Le transcendantal
Lorsque l’on entend le mot « transcendantal », on pense immédiatement à deux personnes. Salvador Dali, qui usait abondamment de ce mot d’une façon bien particulière, mais qui relève peut-être plus de l’anecdote − quoique Dali ait lu Kant et bien d’autres philosophes, comme Nietzsche. Kant, qui fit de ce mot un usage proprement philosophique, et qui fut le premier à l’utiliser massivement dans sa philosophie : il parle en effet de philosophie transcendantale, de déduction transcendantale, de logique transcendantale, de liberté transcendantale, de sujet transcendantal, d’usage transcendantal, de réalisme transcendantal.
D’un point de vue historique, Kant hérite ce concept de transcendantal de la scolastique. Il conserve une partie du sens qui était donné, mais en même temps, il le redéfinit profondément. Au point que le transcendantal, plus que d’être un concept spécifique et technique de la langue philosophique, paraît appartenir plus spécifiquement au kantisme, tout comme le Dasein serait propre à Heidegger ou l’epoche à Husserl : un terme clef dont le sens vaut avant tout à l’intérieur d’un système.
Néanmoins, quand bien même un terme technique serait inventé pour régler un problème posé à l’intérieur d’un système philosophique, il n’en reste pas moins que, justement, il y a un problème ; problème qui, puisqu’il est philosophique, vaut évidemment en soi, indépendamment du système qui l’appréhende initialement.
Se pose donc la question, premièrement, du problème qui se posait à Kant, et qui justifiait, selon lui, d’utiliser ce terme comme il le fit. Quel est-il ? Pourquoi, au risque de parler un jargon incompréhensible comme l’en accuse Karl Popper, Kant éprouve-t-il le besoin d’utiliser abondamment de ce terme (et pas un autre) issu de la langue scolastique, qui était pourtant lui-même peu usité chez les auteurs médiévaux ?
Ce problème qui se pose à Kant est propre à sa théorie de la connaissance. Pour le dire provisoirement en quelques mots, le transcendantal est, pour Kant, ce qui à la fois rend possible les phénomènes et les lois de la nature qui les règlent, mais également leur connaissance par le sujet. Le transcendantal désigne une forme, un substrat qui caractérise les sujets, au travers duquel le réel est appréhendé, quelque chose d’incontournable, une sorte de grille de lecture de laquelle on ne peut sortir.
Quel est le statut ontologique du transcendantal ? De quelle manière existe-t-il ? En quelle façon permet-il de résoudre ce problème de la théorie de la connaissance posé par Kant ? D’où vient le transcendantal ? Est-il immuable, donné une fois pour toutes ? Ou bien se forme-t-il et possède une histoire ? Comment fonctionne-t-il ?
Tout le problème, on le voit, est qu’il est nécessaire de s’introduire dans le kantisme, puisque cette question rend Kant incontournable, mais qu’il faut également ne pas s’y enfermer, car le problème du transcendantal est plus que simplement kantien : c’est un problème philosophique. Une grande partie de l’histoire de la philosophie après Kant s’est construite à partir du problème du transcendantal, de son statut, et du rapport à entretenir avec lui.
On verra, premièrement, la place du transcendantal dans l’économie du système de Kant, puisque c’est là une question incontournable − mais tout en prenant soin de ne pas s’y laisser enfermer. Deuxièmement, on se posera la question de la genèse du transcendantal, de son statut : se pourrait-il qu’il soit, plus qu’un donné, un produit historique ? Troisièmement, on cherchera le rapport du transcendantal avec non plus l’histoire, mais avec l’évolution, avec la biologie. Que nous enseignent les sciences naturelles, qui elles-mêmes sont rendues possibles d’une certaine façon, si l’on croit Kant, par celui-ci ?
Le transcendantal kantien à l’assaut des faiblesses de l’empirisme
Pour progresser, il est nécessaire de poser le problème que se posait Kant. Dans la Critique de la raison pure, il se formule ainsi après quelques pages liminaires : à quelles conditions des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? Posée ainsi, la question paraît un peu codée et dit mal en quoi consiste réellement le problème. En fait, d’après Popper, la question à laquelle Kant veut répondre par ce détour est : comment se fait-il que la physique newtonienne soit vraie ?
Au tournant du XVIIe et XVIIIe siècles se produit une révolution scientifique dont Newton, après Galilée, est le grand représentant. Désormais, le monde et l’univers sont mathématisables. Il devient possible de faire des prédictions scientifiques d’une précision épatante. La loi de l’attraction universelle régissant la gravitation et la chute des corps est désormais connue. La question de Kant se traduit alors : comment est-il possible qu’il y ait de telles lois ? Et surtout, comment est-il possible pour l’homme de les connaître ?
Tout se passe comme s’il y avait une connaissance a priori qui était possible. L’a priori s’oppose à l’a posteriori. Je sais a posteriori que le soleil s’est levé ce matin, car j’en ai fait l’expérience. Puis-je maintenant savoir avec certitude a priori, de manière universelle et nécessaire, qu’il se lèvera demain, avant même d’en faire l’expérience ?
C’est là le problème de Kant, problème philosophique qu’il faut avoir à l’esprit, et auquel le transcendantal prétend répondre. Pour le dire en quelques mots, la réponse de Kant est la suivante. Pour reprendre l’exemple du soleil, Hume dirait que je peux savoir qu’il se lèvera demain simplement parce que j’en ai l’habitude. Or, pour Kant − comme d’ailleurs pour Hume −, l’habitude n’est pas un fondement suffisant. Pour Kant, ce qui garantit que le soleil se lèvera demain est qu’il correspond à un phénomène physique réglé par des lois. Et s’il est possible à la fois qu’il existe de telles lois et de les connaître, c’est simplement parce qu’elles sont produites par mon propre entendement, c’est-à-dire par le sujet qui perçoit les phénomènes. Si les phénomènes obéissent à des lois, c’est simplement parce que je ne peux que 1) les percevoir par ma sensibilité et 2) les concevoir par mon entendement. Pas de phénomènes sans un sujet qui les perçoit ; il n’y a phénomène que parce qu’il est perçu.
