Michel Foucault considérait-il vraiment le fist-fucking comme du « yoga anal » ?
Récemment, Luccio s’est attelé avec succès à la résolution d’une importante énigme philosophique, celle de la légende d’Épictète et de sa jambe serrée dans l’étau : a-t-il crié ou pas pendant qu’on la lui brisait ? Poursuivons aujourd’hui cette cure de « fact checking » philosophique par une autre question tout aussi importante : Michel Foucault considérait-il, oui ou non, le fist-fucking comme du « yoga anal » ?
De la psychanalyse considérée comme l’un des beaux-arts
Qui s’intéresse à Foucault est en effet périodiquement frappé par cette affirmation. Dernièrement, c’est au détour d’un « Que sais-je ? » écrit par Vincent Estellon sur Les sex-addicts que ce qui se présente de lui-même comme un fait indubitable s’est imposé :
Si Michel Foucault parle du fist-fucking comme d’une sorte de « yoga anal », on ne peut ignorer la part de violence destructrice inhérente à cette pratique sexuelle extrême.
Vincent Estellon, Les sex-addicts, Paris, PUF, 2014, p. 77.
Au demeurant, comme souvent, ce « Que sais-je ? » est très mauvais. L’auteur réduit la sexualité addictive aux seuls rapports intersubjectifs, laissant la plupart du temps de côté tout un tas de pratiques masturbatoires, pornographiques et fantasmatiques tout autant compulsives. [1] Par ailleurs, c’est à cheval sur Freud et Lacan que notre auteur psychanalyse tout cela, produisant une grille de lecture que tout lecteur aurait pu deviner de lui-même, pour peu qu’il ait suivi avec attention ses cours de philosophie de classe terminale sur « l’inconscient ». Sur cette question de l’addiction sexuelle, j’ai peur d’avouer que les meilleures analyses que j’ai pu lire jusqu’à présent n’aient été produites par cet obscur psychologue nommé Éric Loonis, mais également, bien sûr, par Deleuze.
L’utilité de la caisse à outils
Je m’interrogeais alors sur cette affirmation réitérée par ce sérieux et rigoureux spécialiste, faisant de Foucault un militant du fist-fucking osant le comparer à une « technique de soi » parfaitement noble, aussi digne que le vieux « yoga ». L’affirmation pourrait coller à la légende du personnage, chauve et mort du sida, qui fréquentait parait-il assidûment les clubs SM − et sans doute collerait-elle surtout parce qu’il était chauve et portait une veste en cuir. [2]
À ce sujet, je sais de source parfaitement sûre, et pour ainsi dire de première main (il est question ici de fist-fucking), que Foucault, lorsqu’il compara la philosophie à une « caisse à outils » (« a toolbox ») n’avait à l’esprit nullement un rapprochement avec le pragmatisme anglo-saxon, mais tout simplement une idée toute lubrique : le nom d’un club SM appelé « The Toolbox » qu’il avait fréquenté la vieille de son interview [3], qu’il se proposa de façon potache et oulipienne d’insérer dans son discours. Cela donne ainsi une toute autre saveur au célèbre passage suivant :
Je voudrais que mes livres soient une sorte de tool-box dans lequel les autres puissent aller fouiller pour y trouver un outil avec lequel ils pourraient faire ce que bon leur semble, dans leur domaine. L’Histoire de la folie, je l’ai écrite un peu à l’aveuglette, dans une sorte de lyrisme dû à des expériences personnelles. Je suis attaché à ce livre, bien sûr, parce que je l’ai écrit, mais aussi parce qu’il a servi de tool-box à des personnes différentes les unes des autres, comme les psychiatres de l’antipsychiatrie britannique, comme Szasz aux États-Unis, comme les sociologues en France : ils l’ont fouillé, ont trouvé un chapitre, une forme d’analyse, quelque chose qui leur a servi ultérieurement.
Michel Foucault, « Prisons et asiles dans le mécanisme du pouvoir » [1974], in Dits et Écrits, t. 2, p. 1391.
Les passages que nous avons mis en gras indiquent avec suffisamment d’évidence que Foucault avait davantage à l’esprit une joyeuse partouze, qui aurait sans doute mis mal à l’aise le Marquis de Sade lui-même.
