Pourquoi des artistes ?
À première vue, l’artiste semble être un être à part. Il n’est pas comme nous, il fascine, il intrigue, mais parfois même inquiète, comme ce fut par exemple le cas chez les iconoclastes ou plus proche de nous dans l’histoire, dans les régimes totalitaires du XXème siècle récemment achevé. Mais il n’en reste pas moins que beaucoup ne désirent que rejoindre ceux que l’on nomme « les artistes ». Beaucoup aspirent à le devenir, et peut-être y en a-t-il encore plus qui semblent avoir besoin d’eux, besoin de ces artistes. De telle sorte que l’on a peine à discerner qui de l’offre ou de la demande mène le bal : l’artiste ou son public?
À l’évidence, le propre de l’artiste est de faire de l’art. Mais réciproquement, le propre de l’art est-il nécessairement d’être fait par un artiste? Comprenons : l’art est évidemment une activité proprement humaine. Art et artificiel partagent la même racine étymologique : ars. L’art est une construction humaine. De ce fait, moi humain, je peux tout à fait décider demain de faire de l’art. La question « pourquoi des artistes? » trouve donc toute sa légitimité : car pourquoi des artistes, si je peux faire de l’art moi-même? En effet, il semble, a priori, que je puisse me passer d’eux, alors pourquoi des artistes? N’y a-t-il que eux pour produire de l’art? Mais le fait est que les artistes sont là, et que l’on ne peut visiblement pas attribuer leur existence à l’accidentel ou à la contingence, si l’on en juge par l’histoire où on tenta souvent de les éradiquer sans jamais y parvenir : l’art et les artistes réapparaissaient d’eux-même, comme muent par la nécessité. Ils sont donc là, et s’ils sont là, il y a nécessairement une raison.
On le voit, la question de l’art et de l’artiste sont liées. Ainsi, si à première vue, la société, et donc l’homme, semblent avoir besoin d’art, a-t-on nécessairement besoin d’artistes pour cela, et ne peut-on pas s’en passer? L’homme ne peut-il pas être autarcique sur le plan artistique? Car, qu’apporte de plus l’artiste à l’art que je ne pourrai pas lui apporter? Est-ce tout simplement un nom, de telle sorte qu’une oeuvre d’art n’en serait pas une si elle était anonyme, et qu’il nous faille nécessairement starifier l’auteur d’une oeuvre? Ou est-ce autre chose, quelque chose de plus profond, qui ferait que l’essence même de l’artiste serait différente de celle du commun, et qui classerait alors l’artiste dans une sorte de « catégorie socioprofessionnelle » totalement disjointe des autres? Mais dans tous les cas, indépendamment du rapport de l’artiste avec autre chose que lui même, quelque chose fait qu’il y a des artistes. Or quel est ce quelque chose qui pousse l’artiste à être artiste, qui le pousse à faire de l’art?
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28 mars 2010 à 13:51 Valentin P.[Citer] [Répondre]
Très bel article
22 avril 2014 à 0:57 V.D.[Citer] [Répondre]
Le questionnement est très intéressant, mais que pourraient être les éléments de réponse possibles ? J’en risque deux :
– L’artiste est bien un être à part, mais ce terme ne doit pas forcément être compris comme une différence proprement ontologique. Soit qu’il soit un être réellement à part, capable d’une vision plus acérée, plus profonde, plus sensible à la beauté et à l’esthétisme des choses (un Baudelaire, un Oscar Wilde, un Bob Dylan, que sais-je encore ?), soit qu’il soit quelqu’un qui, par l’entraînement et la culture, arrive à un niveau de maîtrise technique et de connaissance de son art qui le rende capable de créer quelque chose que l’homme n’est en général pas capable de créer a priori, il se distingue de la masse. Si nous avons besoin des artistes, c’est parce que nous n’avons pas tous leur génie, mais également par manque de temps, ou plutôt par choix différent d’occupation du temps. On pourrait même creuser un peu vers chez Sartre et rapporter tout ça au choix originel.
– Le propre de l’art est qu’il renferme des réseaux de perceptions, de visions ou de compréhensions du monde (des « percepts » comme dirait Deleuze). Dès lors, le principe même de notre « consommation » / « contemplation » d’une oeuvre d’art(je ne sais jamais quel verbe ou substantif utiliser quand je parle du fait d’être face à une oeuvre d’art) repose sur la rencontre entre ma conscience et la conscience qui a produit l’oeuvre. Découvrir une oeuvre d’art, c’est rencontrer quelqu’un, en cela que c’est se familiariser avec un (ou plusieurs) univers, qui n’ont d’intérêt pour nous qu’en cela qu’elles nous ouvrent des perspectives, nous montrent les choses différemment de la façon dont nous les voyons, ou au contraire parce qu’elles y sont semblables (d’où l’idée de « se reconnaître dans une oeuvre »). Il faudrait alors être sacrément schizophrène (ou narcissique) pour se satisfaire de l’art que nous sommes en mesure de produire nous-même.
22 avril 2014 à 10:04 Luccio[Citer] [Répondre]
Intéressant. Mais alors, qu’est-ce qui plaît dans la beauté de la nature ? Kant dirait que c’est une façon de nous rencontrer nous-même, un signe même de moralité (un jour je collerai l’extrait précis et commenterai). Wilde affirme que la nature n’est belle que de ses ressemblances à l’art. Un jour, un jour… il faudra comparer ces deux idées, et tenter une belle synthèse hégélienne.
22 avril 2014 à 22:15 V.D.[Citer] [Répondre]
A chaud, j’aurais tendance à proposer une réponse différente des deux que vous proposez (mais ma connaissance de Kant est très limitée et il faudrait encore que je réfléchisse un moment pour voir quel sens donner à l’idée de Wilde). On pourrait peut être penser que la beauté de la nature est en quelques sortes première par rapport à toutes les autres et par rapport à moi. Certes, chacun la perçoit et la reçoit d’une manière différente mais elle est là, posée. Dès lors le talent de l’artiste serait de transmettre d’une manière crédible sa vision de cette beauté, et c’est cette crédibilité qu’on appellerait « beauté artistique »
23 avril 2014 à 17:13 Luccio[Citer] [Répondre]
Ok. Mais à chaud, il me semble qu’on retourne vers des conceptions plus ou moins antiques de la beauté, comme harmonie (rapport harmonieux tout-parties), ou perfection. Ainsi la beauté est-elle dans la nature/l’objet ou dans l’œil du spectateur/de l’artiste ?
🙂 (je laisse ces questions classiques ouvertes et sans arrière-pensée, car elles demeurent difficiles à traiter, même quand on connaît ou croit connaître les réponses des auteurs)
24 avril 2014 à 1:08 V.D.[Citer] [Répondre]
De toutes façon la beauté c’est trop compliqué à penser … Personnellement j’ai toujours eu l’impression qu’on mettait dans ce concept beaucoup de choses trop différentes les unes des autres, et qu’il y aurait un petit ménage conceptuel à faire là dedans.