Puisque les phénomènes m’apparaissent au travers du prisme de ma sensibilité, je ne peux pas les concevoir hors du temps ou hors de l’espace : ils y sont soumis. Et puisque c’est mon entendement qui conçoit les lois, elles ne peut être que dans le langage de celui-ci, c’est-à-dire suivant les catégories du jugement, dérivées de la syllogistique d’Aristote (Kant croyait la logique une science achevée). Ces catégories sont :
- Quantité : unité, pluralité, totalité.
- Qualité : réalité, négation, limitation.
- Relation : inhérence et subsistance, causalité, communauté.
- Modalité : possible/impossible, existant/non existant, nécessaire/contingent.
Mais puisque l’expérience que l’on fait des phénomènes est la même pour tous, cela indique que ces catégories sont les mêmes pour tous. L’espace et le temps et les catégories sont ainsi tous des concepts transcendantaux.
Le terme « transcendantal » est, comme on l’a dit, hérité de la scolastique, qui voulait par ce concept dépasser les catégories d’Aristote, pour les appliquer à tous les êtres. Certaines catégories d’Aristote ne s’appliquaient en effet qu’à certaines classes d’être ; mais il est certaines catégories qui transcendent tous les êtres et s’appliquent à tous. Les catégories kantiennes sont des transcendantaux car ils s’imposent à tous, « même aux petits anges » comme le dit Schopenhauer. C’est-à-dire que tout être, quel qu’il soit, ne pourra pas ne pas percevoir et comprendre le réel autrement que par ces concepts. Il en résulte que tout ce qui est perçu, compris au travers du transcendantal est universel et nécessaire, donc certain.
Découle de cela plusieurs choses :
- La connaissance transcendantale : c’est celle qui va porter sur la connaissance des concepts transcendantaux, et c’est ce que prépare la philosophie critique.
- Le sujet transcendantal : qui est précisément ce composé des concepts transcendantaux, qui perçoit le monde au travers d’eux. Nous sommes sujets empiriques en tant que nous sommes en chair et en os, mais aussi sujet transcendantal en tant que, indépendamment de notre constitution, la forme de notre sensibilité et de notre entendement est la même pour tous les êtres.
- L’usage transcendant (et non transcendantal) : qui est l’utilisation des principes de l’entendement en dehors de son domaine légitime (c’est-à-dire les phénomènes), ce qui conduit à des erreurs de jugement, comme aux Idées transcendantales de la raison pure telles que Dieu, la liberté, le monde, l’âme − toutes idées illégitimes d’un point de vue spéculatif.
Le transcendantal est une solution permettant de remédier aux apories de l’empirisme. Dans la connaissance, quelque chose résiste aux tentatives d’explication empirique ; il y a quelque chose que l’expérience ne peut pas fournir à elle seule. Le transcendantal fournit ce qui manque à la seule expérience pour permettre d’accoucher de connaissances apodictiques. Mais ce faisant, d’autres problème se posent. Quel est le statut du transcendantal, en particulier son statut ontologique ? Est-il économique pour la pensée de poser l’hypothèse du transcendantal ? Si le transcendantal rend effectivement compte de la connaissance, comment rendre compte de celui-ci ?
Le transcendantal historique à l’assaut des faiblesses du kantisme
La première question qui se pose est de savoir ce que sont les catégories. D’où viennent-elles ? Pour Kant, il semble qu’elles soient figées, données une fois pour toutes. Le transcendantal est dérivé de la logique d’Aristote, et parce que la logique d’Aristote est considérée comme achevée car il ne peut y avoir de progrès en logique, il ne peut pas y avoir de début ou de fin au transcendantal.
Mais en fait, la logique a évolué, et il se pourrait qu’il en soit de même avec les catégories et le transcendantal. C’est ainsi l’hypothèse du néokantien Cassirer qui considère que les catégories sont avant tout des produits historiques. Il y a une formation des catégories par la culture, par les sciences, qui forment l’esprit et en changent la nature. Bachelard reprendra cette idée : ce que montrent les révolutions scientifiques, c’est le passage d’une sorte d’esprit à un autre, par des ruptures épistémologiques. Bachelard distingue ainsi trois âges : l’âge préscientifique, scientifique et du nouvel esprit scientifique. Le passage de l’un à l’autre de ces âges se fait par des sauts, qui modifient profondément les structures de l’esprit, en surmontant les différents obstacles épistémologiques propres à chaque époque. L’âge du nouvel esprit scientifique marque ainsi un changement radical de l’esprit humain, qui ne perçoit et ne conçoit plus le réel de la même manière que quelques siècles avant.
De même, l’archéologie foucaldienne peut être considérée comme une recherche sur les conditions de possibilité de la science des différentes époques, sur la recherche de leur sous-sol épistémique. Chaque époque est caractérisée par une épistémè différente qui fait percevoir et concevoir les choses différemment. Il y a des régimes de production de la vérité différents, qui agissent comme un « a priori historique », selon ses propres mots. Certaines choses sont pensables et d’autres non en raison de cet épistémè, qui en est la condition de possibilité. Par exemple, l’objet quasi-naturel qu’est la folie ne se phénoménalise pas de la même manière suivant qu’on la considère au Moyen Âge, à l’âge classique ou au XIXe siècle.