Épiphanie estivale du poing du yogi Foucault
La première fois que je lus cette affirmation péremptoire faisant de Foucault un défenseur du fist-fucking, c’était en 2011 dans un camping en Espagne, non dans les toilettes où cela aurait pu être tagué, mais dans Libération, journal dont on sait combien il doit à notre cher philosophe. Était en effet proposé le quiz suivant dans le cahier-jeux d’été auquel sacrifiait même ce quotidien :
1) Le fist fucking est l’intromission d’une main entière voire de l’avant-bras dans le rectum ou le vagin. Quelle est sa particularité dans le panorama des jeux sexuels ?
A. Il demande un self-control du pénétrant et du pénétré tel que Michel Foucault l’a qualifié de « yoga anal ».
B. C’était dans le Japon médiéval un jeu entre ronins.
C. Pratiqué dans la Rome antique, il s’est perdu pour revenir sous François Ier.
D. C’est une pratique apparue au milieu des années 60.
Selon l’auteure, les bonnes réponses sont A et D. On peut difficilement imaginer l’émerveillement qui s’empara alors de moi en ce 23 juillet au grand matin, ma main encore toute grasse de pain au chocolat. Mais très vite, je doutais. Tout d’abord, était-il sûr que cette pratique ne soit apparue que dans les années 60 ? Par la bouche de Dolmancé, Sade paraît en effet déjà décrire une conduite apparentée dans La philosophie dans le boudoir :
Et vous, madame, soignez donc mon cul : il s’offre à vous… Ne voyez-vous pas comme il bâille, mon foutu cul ? … ne voyez-vous donc pas qu’il appelle vos doigts ? … Foutredieu ! mon extase est complète… vous les y enfoncez jusqu’au poignet ! Ah ! Remettons-nous, je n’en puis plus… cette charmante fille m’a sucé comme un ange…
Sade, La philosophie dans le boudoir, 1795.
La créativité sexuelle est sans limites, et les années 60 n’ont sans doute rien inventé ; au mieux ont-elles conférer une autre modalité et résonance à cette pratique. Que penser alors de l’affirmation concernant Foucault ?
Comment naissent les rumeurs
Il faut remonter à la source, gentiment suggérée par l’auteure du quiz de Libération : le Dictionnaire de la pornographie, dirigée par Philippe Di Folco et publié en 2005. Là encore, un ouvrage très inégal : lorsqu’il est question de penser la sexualité, il semble être de mise que le médiocre côtoie l’excellence. L’article « fist-fucking » fut rédigé par Mark Alizart. À l’évidence, il s’agit de l’unique source de Libération :
Sade, dont les personnages affectionnent de se faire sodomiser par des godemichés de taille toujours plus imposante, n’en fait nullement mention dans Les Cent Vingt Journées de Sodome. À cet égard, il convient sans doute de corriger l’idée reçue qui range le fist-fucking dans la catégorie des pratiques sadiques anales. Précisément, à la différence de celles-ci, le fist-fucking requiert une maîtrise ou une retenue telles, tant du côté de celui qui introduit son bras que de celui qui le reçoit, sauf à provoquer des lésions graves, voire mortelles dans la membrane rectale, que Michel Foucault pouvait parler à son sujet de « yoga anal » − même si cette expression courante sur les sites pornographiques n’appartient nullement au vocabulaire tantrique.
Mark Alizart, « Fist-fucking » in Philippe Di Folco, Dictionnaire de la pornographie, Paris, PUF, 2005, p. 195.
On voit que Mark Alizart n’a pas assez lu Sade. Mais qu’en est-il de Foucault ? D’où provient son information ? Las ! la source se tarit ici. Et c’est ainsi que naissent des rumeurs, colportées jusque dans les livres de nos plus sérieux psychanalystes.
Depuis, afin de confirmer ou d’infirmer celle-ci, je me suis lancé avec avidité dans l’ensemble du corpus foucaldien à la recherche de possibles informations, avec un succès mitigé. Je lance ainsi un appel à tout lecteur de Foucault qui disposerait d’informations. Peut-être faudrait-il interroger Daniel Defert ou Didier Eribon ?
