Michel OnfraySur son site officiel, Michel Onfray fait paraître chaque mois une chronique. Celle de ce mois de mars 2014 s’intitule « Mauvais genre ». Michel y « découvre avec stupéfaction les racines très concrètes de la fumeuse théorie du genre popularisée dans les années 90 aux Etats-Unis par la philosophe Judith Butler qui ne cache pas l’inscription de sa pensée dans la lignée déconstructiviste de Foucault, Deleuze-Guattari et Derrida ».

Merveilleux raccourci :

Théorie du genre → Judith Butler → French Theory (Foucault/Deleuze/Guattari/Derrida) → À proscrire.

Philosophiquement parlant, Michel Onfray est ici un grand innovateur. Plutôt que de se contenter de réactualiser la fameuse reductio ad hitlerum, et d’empocher au passage quelques points Godwin, Michel en propose des variations :

  • reductio ad foucaldum : la théorie du genre vient de Foucault, qui a applaudi à la Révolution iranienne.
  • reductio ad deleuzum : elle provient même de Deleuze, qui était complaisant avec le terrorisme d’extrême gauche.
  • reductio ad derridum : pis, elle provient de Derrida, apologue de l’hitlérien Heidegger.

À l’évidence, il y a donc dans la théorie du genre une convergence des trois totalitarismes. Les couleurs du drapeau arc-en-ciel LGBT ne dérivent en fait que du vert de l’islamisme, du rouge du communisme, du brun du fascisme.

On me reprochera de surinterpréter cette petite phrase d’accroche de Michel Onfray, tout comme on pourrait m’accuser de faire une fixation sur sa personne ces derniers temps. Mais en fait, le meilleur de son texte est à venir.

david-breimerSuivent en effet cinq paragraphes (sur les sept que compte l’article) sur le fameux cas de John Money, médecin et sexologue ayant introduit et popularisé le concept de genre, et qui décida d’expérimenter ses théories sur un de ses jeunes patients, Bruce Reimer. Suite à une opération de circoncision ratée à la naissance, il fut décidé pour ce garçon une ablation totale du pénis. Afin d’éviter que Bruce se sente diminué dans sa condition d’homme, John Money suggère alors à ses parents de l’élever comme une fille, en ajoutant à cela un traitement aux hormones, afin de le faire devenir femme. Bruce devient alors Brenda. Mais les choses ne fonctionnent pas comme prévu. Brenda refuse une vaginoplastie, et décide de redevenir homme, prenant à cette fin des hormones masculines. Bruce, qui était alors Brenda, devient désormais David. Malheureusement, David éprouvait encore un grand mal de vivre, et il mit fin à ces jours. Preuve empirique et décisive, par l’absurde, que toucher aux représentations de genre peut s’avérer dangereux. CQFD.

« De la même façon que le réel a montré les erreurs de Marx & de Lénine, de Freud & de Lacan, mais qu’il y a toujours des marxistes & des freudiens, le réel a montré en 2002 que la théorie du genre était une fiction dangereuse, mais quantité de gens souscrivent à cette nouvelle déraison – dont Najat Valaud-Belkacem. Un jour viendra où l’on fera le compte des ravages effectués par cette sidérante idéologie post-moderne. Quand ? Et après quels considérables dommages ? »

Nouvelle variation, donc, sur la reductio ad hitlerum, la reductio ad moneyum :

  • Najat Valaud-Belkacem → Théorie du genre → John Money → Suicide de Bruce/Brenda/David Reimer.

De la politique égalitariste en matière de genre prônée par la Ministre, au suicide en masse de malheureux enfants que l’on aura forcé à ne pas être ce que la nature avait décidé qu’ils soient, il n’y a qu’un pas − qui est fait, la rhétorique ne doit pas nous abuser, non pas par Najat Valaud-Belkacem, mais par Michel Onfray.

La rhétorique et l’argumentation de Michel Onfray est en tout point semblable à celle qui est déployée par la droite conservatrice actuellement. Que l’on en juge, par exemple, par cet article du 6 février 2014 de l’admirable magazine Valeurs Actuelles, « John Money, l’apprenti sorcier du « gender » » − la journaliste auteure de cet article pourrait à bon droit accuser Michel Onfray de plagiat.

Est-il encore besoin de démonter ces sophismes ? On se reportera avec utilité à cet article de Rue69, « Le « savant fou » John Money, monstre utile des opposants au genre », ou bien encore au lumineux blog Chronik d’un nègre inverti et à son article « Réponse au Figaro et au Point sur la supposée « expérimentation » de la « théorie du genre » ».

Jean-Paul Sartre et Simone de BeauvoirCe que montre, ou démontre le cas John Money, n’est pas que la destinée des individus est déterminée par la nature et leur être biologique : parce que Bruce était né homme, il aurait dû le rester, avec ou sans zizi. Ce qu’il montre, c’est bien au contraire en quoi cette destinée est déterminée par le social : une troupe composée de médecins et de parents s’arrogeant le droit de spécifier l’identité sexuelle et de genre d’un individu, au point de le tourmenter jusqu’au suicide. Le « bon sens » − puisque c’est à lui que l’on nous somme sans cesse de revenir − aurait davantage été de laisser le petit Bruce se construire lui-même en toute autonomie, sans lui imposer une quelconque identité que ce soit, de la même façon qu’il ne faudrait en imposer à personne, même pas à ceux ayant la chance de naître avec des organes reproducteurs jugés normaux par l’armada médicale.

Bon sens qui ne semble pas être la chose le mieux partagée du monde, en tout cas pas par Michel Onfray sur ce coup, qui souscrirait, c’est certain, en tout point à cette superbe intervention de l’inimitable Nadine Morano :


Michel Onfray ? Nadine Morano, en plus précis. Et que l’on ne m’accuse pas de faire dans la reductio ad moranum.