L’importance des révolutions scientifiques, des changements d’épistémè, des modifications des catégories de l’esprit a une importance majeure pour la question du transcendantal. D’après Lyotard, l’idée du transcendantal était fermement ancrée dans l’université allemande au XIXe siècle, notamment des suites de Cassirer, au point de justifier à elle seule tout le système universitaire allemand. On y cherche ainsi à totaliser le savoir, à accomplir le programme de l’Encyclopédie de Hegel, ce qui était censé constituer le sujet transcendantal. Mais au final, on échoue dans cette entreprise. D’une part, on ne parvient pas à tout systématiser, notamment les nouvelles découvertes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, comme la relativité ou les géométries non euclidiennes. D’autre part, ce récit du sujet transcendantal, censé justifier la recherche, ne parvient pas à se justifier lui-même pour des raisons simplement logiques. Si bien qu’on en vient à une crise de la modernité débouchant sur ce que Lyotard nomme la postmodernité : une explosion des récits de légitimation dont celui du sujet transcendantal faisait partie, et donc à une crise du transcendantal en tant que condition de possibilité de la connaissance. Tout possède désormais la même légitimité, au risque du relativisme. C’est cette préoccupation qui guidera Husserl et une partie de la phénoménologie dans l’idée de reconstruire une logique transcendantale afin de sauver le sujet transcendantal − à la fin de sa vie, il confessera avec regrets n’y être jamais parvenu.
On assiste ainsi à un affaiblissement de l’idée de transcendantal. Avec Kant, l’idée de transcendantal est pour ainsi dire transcendantale : le transcendantal est une réalité ontologique intemporelle et mystérieuse. Les tentatives qui veulent en rendre compte pour le débarrasser de son mystère en expliquant la genèse historique de l’esprit aboutissent paradoxalement à l’affaiblir. Cependant, il convient de nuancer, de reprendre le point de départ : malgré cette explosion du transcendantal, on constate néanmoins le fait de la science, de la connaissance, qu’il y a des faits universels et nécessaires. Ne subsisterait-il pas tout de même quelque chose de l’idée du transcendantal qui ne soit pas historique, qui serait comme irréductible ?
Le transcendantal biologique à la rescousse des faiblesses du transcendantal
Plus qu’interroger l’histoire au sujet du transcendantal, peut-être faut-il également interroger l’histoire naturelle. L’homme est un produit historique, mais également un produit biologique.
Pour Karl Popper, la connaissance scientifique et même la connaissance tout court n’ont pas de fondement. Il n’y a que des théories, des conjectures, des hypothèses. Si je vois mille cygnes blancs, rien ne m’autorise à dire avec certitude que le prochain sera blanc − alors que Hume dirait que l’habitude nous y autoriserait, et Kant qu’il y a peut-être un fondement a priori à cette règle. Pour Popper, ce n’est qu’une supposition qui demeure vraie jusqu’à preuve du contraire. Toute hypothèse n’est ainsi que provisoire, et demande à être corrigée. La connaissance procède par essais et erreurs, conjectures et réfutations, et est toujours inachevée. D’où un progrès des sciences. Les théories sont dans une rivalité darwinienne les unes contre les autres et seule la plus féconde survit.
Le rapport avec le transcendantal est le suivant. Popper distingue trois mondes : 1) le monde physique, 2) le monde des états mentaux, 3) le monde des créations intellectuelles. Lorsque je fais une théorie sur le monde, elle appartient au monde 3. Puis elle meurt et est remplacée par une autre, toujours dans le monde 3. Mais les animaux aussi formulent des théories, comme le chien de Pavlov, qui se met à saliver lorsqu’il entend la cloche : il suppose, plus ou moins inconsciemment, qu’il va avoir à manger. Or, si certaines des théories animales, celles des espèces évoluées appartiennent au monde 3, à un niveau élémentaire de la vie, les théories appartiennent au monde 1.
L’amibe, lorsqu’elle va muter pour s’approcher du soleil pour en tirer de l’énergie, formule une théorie ; si celle-ci est bonne, elle survit ; sinon, elle meurt. Si elle survit, sa théorie, qui en partie est déjà codée dans son ADN, continue d’évoluer phylogénétiquement d’individu à individu, mais aussi d’espèce à espèce, jusqu’à l’homme qui en hérite et conçoit par cet héritage. « De l’amibe à Einstein, il n’y a qu’un pas » écrivait Popper. L’oeil est ainsi une théorie de l’optique complète, fruit d’une lente évolution depuis l’aube des temps. Le transcendantal est le fruit d’une longue histoire naturelle, et tout le travail de l’éthologue Korand Lorenz fut de montrer que nos catégories, que l’a priori, que le transcendantal était le fruit de l’évolution biologique des espèces.
Puisqu’il faut conclure
On voit à quel problème important le concept de transcendantal est lié : celui des conditions de possibilité de la connaissance. Comment se fait-il que nous percevions tous un réel ordonné, réglé, identique pour tous ? Réponse de Kant : parce qu’il y a comme un substrat partagé et identique par tous à travers duquel chacun perçoit et conçoit, qui est le transcendantal.
Si la réponse de Kant résout le problème qu’il se posait, elle pose en revanche d’autres problèmes, à savoir ce qu’est ce transcendantal, son statut ontologique. Celui-ci ne semble en fait pas être immuable ; ce qui a pu pousser Kant à le supposer est sans doute un préjugé s’expliquant premièrement parce que la logique n’avait pas évolué depuis Aristote, deuxièmement parce que la physique newtonienne possédait un grand degré d’achèvement, et faisait croire à une identité terme à terme des lois de l’esprit et des lois du monde − si bien que science physique et psychologie était presque une même chose. Niels Bohr disait d’ailleurs que la physique n’est pas la connaissance des lois de la nature, mais la connaissance des lois de notre connaissance de la nature.
En fait, notre connaissance du monde n’est jamais donnée une fois pour toutes. Elle est toujours approximative, ce qui exclut déjà le fait que l’esprit applique ses règles stricto sensu au monde, que seul lui régisse les phénomènes. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de transcendantal, au sens d’un noyau cognitif partagé par tous les êtres − mais celui-ci, alors, est toujours en évolution : l’histoire des sciences le chamboule, et également les mutations des sociétés. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’il ne comporte rien d’immuable : l’évolutionnisme montre que nos catégories sont héritées de la longue histoire phylogénétique de l’homme.