Je suis toutefois parvenu à quelques résultats. Il semblerait que ce soit dans la littérature secondaire, au sujet de Foucault donc, que la rumeur prenne sa source. Le lieu le plus ancien où il est question de fist-fucking, de Foucault et de yoga anal paraît être l’ouvrage Saint Foucault de David Halperin. Je cite dans la traduction française de Didier Eribon :
Le potentiel créatif et transformateur du queer sex est particulièrement visible dans le cas du fist-fucking, pratique que Foucault mentionne spécifiquement, et qu’il semble avoir en tête lorsqu’il parle de produire « du plaisir avec des choses étranges et des parties bizarres de notre corps ». […] Aussi le fist-fucking a-t-il pu être décrit par ses adeptes, non comme une pratique sexuelle, mais comme du « yoga anal ». C’est pourquoi il semble représenter une réfutation concrète de ce que Foucault considère, nous l’avons vu, comme l’idée erronée que « le plaisir physique provient toujours du plaisir sexuel et que le plaisir sexuel est la base de tous les plaisirs possibles ».
David Halperin, Saint Foucault, Paris, EPEL, 2000, p. 103.
Trouble dans le yoga. Selon Halperin, Foucault parle bien, plus ou moins explicitement, du fist-fucking. En revanche, nulle comparaison de Foucault lui-même entre fist-fucking et « yoga anal » : Halperin explique bien que ce sont les « adeptes » eux-mêmes qui la décrivent telle. Les notes de bas de page permettent de repérer deux textes de Foucault, essentiels à notre enquête.
Les deux sources du yoga et du fist-fucking
Tout d’abord, « Michel Foucault, une interview : sexe, pouvoir et la politique de l’identité » en 1984, avec effectivement de vrais morceaux de SM à l’intérieur :
− Comment voyez-vous l’extraordinaire prolifération, depuis ces dix ou quinze dernières années, des pratiques homosexuelles masculines, la sensualisation, si vous préférez, de certaines parties jusqu’alors négligées du corps et l’expression de nouveaux désirs ? Je pense, bien sûr, aux caractéristiques les plus frappantes de ce que nous appelons les films ghetto-pornos, les clubs de S/M ou de fistfucking. […]
M. F. […] Je pense que le S/M est beaucoup plus que cela ; c’est la création réelle de nouvelles possibilités de plaisir, que l’on n’avait pas imaginé auparavant. L’idée que le S/M est lié à une violence profonde, que sa pratique est un moyen de libérer cette violence, de donner libre cours à l’agression est une idée stupide. Nous savons très bien que ce que ces gens font n’est pas agressif ; qu’ils inventent de nouvelles possibilités de plaisir en utilisant certaines parties bizarres de leur corps. Je pense que nous avons là une sorte de création, d’entreprise créatrice, dont l’une des principales caractéristiques est ce que j’appelle la désexualisation du plaisir. L’idée que le plaisir physique provient toujours du plaisir sexuel et l’idée que la plaisir sexuel est la base de tous les plaisirs possibles, cela, je pense, c’est vraiment quelque chose de faux. Ce que les pratiques S/M nous montrent, c’est que nous pouvons produire du plaisir à partir d’objets très étranges, en utilisant certaines parties bizarres de notre corps, dans des situations très inhabituelles, etc.
Michel Foucault, « Michel Foucault, une interview : sexe, pouvoir et la politique de l’identité » [1984], in Dits et Écrits, t. 2, pp. 1556-1557.
Foucault ne parle pas explicitement du fist-fucking, mais on devine en effet qu’il comprend à quoi il est fait allusion. Une pratique en apparence sexuelle, mais qui est surtout bien plus : produire un plaisir corporel par un moyen qui n’est sexuel justement qu’en apparence.
