Xavier Darcos

« Si on n’appelle pas l’uniforme le retour à la blouse grise et que l’uniforme est sous forme d’un tee-shirt siglé qui signale l’appartenance à l’établissement, je pense que ça a beaucoup d’avantages, ne serait-ce que parce que ça supprime les différences visibles de niveau social ou de fortune, et que ça met tous les élèves dans une situation d’égalité les uns par rapport aux autres. »

Xavier Darcos, ministre de l’Education, « Darcos pour l’uniforme à l’école », Libération, 16 janvier 2008

Il y a uniforme et uniforme. L’uniforme républicain, qui est cette blouse grise, le même pour tous les élèves français quel que soit le lieu, et l’uniforme anglo-saxon, qui est ce tee-shirt siglé, le même uniquement pour tous les élèves d’un établissement, mais pouvant être différent d’un établissement à un autre.

L’uniforme républicain est censé effacer les différences socio-économiques des élèves pour les placer sur un ferme plan d’égalité les uns vis-à-vis des autres et des institutions pédagogiques. Uni-forme : une seule et même forme d’expression pour des matières infiniment diverses ; un seul avatar pour des réalités multiples, irréductibles, incommensurables. Il est comme un voile de l’ignorance (Rawls) matérialisé qui agit comme un filtre, muselant les différences pour ne laisser s’exprimer que les ressemblances, bannissant tout autre pour ne laisser exister que le même. Pour être complet, il devrait aussi voiler le visage, ou au moins le rendre semblable à n’importe quel autre en uniformisant coupes de cheveux, barbes et moustaches, maquillages et piercings. Cependant, il choisit parfois arbitrairement de laisser transparaître certaines différences qui en disent long, comme, par exemple, celle des sexes : pantalon pour les garçons, jupes pour les filles. D’autres fois, c’est une certaine hiérarchie : telle couleur pour les plus âgés, telle autre pour les plus jeunes.

Cet uniforme prétend ainsi être une propédeutique à la vie républicaine, une école préparatoire à la vie démocratique. Il enseigne les signes d’une communication de l’égalitarisme, de l’égalité de traitement de chacun par chacun, malgré les différences. L’identité à laquelle renvoient ces signes est celle du citoyen républicain, cette figure abstraite faite de Liberté, d’Égalité et de Fraternité. Si la philosophie et les lettres des classes de lycée sont une pratique de l’intériorisation des valeurs et des normes de la République, l’uniforme est une stratégie de l’extériorisation de celles-ci. Tout comme le sport et l’éducation physique, l’uniforme utilise les corps comme media, comme canal de transmission, avec comme cible dernière des esprits qu’il convient de préformer aux valeurs acceptables de la société. L’objectif est atteint lorsque des adultes préconisent et vantent cette expérience auprès des plus jeunes.

L’uniforme anglo-saxon reprend quant à lui tous ces principes, sans exception, mais en les restreignant à une communauté donnée. Sa seule différence, en effet, est que cette blouse grise est cette fois-ci frappée du sceau de l’établissement, alors qu’avant, son seul sigle aurait pu être, à la rigueur, une Marianne entourée de la devise républicaine. Ici, le sigle ne renvoie plus à l’hypothétique communauté abstraite, universelle et fraternelle des citoyens français, mais à celle, peut-être plus concrète, des élèves d’un établissement. Libres, égaux et frères, mais uniquement au sein d’une communauté. Sentiment national et patriotique, mais uniquement vis-à-vis de son groupe. Refus de certaines différenciations, individuations, hiérarchisations à l’intérieur d’un groupe mais acceptation de celles-ci en dehors.

La propédeutique est ainsi ici celle du communautarisme (terme ici purement technique et entendu comme neutre, tout comme doivent l’être les suivants), de l’esprit féodal de castes, de la « corporate governance », de l’équipe de foot et de ses supporters. Enseigner à un groupe à se différencier des autres, à accepter des normes qui ne soient plus universelles mais seulement locales, à accepter une possible hiérarchie et rivalité entre un membre d’un groupe et celui d’un autre.

L’un et l’autre uniforme s’opposent tous les deux au choix par l’acteur de son identification en contraignant du dehors l’individuation au système de normes, soit républicain, soit communautariste. Non pas que, si l’acteur eut décidé lui seul de son apparence, son choix eut été libre – ce qui est naïf ; mais lui laisser cette liberté aurait été un refus d’un certain dirigisme normatif.

Par conséquent, ici, la proposition de Darcos enseigne au moins trois choses, notamment au sujet du pouvoir : 1 – l’acceptation de l’hypothèse qu’agir sur les corps et leurs apparences est un moyen de contraindre les âmes ; 2 – l’acceptation d’user de ce moyen presque machiavélique pour diffuser et faire admettre subrepticement certaines valeurs ; 3 – le choix de ces valeurs comme étant celles du communautarisme, ou au moins comme n’étant plus celle de la République. Reste à définir plus rigoureusement que par ce vague terme de « communautarisme », utilisé jusqu’ici faute de mieux, ce que sont ces valeurs et le projet de société implicitement proposé.

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