D’une idée du transcendantal forte chez Kant, qui reste identique et immuable, qui réglait les phénomènes, on passe à un transcendantal historicisé et biologisé, mais qui reste néanmoins condition de possibilité de l’expérience. Kant aura ouvert une voie, et il reste ensuite aux autres sciences − en particulier les neuro-sciences cognitives − de déterminer son contenu précis ; processus dans lequel la philosophie conserve néanmoins un rôle clef en tant qu’elle et elle seule peut se placer à la croisée des sciences et en tirer les leçons philosophiques nécessaires.
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14 avril 2011 à 20:17 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Voilà un texte qui fera bien plaisir − ou pas − à certains.
14 avril 2011 à 21:50 Luccio[Citer] [Répondre]
Avant de lire ce billet et de voir si je vais avoir du plaisir. Une question essentielle : c’est Konrad Lorenz en photo ?
(si la réponse est dans l’article, vire donc ce commentaire)
14 avril 2011 à 22:00 Andreas[Citer] [Répondre]
Franchement, je trouve que c’est l’un de tes meilleurs articles. Ça m’intéresserait de savoir ce qu’en pense Luccio…
14 avril 2011 à 22:00 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
C’est bien lui : il suffisait de cliquer sur l’image pour le découvrir. Du coup, je laisse ton commentaire pour te punir par l’humiliation de ta cuistrerie dégoûtante.
14 avril 2011 à 22:01 Andreas[Citer] [Répondre]
Il s’agit bien de Konrad Lorenz.
14 avril 2011 à 22:03 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Ben c’est sympa Andreas, mais j’ai dû mal à prendre ton compliment sans y voir une petite dose d’ironie. Ou alors, c’est qu’on n’a pas les mêmes goûts ^^ (en passant, je suis plus Beatles que Rolling Stones). Reste que ça m’intéresse aussi de savoir ce qu’en pense Luccio, même si j’ai déjà mon idée.
15 avril 2011 à 9:41 Astoc[Citer] [Répondre]
Merci pour cet article Oscar. Je souhaiterais juste savoir quelque chose. Tu dis :
Comment comprends-tu le terme de « système » ? Toute philosophie n’est pas systématique. Ou alors tu prends le terme de « système » dans un sens très large…
De plus, il me semble que ton affirmation est fausse : le terme de « transcendantal » a bien un sens proprement kantien, mais Husserl (parce que c’est le premier qui me vient à l’esprit) se le réappropriera. S’il est indubitablement lié au kantisme, c’est un terme qui appartient à la tradition philosophique, son sens excède donc la seule philosophie kantienne. L’idée qu’un concept puisse avoir du sens parce qu’il appartient à un système, et qu’en-dehors de ce système il aurait une « valeur » moindre, c’est affirmer que la philosophie n’est qu’une construction abstraite et qu’elle ne tient pas sa vérité des choses elles-mêmes, c’est une forme de relativisme difficilement tenable…
Je pense que c’est la raison pour laquelle tu affirmes quelque chose qui me semble à première vue paradoxale :
Je résume ton raisonnement : Un problème se pose à l’intérieur d’un système, on « invente » un terme pour régler ce problème. Parce qu’il est philosophique, ce problème vaut « en soi »indépendamment du système…
Le problème qui se pose « à l’intérieur » du système, donc qui n’a de valeur que pour tel système, trouve une solution dans ledit système. Cette solution (le terme clef) est « inventée » et son « sens vaut avant tout à l’intérieur du système ». Mais ce problème « à l’intérieur » du système est aussi un problème à l’extérieur (en soi) du système. Pour affirmer que c’est un problème qui « vaut évidemment en soi », tu t’appuies sur le fait qu’il est « philosophique ». Bref, tu postules que parce que ce problème est philosophique, il vaut évidemment en soi. Mais si le terme clef est sensé résoudre le problème posé à l’intérieur du système, et si ce problème vaut en soi, alors ce terme clef a également une valeur en soi. Ce qui rentre en contradiction avec ta première affirmation qui dit que ce terme reçoit un sens qui « vaut » avant tout à l’intérieur d’un système.
Bref, afin d’illustrer ma position par un exemple concret, lorsque Heidegger parle du « Dasein », ce n’est pas un terme qui a du sens parce qu’il est à l’intérieur d’un système, c’est un terme qui a du sens parce qu’il est arraché à la chose-même, au phénomène lui-même. Il ne s’agit donc pas là d’une construction abstraite de l’entendement ou je ne sais quoi, qui sortit de la philosophie heideggérienne n’aurait plus aucun sens.
Tu es toi-même contraint d’admettre que puisqu’il est philosophique, le problème vaut évidemment en soi… Or, soit tu admets que le terme clef est une invention, qu’il n’a de sens qu’à l’intérieur d’un système et donc dans ce cas que « le problème ne vaut pas en soi » ; soit que le problème a une valeur en soi, mais alors le terme clef n’est pas une invention, il provient du phénomène lui-même et son sens ne lui est pas « donné » par le « système » dans lequel il s’insère.
Ou alors j’ai rien compris…
15 avril 2011 à 10:41 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Astoc, merci pour ton commentaire. La toute première partie du texte, qui se voulait surtout introductive, est très, trop rhétorique et je ne pense pas qu’elle soit particulièrement réussie : pour preuve, elle semble poser plus de problèmes qu’elle ne permet d’en résoudre (ou au moins d’en clarifier). Je veux bien croire qu’il puisse exister quelques ambigüités.
Ce que je voulais dire en disant que le « transcendantal » est un terme propre au kantisme, c’est avant tout, pour reprendre la distinction usuelle entre signifiant et signifié, que c’est justement un signifiant peu commun et peu usité que l’on ne trouve pratiquement que chez Kant et chez certains auteurs médiévaux, puis par suite qui se répand et connait une certaine fortune, notamment, comme tu l’as dit, chez Husserl.