En revanche, dans un autre entretien, Foucault théorise explicitement la question du fist-fucking. Interviewé par Jean Le Bitoux pour le Gai Pied, Foucault déclare ainsi :
Mais finalement, quand on regarde cela d’un peu plus près, ce qui me frappe, c’est que tous ces accoutrements, toute cette mise en blason de la masculinité, ne coïncident absolument pas avec une revalorisation du mâle en tant que mâle. Car au contraire, à l’abri des regards et sous le signe de ces blasons si masculins, ce qui se déroule ce sont des types de rapports sexuels masochistes ou d’affirmation masochiste, où il n’y a aucune valorisation du mâle en tant que mâle. Absolument pas. Au contraire, cela va être des usages du corps qu’on peut définir comme désexués, comme dévirilisés, que ce soit le fist-fucking ou d’autres fabrications extraordinaires de plaisirs auxquels les Américains arrivent en s’aidant d’un certain nombre de drogues ou d’instruments.
Michel Foucault, « Le gay savoir » [1978], in Jean Le Bitoux, Réflexions sur la question gay, Paris, H&O éditions, 2005, pp. 61-62. [4]
Une redite, donc, de la thèse précédente − ou plutôt une anticipation, compte tenu des dates des textes. Foucault ne varie pas. Le fist-fucking n’est pas une pratique sexuelle comme les autres. Même : elle n’est pas une pratique sexuelle. Elle s’en donne l’air, mais correspond à une désexualisation du corps, permettant d’atteindre d’autres plaisirs. En ce sens, peut-être le fist-fucking se rapproche-t-il implicitement d’une « technique de soi ». Mais en tout cas, nulle mention d’un quelconque « yoga anal ». D’ailleurs, pour avoir parcouru le corpus foucaldien sur la thématique du yoga seul, j’ai l’impression que Foucault s’en foutait pas mal, du « yoga » − bien qu’il fréquenta un temps, comme le rappellent les Dits et Écrits, des temples « zen » au Japon à la fin des années 1970.
Ma théorie est ainsi la suivante. Mark Alizart, l’auteur de l’article « fist-fucking » du Dictionnaire de la pornographie, a certainement lu le Saint Foucault de David Halperin avec un ventilateur, puis a écrit son article sur le fist-fucking sans relire ses notes, produisant un beau et plaisant raccourci. Son amalgame s’est alors diffusé dans Libération, ainsi que dans le livre de notre très sérieux psychanalyste. Et comme pour l’affaire Botul, peut-être y a-t-il encore d’autres victimes de la rumeur.
J’ai ainsi bien peur que Foucault n’ait jamais vraiment comparé le fist-fucking à du yoga anal. La légende était trop belle. Ce récit apocryphe lui va pourtant si bien.
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[1] Et ce n’est pas Luccio qui nous contredira ici.
[2] Au demeurant, il y a des indices laissant penser que Foucault n’appréciait pas outre mesure le type « homosexuel à moustache vêtu de cuir » : « Les homosexuels à moustache, tout pileux, sont devenus le type morphologique érotisé de l’homosexuel d’aujourd’hui. Il faut qu’il ait au moins trente-cinq ans, qu’il soit baraqué comme un joueur de baseball, qu’il ait une énorme moustache et du poil partout. À cela s’ajoute les casquettes de motard, les pantalons de cuir, les blousons, les chaînes, etc. » Jean Le Bitoux, Entretiens sur la question gay, p. 61.
[3] À Paris, si l’on en croit l’appréciable note 1 de la page 67 des passionnants Entretiens sur la question gay de Jean Le Bitoux, il connaissait également parfaitement bien les sous-sols du sauna le « Continental », situé non loin de l’Opéra.
[4] Sauf erreur de ma part, le texte ne figure pas dans les Dits et Écrits.
29 avril 2014 à 23:13 Luccio[Citer] [Répondre]
Et ce n’est pas moi qui te contredirai.
PS : je note que tu affectionnes particulièrement l’expression « lire avec un ventilateur », qui, ma foi, est très opportune.
9 mai 2014 à 14:14 V.D.[Citer] [Répondre]
J’aurais une question concernant un autre « fun fact » de Michel Foucault : sait-on s’il a vraiment été payé en haschisch pour son débat avec Noam Chomsky ?
15 mai 2014 à 9:40 Gnouros[Citer] [Répondre]
Ça, je l’ignore. En revanche, il semblerait que Foucault n’ait pas contracté le virus du sida au cours d’une orgie gay, si l’on en croit certaines sources :
27 juin 2014 à 9:35 Merci pour cet article très intéressent comme appéritif littéraire[Citer] [Répondre]
Merci pour cet article très intéressent comme apéritif littéraire. Cette approche philosophique des pratiques corporelles me plait beaucoup.
