfuss, président d’Autriche en 1932 (conservateur, non fasciste même s’il a donné les clés de la ville aux nazis en fin de compte) a utilisé l’excuse de la sécurité nationale dans des grèves générales à Vienne, et d’un moment d’instabilité dans la coalition de gauche au parlement pour suspendre le parlement et les droits civiques.
– Si l’économie se plante (et si les républicains aux USA continuent dans leur voix ridicule de tout bloquer, couper les recettes sans couper le budget militaire et bloquer les demandes d’emprunt de la présidence pour payer ce budget à la con, elle va se planter cet été, dans un remake de la crise de 29), la politique devient franchement imprévisible.
J’espère qu’on n’en arrive pas là, mais disons que je commence à craindre.
21 avril 2011 à 9:45 Craftyfox[Citer] [Répondre]
C’est drôle, jamais je n’ai lu que, dans une hypothèse, certes improbable et surtout pas espérée, ce qui se passerait le soir même de l’élection de Marine Le Pen.
Juste un rappel, lorsque les résultats du premier tour ont été connus en 2007, il y a eu de grandes manifestations anti-Le Pen.
Imaginons maintenant une élection, la vraie, au deuxième tour.
Croyez-vous que ce sera la liesse et le calme ? Je ne donne pas deux heures pour voir des voitures brûlées, des saccages, de graves manifestations beaucoup plus sévères qu’en 2007. Tout ça me fait penser aux émeutes de 2005. Les pays étrangers croyaient même que la France était en guerre civile.
Donc au lieu d’évoquer des hypothèses politiques, pensez aux hypothèses de la rue… Une présidente Marine Le Pen tiendrait-elle longtemps ?
Et cela, même si nous sommes dans un pays démocratique.
21 avril 2011 à 10:38 Gnouros[Citer] [Répondre]
Dans un pays démocratique où les scrutins restent tout de même assez fiables, il n’y a aucune raison du point de vue du droit de contester la victoire d’un candidat, et ce, quel qu’il soit. Il n’y a même aucune raison légitime pour lui de quitter le pouvoir, en dehors de l’issue d’un scrutin négatif. Je pense même que ce serait une erreur, puisque une telle démission saperait les règles de l’État de droit. Car c’est ce qui fait justement la différence entre un État de droit et celui qui ne l’est pas : pour Karl Popper, est démocratique le régime où l’on peut destituer les dirigeants sans effusions de sang ; en France, il est encore possible de le faire périodiquement.
Nous ne sommes pas en effet en Tunisie ou en Égypte. La rue aura beau faire (et elle le fera : cf. point 6 du texte ci-dessus), je doute qu’elle ait une force suffisante pour qu’un dirigeant (Marine Le Pen ou pas) quitte le pouvoir. Et encore heureux oserais-je presque dire : je pense qu’il est bon que le droit ne cède pas et ne souffre pas d’exception − dans les limites où la politique poursuivie, aussi abjecte soit-elle, reste contenue dans certaines limites encore autorisées, tant constitutionnellement que moralement : si Madame se met à tirer à balles réelles − ce qui n’arrivera jamais car ce n’est pas elle qui décide (il y a tout un tas de corps intermédiaires qui rendront un grand nombre de décisions sans suite, comme par exemple un préfet, un maire ou un commissaire de police) − sur la foule manifestante, il y aura par exemple un problème.
Ce n’est pas à la suite de Mai 68 que de Gaulle rend son tablier, mais suite au referendum de 1969. Et n’oublions pas que nombre de pays nous entourant (Autriche, etc.) ont porté à leur tête des populismes, mais que jamais ils ne quittèrent le pouvoir avant le terme de leur mandat ; et bonne nouvelle : ils le quittèrent lorsque l’issue des scrutins leur était défavorable. Mais dans le cas effectivement où ils le refuseraient, la question se poserait.
