Pourquoi c’est drôle
Où quelqu’un découvre, après avoir tout bien lu Freud, que celui-ci était peut-être un odieux charlatan. Mais où quelqu’un d’autre découvre également que celui qui a tout bien lu Freud en est peut-être également un.
- Onfray attaque Freud, Miller contre-attaque
- Ô cuistre !
- Pourquoi c’est drôle
Parce que la vie est absurde, parce que face à la bêtise l’analyse est un moyen mais le rire aussi, parce qu’au-delà de l’affliction il reste la moquerie… laissons-nous aller et voyons comment et pourquoi un cuistre ce n’est pas seulement triste, c’est drôle. Afin d’étudier ce pourquoi-comment, allons voir du côté de chez Bergson.
« En un certain sens, on pourrait dire que tout caractère est comique, à la condition d’entendre par caractère ce qu’il y a de tout fait dans notre personne, ce qui en nous est à l’état de mécanisme une fois monté, capable de fonctionner automatiquement. […] Le personnage comique est un type. [Et] la ressemblance à un type a quelque chose de comique ». Le Rire, p.113
Le type comique est ainsi un personnage qui cesse d’avoir de multiple facettes et se réduit malgré lui à un unique caractère. Tentons de trouver le type comique cuistre à partir de l’analyse de la cuistrerie comme manifestation d’un égocentrisme théorique d’exposition (mais pas nécessairement de recherche) subordonné à un égocentrisme moral d’exposition (de soi). Le cuistre comique pourrait être si cuistre que sa recherche théorique même serait guidée par sa cuistrerie, cuistrerie dont il ne sortirait ainsi jamais, et à laquelle on pourrait entièrement le réduire ; il serait entièrement égocentrique, sans humour et persuadé d’être un sommet. Le cuistre comique ne se contente plus de paraître cuistre à l’occasion, il l’est jusqu’au bout des ongles (que Deleuze avait fort longs), tant et si bien que sa cuistrerie s’observe déjà quand il expose sa méthode de recherche.
Un tel cuistre est déjà présenté par Coluche, qui se moque gentiment de ceux qui trouvent tout dans la psychanalyse (j’interprète un peu).
Le cuistre comique commence ainsi par « Parce que j’ai tout lu Freud », persuadé qu’il est que ça suffit à faire une méthode, à pouvoir dire quelque chose. Il signale un exploit (pour lui une preuve de sérieux) qui justifie qu’il entre en scène, que les projecteurs se braquent sur la bonne personne.
Or ami et lecteur assidu de Morbleu, « Parce que j’ai tout lu Freud », une telle déclaration ne te rappelle-t-elle rien ?
A partir de 7:00, on apprend que ce bon Onfray lui aussi a tout lu de Freud. Mais n’ayez crainte pour sa cuistrerie, pas besoin qu’on lui pose la question, il peut le dire tout seul, comme un grand garçon, comme ici. Il me semble l’avoir même entendu déclarer qu’il avait tout lu Freud en un été. Quel exploit ! La première fois, ça m’a fait rire. Au début j’ai cru que je riais par snobisme-bon sens : on ne peut pas assimiler autant de littérature en 2-3 mois. Bref je pensais rire devant un truc absurde, mécanisme qui doit encore être à l’œuvre. Mais ensuite je me suis rappelé du classique de Coluche, et ai senti qu’il pouvait y avoir une figure à analyser, un type du comique. En fait Onfray ressemble au type du cuistre et c’est pour ça qu’il m’a fait rire (« la ressemblance à un type a quelque chose de comique »).