12 février 2015 à 22:18 Noblejoué[Citer] [Répondre]
@ Gnourus et Luccio que je remercie de m’avoir répondu ailleurs ce qui m’encourage à poser quelques questions.
Qu’est-ce qui ne pourrait pas être une technique de soi ? Dès qu’il y a un effort quelque part… Alors pourquoi la sexualité en général ne serait-elle pas une technique de soi et d’ailleurs existe-il une définition plus sûre du sexe que de la vie, l’intelligence et autres broutilles ?
Pour la technique de soi, dans toute pénétration, l’un doit savoir s’ouvir et dire ce qu’il veut et à l’autre savoir écouter et sentir l’autre… Des qualités importantes dans la vie.
Pour le sexe, tout peut exciter sexuellement l’un et indifférer à l’autre. Pour le fist-fucking, le pénétrant, peut s’y adonner par curiosité, désir de faire plaisir et voir le plaisir qui en déccoule sans parler du désir de dominer, un instinct, tout comme le sexe.
Tout est possible, ainsi un asexuel peut le faire, soit dit en passant, non encombré de son désir et d’autant mieux placé pour assister celui de l’autre, dominant sans le vouloir parce que celui qui ne désire pas a l’avantage, a plus forte raison si cet instinct est fort chez lui, si grand et accompli qu’il n’a pas besoin d’exsister au dépens de l’autre mais en l’accomplissant.
En en passnant, c’est comme ça que je vois le maître qui a cassé la jambe de son philosophe esclave. Je ne pense pas que c’était l’idiot qui ne se rend pas compte que je le blesse.
Un Romain, simplement, et les Romains voulaient toujours dominer, en principe, en conquérant, en administrant, en faisant l’amour. Donc je crois que le maître était désireux de se confirmer comme le maître et son philosophe comme l’esclave, objet cassable et non homme égal voire supérieur à soi par ses leçons.
Un méchant si on veut, pour ce que ça veut dire à une époque où l’esclavage était admis, où en fait il était inimaginable qu’il n’y ait pas d’esclave.
Pour moi la question est pourquoi a-t-il arrêté ? J’imagine parce que les Romains étaient sensbible à la vertu, à la force, comme le prouve qu’ils aient pu admirer l’esclave révolté Spartacus.
Donc parler de manière détachée était indispensable pour le philosophe. Une technique de soi ?
Alors soit il a crié de douleur mais a su surmonter d’avoir montré une faiblesse, ce qui était mal vu chez les Romains, soit il s’est tu, et dans les deux cas, il a fait ce qu’il fallait pour sa leçon, s’adapter à son public au prix de sa peau.
Un philosophe sincère et fort comme Zénon, un exemple pour tous les temps.
16 février 2015 à 20:43 Luccio[Citer] [Répondre]
Salut Noblejoué !
J’apprécie ces remarques de contextualisation historique, c’est intéressant. Mais je reste persuadé, et c’est sans doute un vieux fond de croyance en la nature humaine qui cause à travers moi, que le maître, quoique romain, était un brin sadique. Le plaisir pris au spectacle de la souffrance, que Montaigne nomme la cruauté, est universellement détestable (ou quasi).
En revanche ça peut se contextualiser, si l’on note que l’attitude d’Epictète permit à Epaphrodite de dépasser sa cruauté ; et l’histoire serait très belle s’il se révélait qu’il en eut été guéri (mais il semble que ce ne fut pas le cas).
L’avocat de la thèse historique pourrait affirmer que la force d’Epictète fit que son maître n’était pas si cruel (s’il n’y a pas spectacle de la souffrance, il n’y a pas cruauté).
17 février 2015 à 18:42 Noblejoué[Citer] [Répondre]
@ Luccio
Il se peut que le maître ait été sadique. Je dis juste que le texte ne me semble pas permettre de le prouver… Disons qu’il va dans ce sens mais pas à ce point.