La seule crainte réelle que j’ai si Marine était présidente est en fait d’un tout autre ordre. Non pas qu’elle puisse vraiment mettre en application ce qu’elle dit vouloir faire (je pense vraiment cela difficile étant donné la force des corps intermédiaires), mais que toute la masse de micro-fascistes qui l’aura portée au pouvoir (inférieure au nombre de ses électeurs, même s’il en sommeille un en chacun de nous, même chez ceux se disant les plus à gauche) se sente subitement décomplexée et puisse agir à l’égard des ennemis désignés avec une relative forme d’indulgence : les injures et agressions racistes se banaliseront et certaines bavures aussi, rendant difficile et dangereuse la vie pour un grand nombre de ces Français dont on nie injustement qu’ils le soient. Sans doute y aura-t-il une fuite de ceux capables de fuir (c’est-à-dire les populations des CSP+, poumon économique, conduisant à une relative fuite des cerveaux ; les autres seront condamnés à souffrir pendant au moins un quinquennat), soit dans d’autres régions de la France plus paisibles et éloignées des remous nauséabonds (faisant de la fameuse mixité sociale une chimère encore plus inatteignable), soit même dans d’autres pays, ceux de l’espace Schengen en tête, notamment francophones et anglophones, soit encore dans des contrées bien plus lointaines du type Québec.
Mais je peux me tromper, et je me trompe assurément : je ne suis ni Jacques Attali, ni Alain Minc. Le plus simple reste encore de ne pas jouer avec le feu.
21 avril 2011 à 10:47 Craftyfox[Citer] [Répondre]
Eh ben voilà, vous avez développé en plus « soft » et en plus politisé ce que je disais dans mon premier message.
Cependant, je ne suis pas si optimiste que vous. Pardonnez ma brièveté, mais je ne suis pas devin. Je suppose seulement (avec un modèle post premier tour 2007) que tout se passerait avec pertes et fracas. Même en démocratie. Derechef, voir 2005…
6 mai 2011 à 19:08 valentin[Citer] [Répondre]
Peut-être que ce sera comme ça ou peut-être que ça sera le contraire. Voilà en résumé la quintessence de cet article de politique fiction aussi inutile que les sondages quotidiens. Et les commentaires sont aussi sinistres et écoeurants de banalités.
7 mai 2011 à 11:36 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Les sondages se posent la question de savoir si Marine Le Pen sera présidente ou pas (ou au moins présente au deuxième tour) ; cet article se posait quant à lui la question de savoir ce qu’il se passerait si elle était présente au deuxième tour, voire présidente, indépendamment de la question de savoir si elle le sera vraiment ou pas. Cela est bien différent.
7 mai 2011 à 16:23 Luccio[Citer] [Répondre]
Oscar, tu exagères. Ce bon valentin n’identifie pas ce que proposent les sondages et ce que propose ton billet. Il note seulement leur inutilité commune, soulignant au passage, et pertinemment, la banalité bête de tes histoires foucaldiennes sur le micro-fascisme que tu nous présentes en commentaire. Cette saillie toute en finesse n’est pas sans me rappeler le billet récent d’un rédacteur brillant.
19 octobre 2011 à 11:01 tite louloute[Citer] [Répondre]
Marine aime son pays ce n est pas une tare!!!cette femme est d une grande honneteté cela derange…beaucoup de francais realisent qu elle a raison moi je vais voter pour elle cela est ferme est definitif !!!!!denigrez ce que vous voulez je ne preterai meme pas une oreille car je sais que aujourd hui je fais le bon choix vive Marine vive la France
19 octobre 2011 à 20:48 Luccio[Citer] [Répondre]
Madame, moi aussi j’aime mon pays (oui, c’est un aveu), mais j’apprécie un peu moins les paresses ponctuatoires.
Quant aux gens qui vont dire parler aux autres pour leur déclarer qu’ils ne vont pas les écouter, je me demande pourquoi ils prennent tant de peine.
24 janvier 2012 à 7:23 Eric Jean[Citer] [Répondre]
Moi et mes proches ont va voter Marine 2012. Simplement pour mes enfants.
http://www.youtube.com/watch?v=z8ZWuArp2W0
24 janvier 2012 à 14:36 Gnouros[Citer] [Répondre]
J’espère pour vous que vos enfants sont blancs, de sang bien français, hétérosexuels, et catholiques si possible.
29 février 2012 à 16:20 Mariona[Citer] [Répondre]
tite louloute,
complètement d’accord !