Dans le cas de Onfray, la méthode de lecture – étudier la correspondance comme les textes centraux pour trouver des contradictions interne aux écrits (et pas forcément à l’œuvre publique) – prend des allures nietzschéennes. Alors qu’il lit TOUT pour trouver des contradictions, justifier de son sérieux et se mettre en avant, il peut prétendre le faire parce que la pensée d’un auteur n’est qu’une de ses actions parmi les autres. Ainsi il peut chercher une cohérence ou une incohérence qui n’est pas dans les textes publics mais dans la vie entière de l’individu. Le nietzschéisme de Onfray semble lui servir à juger, à déclarer : voilà le caractère secret de ce mauvais homme, et en plus ses théories étaient nulles et fausses, il ne faisait que se mettre en avant. Voilà le coup de force du cuistre-type : dénoncer Freud comme cuistre-type pour se mettre en avant. A partir de la ressemblance au type-cuistre de Onfray, on croit alors observer l’égocentrisme moral arriver à trouver une justification méthodologique et morale dans le perspectivisme nietzschéen et la dénonciation d’un cuistre plus grand (doit y avoir un paradoxe, mais aujourd’hui, contentons-nous, bêtes et méchants, de dire qu’il semble qu’on tue le père).
Après, si on est obsédé par Onfray, on peut dire qu’il a fait l’Université populaire pour y trouver l’auditoire adéquat à sa cuistrerie (dans le cadre du cours magistral), etc. Mais ce n’est pas à un auteur anonyme de casser du sucre sur quelqu’un qui a le courage de signer ses livres et de son nom et qui lutte vaillamment contre la horde des psychanalystes fous, malhonnêtes et enragés – on peut en effet avoir peur des réactions de Roudinesco (je n’ai pas eu le courage de finir, j’ai abandonné quand elle déclare que Onfray « favorise la prolifération des rumeurs », sans doute l’accuse-t-elle ensuite d’encourager la déforestation et l’abus de psychotropes).
Mais méfions-nous et jouons aussi à Nietzsche, sans doute n’avons-nous produit une analyse de la cuistrerie que pour dire du mal (elle se réduit à notre biographie). Il nous faut donc éviter de trop s’emporter vers ces passions tristes. Soyons donc modestes et contentons-nous de dire que le pourfendeur de l’Idole est parfois rigolo. Notons toutefois avec quel délice nous saurions apprécier qu’un jour il récidive en attaquant le père de tous les pères.
Décidément, sans Onfray, qu’est-ce qu’on f’rait ?
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1 décembre 2010 à 15:57 Tristan Corbiere[Citer] [Répondre]
Onfray a écrit son livre « parce que » il y a le freudisme et l hagiographie du maître qu il propose. Dans ce contexte, « lire tout Freud » est une invitation à un retour aux textes freudiens sans médiation, et surtout un retour à TOUS les textes, y compris aux apocryphes que les apôtres ont exclu du canon.
Cette lecture de la correspondance est indispensable pour mesurer l efficacité des sa pratique. Putain, le mec prétend guérir certaines souffrances : qu en est il réellement? C est le minimum d’aller mesurer ses résultats de praticien. Ces lectures permettent a Onfray d’affirmer que Freud a étendu son fonctionnement psychique propre à l humanité entière. Il devait donc s appuyer sur une connaissance intime de l escroc.
Onfray écrire un livre de combat pour que les réflexions autour du fonctionnement de l esprit humain soit rationnelles au du moins atteignent les standards de rationalité de notre époque.
La pertinence du livre d’ Onfray devrait depuis longtemps être considérée comme une évidence
1 décembre 2010 à 18:34 Tristan[Citer] [Répondre]
La dernière phrase doit être comprise ainsi: ce que dit onfray est en fait évident et devrait être consideré comme tel depuis longtemps
1 décembre 2010 à 20:58 Luccio[Citer] [Répondre]
Tristan, poète maudit,
merci d’avoir pris le temps de poster ce commentaire, qui a l’avantage de défendre un propos qui n’est pas le mien (mais peut-être compatible) ; la pluralité, c’est la vie. Je peux même imaginer que j’ai complètement tort et que la vérité est plutôt dans vos lignes (je vous vouvoie pour ne pas me faire gronder par Oscar). A vrai dire, je crois surtout que l’affaire est une question d’accent (mais aussi que j’ai raison).
Il est possible en effet que la psychanalyse (en soi ou telle qu’actuellement pratiquée) soit une douce arnaque (ou une violente arnaque qui dépouille les naïfs de leur argent et de leur santé mentale). Il est même possible que l’étude de la correspondance privée de Freud révèle ses volontés falsificatrices (opposées à ses réflexion épistémologiques publiques). Enfin, lutter contre l’icône Freud, fer de lance du business de la psychanalyse, pourrait même être un énorme service à rendre à la psychanalyse, et au-delà à la société. Aussi lire tout Freud serait adéquat et le fait d’un héros (je sais, je charrie).
