Hier je mangeais des fruits en écoutant 20 minutes de ceci. Affaire de hasard, car j’ai acheté une radio à l’ancienne, m’offrant ainsi les joies du zapping. C’est l’occasion de faire le tour de ce que je comprends du rapport entre hasard et liberté.

Le hasard

Je ne m’intéresse pas aujourd’hui à la psychologie du hasard, à ses rapport au destin ou à la fortune. Bref il ne s’agit pas de s’intéresser au hasard comme à une cause, un projet caché ou une fatalité. Il s’agit plutôt de s’intéresser au caractère hasardeux du hasard (belle tautologie, non ?). Pour ce faire je propose de distinguer spontanéité, imprévisibilité et contingence.

La « spontanéité » baptiserait le hasard ontologique, caractère de mouvements ou d’événements par nature imprévisibles. Le plus célèbre exemple est le clinamen d’Epicure (un changement inexplicable dans la direction des atomes). Cette spontanéité dessinerait comme un trou dans la matière et ses comportements prévus, de l’éternellement nouveau dans le possible, et… au-delà de ces métaphores, permettrait de penser la liberté.

L’ « imprévisibilité » concernerait plutôt le hasard gnoséologique, caractère de mouvement ou d’événements imprévisibles pour nous, pour l’observateur. Un événement serait ainsi hasardeux pour l’instant, parce que imprévisible dans l’état actuel des sciences et connaissances. J’ai l’impression que l’exemple intéressant et polémique est le principe d’incertitude de Heisenberg : une particule donnée peut être à tel ou tel endroit, sans que par définition ce soit prévisible ou déterminable (où « déterminer » serait prédire voire produire un événement). Certains y voient un cas d’imprévisibilité, d’autres un hasard ontologique.
1er SOS : Amis lecteurs, auriez-vous quelques articles ou ouvrages à conseiller ? (au moins de la vulgarisation pour élèves studieux)

La « contingence » serait affaire de hasard épistémique. Elle irait de pair avec les lois non strictes comme avec les probabilités ; d’ailleurs les deux sont souvent associées, comme lorsqu’on évoque la probabilité du succès d’un traitement. Le modèle est le jeu de dés, mais la mode est aux lois sociales et biologiques. Il s’agit de considérer que l’imprévisibilité caractérise certaines sciences quasiment par définition, et en tout cas refuser qu’elle soit intrinsèquement temporaire. Les lois scientifiques n’auraient pas à définir tous les comportements d’une population pour être scientifiques. Les lois non strictes sont scientifiques.
Cette promotion de la contingence comme contingence, véritable symbolon des lois non strictes, s’accompagne souvent d’une attitude épistémologique anti-réductionniste, qu’on pourrait aussi appeler sceptique, positiviste ou naturaliste : ne nous encombrons pas trop de modèles, le savoir c’est ça, et on avance ! Par exemple la description non stricte du comportement d’un banc de poisson n’a pas à être analysée à un niveau neurologique, voire biochimique, chimique ou physique, pour être considérée comme scientifique. Mais cette attitude naturaliste n’est pas au goût de tous. Certains renverront la contingence à l’imprévisibilité ou à la spontanéité, affaire de métaphysique. Mais surtout certains feront leurs recherches aux frontières des champs institués, et pourquoi ne pas décrire le comportement des bancs de poissons en observant leurs neurones ? Certes, difficile d’opérer par IRM dans l’océan.

La liberté

La liberté et ses résultats, vus de dehors (en terme de descrpition), c’est de la contingence. Un animal est libre d’aller où il veut, et un élève libre du choix de ses études. Certes il doit exister un « déterminisme physiologique ou social », mais il s’agit évidemment de lois non strictes. Si la liberté est une illusion, c’est affaire de métaphysique, pas de description scientifique.

Cependant existe la tentation de considérer la contingence comme un signe de la liberté. Il existe par exemple des lois de la communication et du langage, à la construction desquelles s’attachent les linguistes. Or la poésie n’est-elle pas le signe de la contingence par rapport à ces lois de la linguistiques ? On peut même y voir une contingence par rapport aux lois décrivant l’ordinaire des associations psychologiques, comme Sartre lorsqu’il traite de l’imaginaire (faudrait que je révise).

La contingence devenue signe de liberté finit par renvoyer à la spontanéité. On peut imaginer qu’il faut laisser place à la spontanéité, et rappeler combien envoyer « poème » au 8 200 200 est moins libre et moins beau qu’un mot amoureux, maladroit, mais contingent. Putain ! Super idée de mémoire et thèse mes petits amis : « La beauté est-elle une affaire de lois non strictes ? ». Mais cette spontanéité peut aussi renvoyer à un fondement, à une qualité spécifique, comme le fameux « génie » qui place celui qui en est pourvu au-dessus des automatismes des artistes affectés. La contingence devient alors le signe d’une liberté métaphysique, d’une spontanéité créatrice ; un signe qui se renforce par la beauté. C’est pourquoi on a pu dire qu’une infinité de gorilles armée d’une infinité de machines à écrire n’écrirait pas Le Voyage au bout de la nuit. C’est (i) délicat, car il faut s’entendre sur l’infini, et (ii) rigolo, car Céline était un peu un gorille.