Cependant, bien que le « transcendantal » soit avant Kant comme une sorte d’hapax philosophique du point de vue du signifiant, il n’en demeure pas moins que le problème qui occupe Kant, c’est-à-dire cette fois-ci le signifié du terme « transcendantal », soit un problème objectif qui, en tant qu’il est philosophique, dépasse le kantisme. Néanmoins, là encore, il n’est pas dit que ce problème fut pensé et formulé de la manière que Kant avant Kant : Hume, bien que préoccupé d’une certaine façon par la même question de la validité de la connaissance a priori, ne résout pas le problème de la même manière. C’est précisément pour cela que Kant est l’une des grande figure de la philosophie : parce que sa solution est « originale », novatrice.
Ainsi, tant du point de vue du signifié que du signifiant, le transcendantal apparait au moins au départ comme proprement kantien. Mais tout le sens de l’article était de montrer comment le terme échappe ensuite au seul kantisme, pour la simple raison que la question qui lui est liée et à laquelle le transcendantal tente d’apporter une réponse est philosophique. Ce problème, c’est celui que Kant construit, et qui se formule par la question : « comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? », ou plutôt : « comment se fait-il que la physique de Newton soit vraie ? » qui possède une réalité objective, qui est proprement philosophique et appartient à la tradition. Ce problème se formule en premier lieu à l’intérieur du kantisme, et c’est pour y répondre que Kant en vient à théoriser la question du transcendantal. Mais il le déborde et devient un question philosophique majeure.
Ou plutôt, pour le dire peut-être plus simplement, si la question « comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? » est peut-être avant tout propre au kantisme, le problème qui a fait que cette question fut posée qui est « comment se fait-il que la physique de Newton soit vraie ? » implique quant à elle des enjeux qui dépassent le seul cadre du kantisme.
Quoi qu’il en soit, je pense qu’il ne faut peut-être pas trop se formaliser sur ce problème, car il me semble, à moins que je me trompe, qu’elle se pose avant tout en raison des maladresses rhétoriques du texte.
PS : Dans la phrase que tu cites au tout début de ton commentaire, je pense que « système » pourrait être avantageusement remplacé par « philosophie » ou « pensée ».
15 avril 2011 à 12:31 Andreas[Citer] [Répondre]
Oscar : les Beatles sont bien meilleurs que les Rolling Stones ! – Pour en revenir à ton article, j’apprécie : le fait de retracer toute une portion de l’histoire de la philosophie de manière claire et concise. Bien entendu, je comprends ton insatisfaction. Le format de ton texte ne permet pas de rendre justice à tous les travaux que tu abordes. Mais l’essentiel était de donner une image d’ensemble.
Bien entendu, le problème du « transcendantal » (déterminant pour les « conditions de possibilité de la connaissance ») n’existe pas « en soi », mais en vertu d’une tradition qui s’est durablement prolongée. On peut chipoter sur ta rhétorique, mais les choses sont quand même relativement simples… Le seul défaut est, à mon sens, le suivant : les limites historiques du cadre problématique défini pourraient gagner en clarté. Il faudrait aborder certains travaux qui se placent volontairement à l’extérieur de cet axe de recherche – on peut penser à ces charlatans qui parlent de la « Différance » ou « Différence », mais également à des contributions plus nobles (comme le pragmatisme).
Tu montres suffisamment comment le « transcendantal » est mis à mal, mais insuffisamment pourquoi certains considèrent que les questions posées par ce concept ne sont plus du tout incontournables. Au final – simple suggestion – pourquoi ne pas écrire une suite à cet article dans ce sens ?
15 avril 2011 à 13:59 Astoc[Citer] [Répondre]
Merci pour cette réponse Oscar ! On touche ici à une question relative à la lecture de la tradition philosophique. Comme tu l’as rappelé, la question du « transcendens » est une question scolastique dont Kant hérite, mais bien qu’il redéfinisse profondément le terme, en reprenant ce terme il reste dans la tradition. A ce qu’il me semble, ce terme a une grande importance chez Thomas d’Aquin puisque sont transcendants les caractères d’être communs à tous les étants (pas sur de cette définition, souvenir de cours…). Lorsque cette question prend place dans une « philosophie théologique », ce n’est pas une question anodine. Bref, Kant pense le transcendant au sein de la problématique scolastique. A mon sens, l’originalité de Kant réside dans une conscience plus profonde des problèmes philosophiques suscités par le « cogito » cartésien, et c’est celle-ci qui l’amène à formuler l’idée d’un « Je transcendantal ».
Andreas, je te cite :« Bien entendu, le problème du « transcendantal » (déterminant pour les « conditions de possibilité de la connaissance ») n’existe pas « en soi », mais en vertu d’une tradition qui s’est durablement prolongée. On peut chipoter sur ta rhétorique, mais les choses sont quand même relativement simples ».
Les choses sont à mon sens extrêmement complexes… Pourquoi le problème du transcendantal n’existerait-il pas « en soi » ? Je veux dire par là qu’il se pourrait que nous ayons, par ce terme de « transcendantal », un phénomène « réel ». Dans une tradition métaphysique, le sujet est compris comme un Je clos sur lui-même, tradition qui trouvera son aboutissement dans le « Moi » transcendantal tel qu’il est thématisé par Kant puis par Husserl (alors que ce dernier l’avait rejeté dans les Recherches logiques).
Heidegger renouvelle ce questionnement du transcendantal en insistant sur le fait que le Dasein est être-au-monde, c’est-à-dire qu’il est ouvert à l’être, et qu’il ne peut authentiquement se comprendre comme un sujet clos sur lui-même. La transcendance devient de ce fait un phénomène « réel » puisque, ce phénomène compris plus originellement (c’est-à-dire ontologiquement), devient la marque même de l’être-au-monde. Le terme de « transcendant » est bien un terme de la tradition philosophique, mais par ce terme est indiqué quelque chose de la chose même, en l’occurrence du Dasein (de l’homme) lui-même. Comprendre comment le terme de « transcendantal » fait son apparition, ce qui se tient sous ce terme et ce qu’il nous dit est une tâche qui semble bien ne pas être si simple que ça… Si Heidegger abandonne ce terme, c’est bien parce qu’il est trop chargé par la tradition, cela n’enlève rien au fait que par ce terme quelque chose est pensée.
