Jean-François LyotardSi on suit Lyotard, la postmodernité peut-être définie comme le temps où les grands récits de légitimation tels que l’émancipation de l’homme, le progrès, ou le sujet transcendantal n’ont plus de crédit. Aucun discours ou métarécit ne peut plus être jugé plus recevable qu’un autre pour légitimer la société. Au contraire voit-on se multiplier des micro-récits entrant en concurrence les uns les autres sans qu’aucun ne puisse légitimement revendiquer une quelconque supériorité sur les autres.

Conséquence politique directe de la postmodernité : d’un point de vue « théologico-politique » (au sens de Schmitt), l’État (ou quoi que ce soit d’autre) ne peut plus se fonder (ou simplement se légitimer) sur une finalité universelle, c’est-à-dire sur un discours qui soit partagé et admis par tous. Au contraire, chacun est en droit de concevoir, de choisir de lui-même la fin qui vient légitimer sa vie, son agir, et ce, dans une relative autonomie (entendue ici simplement comme absence de contrainte socio-politique visible). Par extension, si ce sont les individus eux-mêmes qui posent leurs propres fins (qui peuvent être plurielles : voire Deleuze et les segmentarités), s’ils écrivent eux-mêmes leurs narratifs, s’ils décident d’eux-mêmes ceux qu’ils doivent lire, il en résulte que des individus s’accordant sur l’adhésion à un certain métarécit particulier peuvent décider de s’associer en une communauté qui aurait précisément pour justification minimale l’adoption explicite ou implicite par ses membres de ce métarécit.

Tous les matériaux sont alors fournis pour que le communautarisme et le multiculturalisme émergent, au détriment du républicanisme (entendu comme l’adhésion à une fin commune). Au départ, ces deux concepts ne sont ainsi pas issus d’une quelconque tolérance, d’une ouverture des mœurs, d’une liberté accordée généreusement par la majorité à certains groupes sociaux de vivre comme ils l’entendent, mais bien plutôt de la faillite de la société à trouver un métarécit qui puisse fédérer toutes les individualités, toutes les communautés – et ce peut-être tout simplement parce qu’il n’est plus possible, pour certaines raisons, d’en trouver un, non parce qu’il n’en existerait pas, mais uniquement parce que leur usage est devenu, par la force des choses, illégitime.

La tolérance à l’égard du communautarisme et du multiculturalisme est ainsi bien plutôt une conséquence de la postmodernité, et c’est d’ailleurs sans aucun doute une bonne nouvelle qu’il n’y ait désormais plus une majorité mais des minorités. Cependant, une question mérite débat : tous les métarécits sont-ils légitimes ? se valent-ils tous ? faut-il admettre des métarécits qui admettraient ce que la plupart des autres réprouveraient ? si on doit les condamner, à quel titre le faire, puisqu’il n’existe plus aucun narratif permettant de prendre un point de vue les englobant tous ? en un mot, la postmodernité nous condamne-t-elle au relativisme ?

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