zemmour-le-suicide-de-la-franceIl y eut, tout d’abord, Eric Zemmour et son Suicide français en octobre 2014, qui prétendait en découdre avec « les quarante années qui ont défait la France », et régler son compte à l’héritage de Mai 68. Il y eut, ensuite, les frères Kouachi, qui, eux, liquidèrent les héritiers eux-mêmes de Mai 68, en assassinant les personnes de Charb, Cabu, Wolinski, Honoré, Tignous, à Charlie Hebdo, le 7 janvier dernier.

Les réactionnaires français, tellement réactionnaires, si réactionnaires que certains en deviennent presque malgré eux des révolutionnaires, désirant à mots couverts une nouvelle « Révolution Nationale ». Les djihadistes français − ces gens étaient tous nés en France − désirant, eux, ouvertement, en finir avec la critique de ce qu’ils considèrent être des valeurs traditionnelles.

Revolution_nationaleCharlie Hebdo n’a pas qu’un seul ennemi. Il incarne et défend un certain esprit libertaire, survivant tant bien que mal depuis Mai 68 − même si je n’ignore pas qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Sans doute était-ce bien le blasphème que nos djidhasites − je dis « nos », car ce sont nous qui les avons produits − crurent laver en cette funeste journée. Mais ce blasphème n’était rendu possible que par un ensemble de conditions ne tenant à rien d’autre qu’à une ligne libertaire, descendue à boulets rouges depuis même son apparition, par des adversaires protéiformes, dont l’une des caractéristiques communes est de baver de rage.

Aujourd’hui, réactionnaires et djihadistes se félicitent chacun de ne pas être Charlie. Ils se retrouvent chacun allié objectif de l’autre, dans une lutte pour le conservatisme qu’avait bousculé Mai 68, et que continuait d’ébranler Charlie Hebdo. Une convergence des conservateurs se dessine, entre deux idéaux de société qui, finalement, ont beaucoup plus en commun qu’il n’y paraît. Ce qui les rapproche est plus grand que ce qui les sépare.

Chacun bafoue le droit des minorités, rit du droit des femmes, hurle quant au droit des homosexuels, applaudit au retour des valeurs traditionnelles, déplore le manque de spiritualité de notre temps, se chagrine de la dégénérescence de la société, se méfie du métissage, aime l’autorité, jouit des hiérarchies, abhorre l’individualisme, célèbre le holisme, justifie la violence, s’horripile souvent du judaïsme, s’invective contre le libéralisme, déteste l’Europe, se souvient avec nostalgie des temps d’avant, considère qu’en politique la fin justifie les moyens, déteste l’autre, mais se félicite lorsque cet autre élimine un autre qu’il déteste aussi, sinon plus.

On connaît la maxime : les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Dans cette alliance, à première vue contre nature, mais au final toute naturelle, on ne sait qui sont les véritables idiots utiles. On sait malheureusement qui sont leurs victimes. En fait de « suicide français », chacun pourra s’écrier, « c’est moi qui t’es suicidé », tel Gainsbourg, que du reste aucun des deux n’apprécie.