Les questions posées par ce concept ne sont, du moins d’un point de vue phénoménologique, pas contournables !
16 avril 2011 à 12:48 Andreas[Citer] [Répondre]
Astoc : je te l’accorde – les deux phrases que tu cites sont un peu expéditives. Disons qu’on peut quand même suspendre son jugement concernant la valeur « en soi » du problème du transcendantal. Et puis l’article d’Oscar invite surtout à observer les succès et échecs historiques d’un certain axe de recherche. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas affirmer que toutes les branches de la philosophie sont soumises à un même cadre problématique. C’est justement pourquoi les manières d’écarter les « faux-problèmes » ou de définir les « problèmes véritables » diffèrent tellement.
3 octobre 2015 à 23:16 Murcie[Citer] [Répondre]
Salut,
Je découvre le site, et j’apprécie beaucoup, à chaque page, la référence à Littré: « même entre les gens de bon ton. »
Quatre ans ont passé depuis la rédaction de cet article, mais je poste tout de même un commentaire – ce qui n’est pas gênant, je l’espère, concernant un « problème en soi ».
Mon idée est que vous comprenez mal le transcendantal de Kant et que vous l’énoncez plus mal encore.
Et, si je peux me permettre, je sens que c’est parce que la science et la « philosophie » elle-même, dans laquelle, à notre drôle d’époque, nous baignons quasi depuis l’enfance, vous rend peu capable de comprendre le geste de Kant.
Mon sentiment s’appuie sur ce passage, que je cite:
« malgré cette explosion du transcendantal, on constate néanmoins le fait de la science, de la connaissance, qu’il y a des faits universels et nécessaires. »
Selon moi, qu’on puisse finir un exposé sur Kant en disant « on constate qu’il y a des faits universels et nécessaires » c’est proprement inouï.
Je crois justement que Kant nous apprend que tout fait scientifique résulte d’une science construite (constructivisme), de catégories adoptées par nous pour percevoir le fait en question. Mais il n’est nullement nécessaire de le voir comme un fait sociologique, ou biologique, physique, psychologique, psychanalytique, neurologique, narratologique, etc.
Or pour vous, on dirait, tout au long de votre exposé, que le transcendantal n’est qu’un fait imposé à tous les hommes, du type: je ne peux pas faire autrement que concevoir comme ci, comme ça, etc. Une sorte de structure humaine coercitive, en chacun de nous, que Kant aurait découverte en philosophant.
Le transcendental, c’est le contraire, c’est la liberté, quoique limitée, de l’homme, du sujet singulier. C’est l’autonomie, pas la soumission. Donc la manière de vous exprimer en disant que le transcendental est ce qui est de l’ordre de la soumission en nous, ne convient absolument pas.
(Et en fait on dirait que le transcendantal, on le trouve déjà UN PEU chez Descartes, cogito. Je sais que Husserl ou Philonenko ont écrit là-dessus).
Mais Kant avance que l’homme est libre de voir le monde qui l’entoure comme il l’entend, librement. Il avertit son contemporain en lui disant: Si tu choisis librement de penser de telle ou telle manière, tu verras la réalité ainsi de telle ou telle manière. Exemple: Si tu veux croire, librement, qu’il y a dieu, (cf Descartes) tu vas avoir une vision religieuse du monde.
Or Kant, si l’on peut dire, il croit librement qu’il y a un bon chemin pour l’humanité, et c’est aux Lumières, au progrès de la connaissance scientifique, au Bien de l’humanité par les sciences qu’il pense quand il pense à ce bon chemin.
Il propose, dans le but d’améliorer l’humanité, un discours visant à édifier une « scientifisation » (barbarisme?) rationelle du monde. Il dit: Si tu penses librement selon les sciences empiriques du temps, alors tu vas avoir une vision du monde comme connaissable empiriquement, et cela c’est connaître, c’est améliorer la condition de l’humanité.
Vous paraissez ignorer que Kant ne fait que proposer aux empiristes, je veux dire aux praticiens, une sorte de projet de droit écrit des sciences: il propose de codifier et d’institutionnaliser une pratique qui existait déjà, précisément chez les empiristes.
Et s’il fait ce projet, c’est qu’il pense que ce que font les praticiens, c’est très bien pour l’humanité, c’est précisément la bonne manière de faire de la science. (Et si la CRP est si difficile au début, c’est parce que Kant invente librement des concepts pour servir son projet.)
Mais si on réfléchit posément, sans vouloir forcément le bien du monde entier, avec ce mot de transcendantal, avec ce vocable grandiloquent, qui cherche-t-il à duper? Sa philosophie de la science n’est en fait rien moins qu’apodictique: ce qu’il propose, c’est seulement le parti-pris d’un bon scientifique qui voudrait améliorer le monde par la science, rien de plus.
Ce parti-pris d’améliorer le monde par la science, le partage-t-il avec d’autres hommes, là est plutôt la question. En tous cas bon nombre d’hommes ne le partagent pas. La science, nous nous écroulons avec elle, alors que nous sommes bien libres de ne pas nous écrouler. En chantant par exemple, pour se donner du coeur !
Salut,
Murcie
7 octobre 2015 à 14:58 Luccio[Citer] [Répondre]
Chers amis : mon Dieu, j’ai les boules.
Une somme d’intelligence a disparu d’un coup.
Voici alors la version synthétique, concentré sur la réponse à Murcie.
Murcie, merci d’avoir commenté, et désolé si tout n’est pas clair.