Rappelons-nous toutefois que la liberté ne se réduit pas à la spontanéité, et qu’on peut penser la liberté sans la contingence. Surtout quand on s’intéresse à l’expérience de la liberté. On peut l’associer à la contingence, puis à une spontanéité imprévisible, créative, forte, etc. Mais la liberté peut être envisagée depuis l’esprit, vis-à-vis du corps, puis des représentations en général (sentiments, idées et informations), au point de mettre en avant une spontanéité de la volonté face aux idées de l’entendement. Cette spontanéité, l’entendement ne peut l’appeler qu’indépendance (puisque par définition il ne peut en comprendre la nature). Cette spontanéité, nommée depuis son vécu, est appelée libre arbitre (Descartes&Co). On peut aussi se contenter de valoriser cette idée de libre arbitre en considérant qu’il n’y a pas réellement d’événements contigent dans le monde, pour constater une borne et des mystères (Descartes), ou pour chercher un nouveau sens à la liberté (Kant). Enfin on peut se moquer de cette idée qu’une volonté existe en face des idées, et que les idées ne sont pas passionnées du tout (Spinoza et bien d’autres !).

Qu’il est tentant de rechercher la contingence comme un signe de la liberté

Tout d’abord pour faire taire les sentencieux, pressés de sortir le mot « déterminisme » de leur chapeau. Ce sont les tenants fous de l’imprévisibilité temporaire. Untel a choisi le Droit à la faculté, tué une vieille et a failli devenir fou : il y a des déterminismes sociaux, psychologiques ou historiques. Vous répondez que certes, mais qu’il s’agit de déterminismes non stricts. « Valéry est un intellectuel petit-bourgeois, cela ne fait pas de doute. Mais tout intellectuel petit-bourgeois n’est pas Valéry » (Sartre). Il y a de la contingence, mais que vous répond-on alors ?
Au choix, et souvent les deux, que ces déterminismes sont (i) inconscients et (ii) pas encore découverts. Dès lors s’opère une chasse au hasard, à l’individu ou à l’événementiel. On valorise des lois qui n’existent pas contre le constat de la contingence. Souvent n’est pas compris le caractère des sciences comme modèles souffrant des lois non strictes, et l’on postule la totalité des explications et lois à venir.
Le besoin de se rassurer doit être à l’origine de ce postulat totalitaire totalisant. Mais plus souvent il serait moral. On digère mal son Nietzsche, son Marx, son Freud, etc. et l’on accuse les tenants de la contingence de n’être pas scientifiques, puis on chasse la spontanéité qu’on est pressé de confondre avec le libre arbitre, accusé d’être une invention morale, produite pour culpabiliser le petit peuple. Bref c’est au nom du petit peuple et de la science qu’on oublie la science et la vie quotidienne.

Dès lors on comprend la tentation de répondre en valorisant le vécu à côté de la science, et notamment la spontanéité contre les discours pré-mâchés et para-scientifiques. Et des phénoménologues de rappeler qu’aucun discours scientifique ne peut m’empêcher de me sentir libre, même lorsqu’il qu’il se persuade que je suis dans l’illusion (Sartre, etc.), mais qu’il peut m’informer plus précisément sur ce qu’est ma liberté (Bergson ?)

Mais peut-être peut-on valoriser la contingence à l’intérieur des sciences de l’esprit. Peut-être a-t-on observé des phénomènes contingents et observables, en neurologie par exemple ? Nous aurions quelques confirmations de ce qu’ont dû écrire quelques épicuriens (quand un kantien strict n’aurait pas besoin que ces événements aient lieu).
2ème SOS : Amis lecteurs, auriez-vous à nouveau quelques articles ou ouvrages à conseiller ?

En effet, on pourrait imaginer que le cerveau est régulièrement le siège de connexions imprévues que nous identifions à la spontanéité. La forme du réseau maintiendrait l’équilibre, mais le hasard produirait la spontanéité. Et, en amont, les perceptions passées et le monde perçu expliqueraient un certain équilibre de cette forme, tout comme une part d’inné.
3ème SOS : Amis lecteurs, auriez-vous à nouveau quelques articles ou ouvrages à conseiller ?

IV SOS final et premier

Enfin, et c’est une hypothèse qui m’a toujours paru fumiste : peut-être la contingence du principe de Heisenberg a-t-elle un rapport avec la spontanéité humaine ?

Longtemps cette idée m’apparut un brin naïve et fumiste. En effet, l’incertitude quantique existe au niveau de particules quantiques, mais disparaît dans les ensembles de particules, au point qu’il n’y a plus incertitude (ou du moins que les incertitudes de mesure prennent le relais). Ce serait la décohérence. J’avais l’impression que ses tenants étaient mal informés, eux qui déclaraient : il y a de la contingence dans les atomes, donc la liberté existe. Et je le crois toujours. Déjà parce que je suis mal informé moi-même.
Alors surgit le SOS : auriez-vous quelques articles ou ouvrages sur la décohérence, et sur les échelles où sa considération est opportune ?

Et pour finir une petite surprise, sous la forme d’un vieux papy à qui une copine tient la jambe pour qu’il parle devant son caméscope :


A écouter à partir de 30 minutes. Pour les plus jeunes, le « billard électrique », c’est un flipper. Pour tout le monde, il est malin le vieux, non ?

Je suis à peu prêt certain que d’autres ont dû penser à toutes ces choses, et avec talent. Ainsi cela me ferait plaisir des les lire un peu.

PS : ah ben tiens, y’a déjà ça, mais c’est une vidéo