A ce titre, s’il fallait soutenir Onfray contre la possible calomnie à la Roudinesco, c’est-à-dire s’il le fallait vraiment (pour sauver la planète ou la psychè de bonnes gens), je serais (presque) tout prêt à le faire.
Bien heureusement, Onfray n’a pas besoin de moi. Si j’ai tenté ici de montrer qu’il ressemble au cuistre comique (je te fais grâce d’un auto-commentaire-résumé), c’est que j’ai tendance à croire que par certains aspects il en est un (de cuistre).
Nuançons : certes je trouve son « J’ai tout lu Freud » drôle (mes deux derniers billets tentent de développer cet aspect), certes je le soupçonne par ailleurs d’être allé bien vite à la lecture (et ce serait là le fond de sa cuistrerie), mais je ne lui retire pas la possibilité de dire des choses vraies. Ce serait bien indélicat de ma part de tout décrier de son travail alors que je n’ai pas lu son livre. Je pense simplement qu’il a en effet dû trouver quelques choses évidentes (à la mesure de son travail). Il ne lui reste alors plus qu’à rappeler : « c’est une arnaque, faudrait faire autre les choses les gens… » avant de remonter sur son fier destrier et de se diriger vers le soleil couchant.
En fait, je pense tout comme vous-toi que son livre est un « livre de combat ». A ce titre, Onfray me fait penser au grand homme chez Hegel, qui fait avancer la raison dans l’histoire, mais qui n’est motivé que par sa passion, enfin à son petit niveau. Le grand homme en philo ferait avancer les vérités conceptuelles mais ne serait passionné que par la volonté d’avoir raison (et que tout le monde le sache). Pis, il pourrait n’être motivé que par sa volonté de s’exposer… et être celui qui expose quelque vérité en disant que ce sont des vérités afin seulement de s’exposer lui-même, il ressemble cuistre comique (désolé, je me résume-auto-commente, c’est pas bien).
Ainsi, je suis tenté de penser que Onfray a écrit son livre « parce que » Onfray confine au cuistre comique. Si pour se mettre en avant il lui faut aussi dire des choses vraies, il va les dire ; mais s’il devait dire des choses fausses, peut-être les dirait-il aussi. Le combat n’est plus qu’adventice.
Enfin, un défaut majeur de ma position : j’accuse Onfray de jouer au petit juge et de se mettre en avant, mais je fais pareil. Pire, je ne suis même pas utile à un possible juste combat. Tant pis… mais il demeure néanmoins vrai que le grand homme a les mêmes mots que le grand comique, et ça c’est drôle.
1 décembre 2010 à 22:36 Tristram Shandy[Citer] [Répondre]
Ok donc si je vous comprends bien, quand vos parlez de ll’attitude cuistre d’Onfray vous évoquez non pas sa posture intellectuelle dans son ouvrage mais la façon dont il en fait la promotion dans les media.
On se croirait dans les pages philosophie de télé Z: on commente des prestations dans des talk shows….
Je crois qu’Onfray sait bien que son livre n’a que peu de valeurs d’ un point de vue conceptuel: il démonte une pseudo science en lisant vraiment les textes originaux. Il est alors ni un « cuistre », ni un « petit juge ». Il ne mérite ni la haine ni l’admiration, et ni la raillerie tant que les évidences qu’il expose avec pompe ne seront pas largement partagées. Même chose pour son Traité d’athéologie.
1 décembre 2010 à 23:38 Luccio[Citer] [Répondre]
Réponse-rappel : Disons qu’il est bien probable que la façon dont il fait la publicité de son ouvrage puisse rendre compte des raisons pour lesquelles il l’a composé, voire de la façon dont il l’a composé (et c’est à cause de ce dernier point qu’il peut devenir drôle). En terme onfrayo-nietzschéen : comment il le vend, ben c’est comme ça qu’il l’a écrit (reprise de la critique de Freud qui nous est résumée).
