Réflexions sur l’antisémitisme qui (re)vien(drai)t
La thèse défendue par Alain Finkielkraut dans son ouvrage Au nom de l’autre. Réflexions sur l’antisémitisme qui vient (2003) est que l’antisémitisme d’aujourd’hui serait, dans son essence, fondamentalement différent d’hier.
Hier, on haïssait le Juif parce qu’il n’était pas assez pur. Il était ce corps étranger dans la Nation qu’il fallait expulser tel un microbe. Il n’était pas assez français, pas assez germanique, pas assez européen, trop cosmopolite, trop mélangé. Son sang était trop impur pour qu’on l’amalgame à la glorieuse souche indo-européenne – indo-germanique pour certains.
Aujourd’hui, en revanche, on haïrait le Juif au contraire parce qu’il est trop pur. Avec le sionisme et la création de l’État d’Israël, le Juif se revendique comme Juif et pas autre chose. Être Juif, et a fortiori Israélien, serait revendiquer une identité au détriment d’une autre, de toutes les autres. Ce serait refuser l’idéologie du métissage propre à l’antiracisme post-Seconde Guerre Mondiale devenu dogme qui sacralise l’Autre en tant qu’Autre et abomine le Même. Le Juif d’aujourd’hui, parce qu’il veut rester Juif, rester Même, refuserait l’Autre ; parce qu’il refuse l’Autre, il est raciste ; parce qu’il est raciste, l’antiracisme le hait. Il est haï « au nom de l’Autre », au nom d’un principe prétendument humaniste et en apparence louable : l’antiracisme.
Analyse qui éclaire les fondements de l’antisémitisme progressiste qui sévit aussi hélas ! chez une certaine gauche. Si l’antisémitisme du manque de pureté raciale du Juif est propre à la droite, l’antisémitisme par défaut de métissage paraît être un péché de gauche. L’antisémitisme apparaît comme un déplorable universel qui transcende toutes les idéologies. Sans doute le Juif est-il le matériau d’une Mythologie de la haine, au sens que lui donnait Roland Barthes : on projette sur le signifiant qu’il est le signe de la haine, et il en résulte la signification de l’antisémitisme.
Cette analyse de l’antisémitisme avec les matrices barthésiennes mériterait d’être approfondie, car celle que nous donnons ici est encore trop incomplète et sommaire, et n’apprend rien de plus.
Remarquons cependant que Barthes, dans sa mythologie intitulée « Poujade et les intellectuels », avait déjà décelé dans le discours de Poujade les fondements de l’antisémitisme que Finkielkraut croit nouveau et propre à l’antiracisme :
Pourtant Poujade a une conception de la race, à première vue, paradoxale. Constatant que le Français moyen est le produit de mélanges multiples (air connu : la France, creuset des races), c’est cette variété d’origines que Poujade oppose superbement à la secte étroite de ceux qui ne se sont jamais croisés qu’entre eux (entendez, bien sûr, les Juifs). Il s’écrie en désignant Mendès-France : « C’est toi le raciste ! » ; puis il commente : « De nous deux, c’est lui qui peut être raciste, car il a, lui, une race. » Poujade pratique à fond ce que l’on pourrait appeler le racisme du mélange, sans risque d’ailleurs, puisque le « mélange » tant vanté n’a jamais brassé, selon Poujade lui-même, que des Dupont, des Durand et des Poujade, c’est-à-dire le même et le même. [C’est nous qui soulignons]
Peut-être ce texte écrit aux alentours de 1956 a-t-il nourri la réflexion de Finkielkraut ? Toujours est-il que Poujade semble bien être antisémite au sens contemporain, décrit par le philosophe. Cet antisémitisme n’est donc pas nouveau ; il a toujours été là, au moins chez Poujade, qui pratiquait un racisme polymorphe.
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22 janvier 2009 à 17:55 A ton avis?[Citer] [Répondre]
Article clair et synthétique.
Néanmoins, je ne comprends pas bien le jeu avec les parenthèses et le conditionnel dans le titre: un moyen de dénoncer ceux pour qui l’antisémitisme n’existe plus aujourd’hui?
22 janvier 2009 à 20:39 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Merci pour votre compliment sur la forme de l’article. La clarté et la synthèse est un objectif que j’ai en vue pour chacun des textes mais que je n’arrive à atteindre hélas ! que trop rarement.
Concernant le titre, c’est un jeu sur le sous-titre de l’ouvrage de Finkielkraut, Réflexions sur l’antisémitisme qui vient. Avec la combinatoire, on peut en déduire 2² = 4 sens – 1 sens qui est déjà celui de Finkielkraut = 3 sens possibles :
– « réflexions sur l’antisémitisme qui revient » : il revient et ne fait pas que venir, car, en effet, il était déjà présent chez Poujade d’après Barthes ;
– « réflexions sur l’antisémitisme qui reviendrait » : cela émet un doute hypothétique sur la justesse de mon analyse qui rapproche le Poujade de Barthes des antisémites de Finkielkraut : serait-ce vraiment la même chose ?
– « réflexions sur l’antisémitisme qui revient » : cette fois-ci, étant acquis l’identité des deux antisémitismes, on interroge l’analyse de Finkielkraut elle-même, à savoir, s’il est juste de l’analyser en ces termes.
Ce sont là des interprétations possibles de ce titre qui, je dois l’avouer, n’avait avant tout pour moi que des prétentions superficielles de jeu de mot. Reste qu’il serait pertinent d’explorer ces directions.
24 juin 2010 à
[…] même, Au nom de l’autre de Finkielkraut fournit une réflexion très pertinente sur l’antisémitisme, et son Nous autres, modernes […]