1.a)Certes le transcendantal chez Kant est une tâche (un « écrire droit » comme vous l’avez bien dit), et sans doute n’eut-il pas été vexé de voir venir les géométries algébriques non euclidiennes corriger les analyses qu’il a proposé de l’espace et du temps, et plus particulièrement de la façon dont l’entendement doit les saisir.
b)Déjà Kant aurait-il pu être plus kantien, et ne pas oublier que ce qu’il écrit dans l’Esthétique transcendantal : représenter le temps suppose de le représenter comme espace. Ainsi, lorsqu’il écrivit les Premiers principes métaphysiques d’une science de la nature, peut-être ne serait-il pas contenté de rajouter le concept a priori de corps à ses formes transcendantale, pour produire sa « véritables métaphysique de la nature corporelle » (Ak IV, 472, pléïade t.III, p.369). Il aurait pu ajouter celui de temps-espace, puis celui d’influence du corps sur l’espace. Mais je m’en veux de reprocher à Kant de n’avoir pas été Einstein.
c) Toujours est-il que la tâche a des airs de formes à respecter, du moins des formes-guides, et le Transcendantal glisse-t-il de la tâche (qui cherche ses formes ; troisième Critique, Réponse à Eberhardt) au guide (Opus Postumum).
2.a) Dès lors les précisions sur l’apriori de nos connaissances (concepts et perception) renvoient-elles davantage à l’a priori de Leibniz qu’au transcendantal de Kant. Mais à trop sauver Kant, on peut oublier que le transcendantal n’existe pas en dehors du langage (philo analytique classique), de l’histoire, de la biologie : voir l’article d’Oscar, ou le dernier chapitre de Les Mots et les Choses.
Et comme je regrette de mal connaître Cassirer ou Searle.
b) Toutefois je me résigne que difficilement à abandonner le transcendantal, et avec lui la possibilité de penser une objectivité différente de la vie d’un radeau fait de bric et de broc flottant sur le grand fleuve du devenir.
3.a) Argument pour le côté substrat : à partir de ses notions de « cause », « effet » et « temps », Kant retrouve une définition de la liberté, dite « transcendantale » : être une cause non temporelle pour des effets dans le temps (voire Critique de la Raison pure, dialectique transcendantale). Cette liberté est compatible avec la morale, elle-même pensable sous forme de loi universelle. Le transcendantal de Kant permet de dégager non pas moins que ce qui fait toute la valeur de l’univers : la morale.
a-bis) Réponse possible dans les valorisation de la 3ème Critique.
b) « Cause », « loi universelle » ou « temps » ont évolué ; et peut-être pourrait-on mettre à jour la métaphysique des moeurs, maintenant que s’est faite plus naturellement la mise à jour de la métaphysique de la nature.
Certes la phénoménologie découvre des essences dans la seule éthique, évacuant cet effort de rationalisation opéré par Kant, mais on pourrait rêver d’un effort à la Ruyer (ou à la Cassirer ?) — à partir des catégories de la physique et de la biologie — pour concurrencer le prodigieux travail phénomén-ontolog-éthique de Levinas.
4.a) M’enfin la mode est à penser à partir des catégories de la sociologie et du langage (et dans ce domaine le bon Derrida et sa différAnce est loin d’être le plus mauvais), comme si la métaphysique n’était que méta-sociologie. Quel petit monde étroit ; où le « genre » devient l’outil fondamental de toute recherche (la méta-sociologie oubliant la méta-économie et la méta-esthétique : les pauvres et les moches aussi en prennent plein la tête).
b) Je comprends que les pragmatiques préfèrent alors étudier nos émotions et comportements, supposant au passage que le doublet pensée-intuition n’est pas une bonne opposition, que l’objectivité est un concept dont l’unité est plutôt nominale que réelle, et donc que le Transcendantal est surtout superflu, plutôt que daté.
D’ailleurs les phénoménologues ne s’y sont pas trompés, ils vont y chercher leurs nouvelles catégories (transcendantales).
Bonne journée !
8 octobre 2015 à 11:18 Gnouros[Citer] [Répondre]
Si je puis me permettre de rajouter quelques remarques à celles de Luccio (que je n’ai pas toutes comprises), je dirais que, après réflexion, il me paraît difficile de soutenir une lecture subjectiviste du transcendantal kantien. Par lecture subjectiviste, j’entends un point de vue qui considérerait que les catégories de l’entendement et tout le bazar n’existent pas dans l’absolu, mais sont en réalité des pures constructions utiles pour appréhender le monde, qui ne sont que contingentes et arbitraires, qui auraient pu aussi bien être toutes autres. Je pense au contraire que Kant imaginait tout cet attirail comme existant objectivement, et devant nécessairement se présenter sous cette forme, sans aucune liberté de pouvoir être autre. Pour déduire les catégories, Kant part de la syllogistique d’Aristote, qu’il imagine comme étant arrivée à une perfection apodictique (cf. la Seconde préface). La vérité absolue, universelle, nécessaire, certaine, immuable est dans la logique. Par quel mystère ? Simplement parce qu’il s’agit des lois de l’esprit, qui ne peuvent être autres. Par lois de l’esprit, entendons évidemment le sujet transcendantal, et non empirique. Nous ne pouvons pas penser en dehors de ces catégories, le monde ne nous apparaît qu’au travers d’elles. La science en est ainsi toute dépendante. C’est ainsi que Kant, dans les Premiers principes de la science de la nature parvient, Ô Miracle !, à déduire entièrement a priori l’ensemble des postulats de la physique newtonienne.
8 octobre 2015 à 18:27 Noblejoué[Citer] [Répondre]
@ Gnouros et Luccio
» La vérité absolue, universelle, nécessaire, certaine, immuable est dans la logique. Par quel mystère ? Simplement parce qu’il s’agit des lois de l’esprit, qui ne peuvent être autres. Par lois de l’esprit, entendons évidemment le sujet transcendantal, et non empirique »
Donc la vérité absolue sert à montrer qu’il y a un sujet transcendant et le sujet transcendant qu’il y a une vérité absolue ? C’est bien ça ? Je ne trouve pas que ce soit convainquant.
8 octobre 2015 à 18:31 Noblejoué[Citer] [Répondre]
Pardon, je voulais dire sujet transcendental…
8 octobre 2015 à 19:38 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Effectivement, on pourrait soupçonner une circularité. Mais, pour reprendre le même vocabulaire que Kant sur un autre thème, la logique est la ratio cognoscendi du sujet transcendantal, et le sujet transcendantal la ratio essendi.