Je suis bien d’accord avec vous sur la nature humaine mais entre ce qui nous est commun avec l’animal et entre les variations culturelles dans l’espace et dans le temps, il me parait dur à dégager.
Si on ajoute à cette difficulté celle de trancher dans les cas individuels, c’est encore plus coton.
La cruauté est difficile à voir dans les contextes où elle est valorisée, par exemple Indiens torturant leurs prisonniers.
Est-ce qu’on peut dire que tout un groupe est cruel ou la cruauté doit-elle vu comme un trait de caractère individuel ?
Est-ce que la cruauté ne se manifeste chez l’individu que hors d’un rôle admis, par exemple Romain qui se permettrait de torturer un citoyen ? Ou est-ce qu’on peut différencier le rôle « normal » du maître, dominer, et le rôle du maître qui torture non pour cela mais pour faire souffrir ? Sans parler qu’un propriétaire d’esclaves peut faire les deux simultanément.
Les relations entre instincts de dominance et cruauté m’interressent et m’amènent à vous demander ce que vous pensez de cette question.
Orwell dans 1984 « Comment, s’il ne souffre pas, peut-on être certain qu’il obéit, non à sa volonté, mais à la vôtre ? Le pouvoir est d’infliger des souffrances et des humiliations. Le pouvoir est de déchirer l’esprit humain en morceaux que l’on rassemble ensuite sous de nouvelles formes qu’on a choisies ».
Je pense que c’est vrai si je méprise un peu ce besoin de certitude : le dominant ne se met-il pas en dépendance du dominé en se demandant comment l’avilir ? Un véritable dominant ne passe pas son temps à se demander s’il l’est, il ordonne à son gré et non ce dont il pense que son dépendant ne veut pas !
Mais je voulais dire qu’il me semble que le besoin de se rassurer pour le dominant peut rendre cruel.
Ou même que le dominant peut ne pas prendre plaisir à voir souffrir mais « seulement » à être confirmé dans son statut prééminent… On me dira que c’est pareil ? Pas forcément, on pourrait imaginer que le maître ait une machine à lire les pensées et satisfait de voir que son dépendant est un bon soumis, ne le maltraite pas voire le récompense.
L’aspet politique est plus discutable : bravo pour la dénonciation de la doublepensée, du totalitarisme mais que le bourreau dise un peu plus loin que le but du Gouvernement d’Océania est d’opprimer me semble sonner faux…
Peut-être existe-il des gens qui font le mal en le sachant et en le voulant, mais je doute que de larges groupes soient ainsi constitués.
Je crois plutôt que des groupes pourris de ressentiment et avec des idées très fausses sur l’Homme et une idée du bien et du mal perverses font beaucoup de dégâts.
1 mars 2015 à 11:04 Gnouros[Citer] [Répondre]
Certaines rumeurs ont la vie dure. Ainsi, aucune trace de fistfucking chez Sade pour le récent auteur de Fist, qui s’est certainement abreuvé à la même source que tous : http://www.heteroclite.org/2015/03/fist-fucking-pour-tou-te-s/
1 mars 2015 à 17:58 Noblejoué[Citer] [Répondre]
@ Gnouros
Franchement, comment savoir où le fist a été utilisé en premier ?
Un sinologue dans la salle ? Les Chinois n’ont pas tartiné le sexe de morale si elle n’a quasiment pas d’aspect sadique (deux aspects contrastant avec l’Inde) et en récompense, pourrait-on dire, leurs textes sont nettement plus inventifs et poétiques que les nôtres.
Et les images ? Chinoises ou japonaises, elles ont une grâce, une vie qui font honte à la plupart des images d’activités sexuelles occidentales.
Donc que les Chinois aient pratiqué le fist anal ou non n’aurait rien d’étonnant mais je ne crois pas qu’il y en ait tellement parce que cette activité ne donne pas d’enfant, pas plus de plaisir que d’autres qu’ils ont bien développé et ne parait pas liée à la quête taoiste de l’immortalité.
Bon, séance de rattrapage pour l’Occident.
Entre l’incendie de la bibliothéque d’Alexandrie et la prise de pouvoir par les chrétiens, on peut imaginer qu’il y a eu des descriptions de fist dans divers textes perdus.