Répétitions et considérations annexes que je me sens obligé de rajouter ici : Il ne faut peut-être pas allé trop loin avec le mérite, personne ne distribue les bons points. Onfray est drôle, ce n’est pas ma faute (sur le « J’ai tout lu Freud en un été » je souris plus que je ne m’abats). Je pense que c’est parce qu’il est cuistre, ce qui le pousse à devenir juge (qui peut développer des attaques ad hominem en allant chercher une justification méthodologique chez Nietzsche). Et si le sujet Onfray m’intéressait plus que penser le caractère cuistre (dont Onfray n’est qu’un cas particulier célèbre, actuel et lié à la philosophie)(je préfère Achille Talon et l’insulte cuistre à Onfray), j’irais voir si son livre expose cuistrerie ou égocentrisme (l’activité judiciaire serait elle-même adventice). Des choses qu’on doit trouver dans le traité d’athéologie (l’auteur rappelant à l’occasion qu’on lui fait remarquer qu’à cause de lui certains ne pourraient plus croire).
En outre, il n’est pas certain que sa méthode soit si pertinente (et son propos si juste) (ce que je soupçonne notamment parce qu’ils me paraissent servir sa cuistrerie)… mais là je n’ai ni matériel ni envie.
Plus intéressant d’un point de vue personnel : Et si je devais me trouver des objections, ce serait plutôt dans l’analyse du caractère cuistre, qu’on peut sans doute améliorer, pas tellement du côté de la non-cuistrerie de Onfray, qui me parait difficile à défendre.
A celui qui a eu le courage de lire tout ceci, voici une petite récompense http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Hugo_-_Les_Mis%C3%A9rables_Tome_IV_%281890%29.djvu/454
Bonne soirée
ps : je dois faire attention, car pour expliciter mon propos je me force à être redondant, et deviens gauche en qualifiant explicitement Onfray comme un cuistre ; ce à quoi je tentais d’échapper dans le texte que je propose, motivé par une certaine envie d’éviter d’abuser du judiciaire.
2 décembre 2010 à
[…] Comment faire du pognon grâce à Internet et avec un peu de philosophie Choses dites, choses vues Oscar Gnouros 2 décembre 2010, 4:39 « Pourquoi c’est drôle […]
2 décembre 2010 à 16:41 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Pas bête.
3 décembre 2010 à
[…] et #Coluche : même combat ? http://www.morbleu.com/pourquoi-cest-drole/ […]
21 septembre 2011 à 8:59 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Cher Luccio, je repense à ce texte décisif au détour d’un passage de Le théâtre et l’existence de Henri Gouhier qui m’est tombé sous les yeux, et qui explique un peu la même chose : que le comique naît d’un personnage qui épouse son type, qui participe pleinement à l’archétype platonicien qui préside à son existence, pendant que le tragique serait plus attentif à la biographie. Étant donné la date du texte (1953), sans doute l’idée est-elle reprise de Bergson. Mais c’est peut-être aussi quelque chose qui était dans l’air du temps. Peu importe.
En tout cas, je tiens à dire que je ne trouve pas Michel Onfray si cuistre que cela. Son tort est sans doute en premier lieu de surinterpréter les textes qu’il utilise : et c’est peut-être en raison même de ce travers qu’on peut précisément dire de lui qu’il est un philosophe. Car qu’est-ce qu’un philosophe, sinon quelqu’un qui ose réinterpréter toute la connaissance humaine à partir d’une hypothèse qui lui est propre ?
21 septembre 2011 à 19:39 Luccio[Citer] [Répondre]
Je me relis demain, et j’te réponds après-demain.
22 novembre 2012 à 13:36 Luccio[Citer] [Répondre]
Le temps passant je serais presque prêt à revenir sur les sévères opinions exprimées ici (encore que si je me relis je serai sans doute d’accord avec moi). Car le travail de vulgarisation (et au passage un peu de concepts) opéré par Michel Onfry est louable et bien réalisé.
Je suis convaincu que l’affaire Freud l’a désinfatué de lui-même (ou a désinfatué mon jugement d’alors).