8 octobre 2015 à 23:06 Noblejoué[Citer] [Répondre]
Donc le sujet transcendental est premier ? Donc non circularité. Mais l’existence de cette chose ne semble pas prouvé. Ni empiriquement, sinon à mon avis on n’essairait même pas de le prouver en raisonnant, ni par la raison, justement.
» Pour déduire les catégories, Kant part de la syllogistique d’Aristote, qu’il imagine comme étant arrivée à une perfection apodictique ».
Si j’ai bien compris (!?)Kant imagine que si on raisonnait comme Aristote mais drôlement mieux (!? Bon courage, d’ailleurs la philo serait-elle cumulative comme la science pour se perfectionner ?! qu’est que les philosophes en pensent ?)si on raisonnait parfaitement on prouverait l’existence de ce fameux esprit transcendental.
A moins que Kant ne pense raisonner comme ça, parfaitement, justement ?
Mais sinon, s’il n’est pas capable de raisonner si bien et a fortiori que ses lecteurs le fassent, il me semble qu’il n’en appele en fait qu’à leur confiance ou leur envie de croire à la perfection, ou les deux.
9 octobre 2015 à 11:23 Luccio[Citer] [Répondre]
Le transcendantal, pour s’en faire une image, on peut utiliser la sémantique freudienne : ça pense.
Mais ça pense de manière organisée, dans l’espace et le temps, en utilisant des outils conceptuelles comme la substance.
Le transcendantal n’est pas dans l’espace et le temps, on ne peut l’y apercevoir ; on ne peut apercevoir que ses résultats. Car il forme l’expérience, et n’en est pas un produit.
Un de ses résultat est notre expérience, que nous percevons avec une certaine unité. Mais cette unité se limite à une proximité spatiale et temporelle, autour de nos pensées conscientes.
Un résultat plus intéressant est la science, où l’unité de notre expérience ne dépend pas seulement de l’espace et du temps, mais aussi de l’association de concepts abstraits (notamment à partir des perceptions), donc tu travail de l’entendement. Et Kant de préférer les sciences les moins historiques possibles, comme la physique, à laquelle il ne manque que le concept empirique de « corps » pour l’exercer (d’après Kant).
Enfin, pour ce qui est des concepts préférés du sujet transcendantal, il suffit d’étudier la science du raisonnement : la logique. Or Kant part de la logique de son temps, qu’il juge bien achevée, celle d’Aristote. Et de la table des jugements, il tire la table des catégories.
Malheureusement pour Kant est apparue une physique à laquelle il faut aussi ajouter les concepts d’espace-temps, ou de vitesse absolue de la lumière. Pire, certains osent dire que la physique fonctionne surtout avec des concepts historiques.
Pire du pire : la logique aussi à une histoire, comme les démonstrations scientifiques. Et les formes mises en avant par Kant pour définir l’activité transcendantal rationaliste (l’entendement) se révèlent peut-être défaillantes.
Dès lors le transcendantal de Kant n’a pas été bien découvert.
Encore pire, certains critiquent ses analyses sur la perception dans le temps et l’espace (la sensibilité).
Alors différentes voies s’offrent. On peut y renoncer. On peut essayer de l’actualiser, à partir des sciences et recherches contemporaines. Certains le font, mais en limitant l’actualisation à leur discipline ; si en plus ils s’opposent à l’idée du transcendantal, ils parlent d’épistémè, forcément historique. Et d’autres recherchent toujours le transcendantal ; par exemple Hegel le fit avec un autre outil que l’analyse des sciences, avec la contradiction et de ses dépassements (la négation) ; et il paraît que Husserl le fait avec des intuitions ; et Cassirer aurait essayé en recherchant les structures communes à diverses activités.
De ce point de vue, le transcendantal est un point focal- guide d’analyse, et la version qu’en offre Kant demeure assez cohérente et intéressante pour servir de point de départ, notamment dans des domaines où l’on n’a plus besoin d’une grande précision sur la forme du transcendantal, comme la morale, l’esthétique ou la politique.
9 octobre 2015 à 20:14 Noblejoué[Citer] [Répondre]
» Cassirer aurait essayé en recherchant les structures communes à diverses activités »
Idée comme ça : est-ce que le structuralisme ne pourrait pas dériver du transcendental ?
» De ce point de vue, le transcendantal est un point focal- guide d’analyse, et la version qu’en offre Kant demeure assez cohérente et intéressante pour servir de point de départ, notamment dans des domaines où l’on n’a plus besoin d’une grande précision sur la forme du transcendantal, comme la morale, l’esthétique ou la politique. »
Après avoir servi en philo et science, le transcendental serait recyclé dans ce qui est aussi imprécis que lui ? Avec l’idée qu’en somme peu importe le manque de fiabilité : c’est beau, c’est inspirant, c’est une sorte de muse.
Idée de titre de livre : la muse transcendentale.
C’est bizarre, ce transcendental hors du temps qui agit dans le temps fait penser à Dieu, la logique parfaite au logos, du non prouvé qui devrait servir de modèle au reste au monde des idées.
Est-ce que par hasard ça ne servirait pas à réconcilier Platon et Aristote et laiciser des idées chrétiennes ?
J’y pense, Gnouros et vous pourriez écrire une histoire du transcendental, avec votre style si vivant, genre antécédents, construction et déclinaisons… L’histoire d’une chose permet de la mieux comprendre sans compter qu’elle apprend aussi des notions, évenements, enfin aussi des trucs connexes. Mais sur le mode ludique, vous seriez plus lu, je crois que dans un PUF.
Et comme ça, si vous avez des idées bien à vous sur le transendental, le lecteur, public captif, les apprendra, non mais ! J’imagine que vous pourriez éventuellement le faire sous forme de dialogue aussi vivant mais moins déséquilibré que ceux de Platon (pourquoi tu me poses une question si évidente crétin ? C’est pour pouvoir aérer le texte, eh oh, on ne se moque pas de son faire-valoire, dis.)
Bon, en tout cas, déjà merci pour votre blog.
15 octobre 2015 à 20:52 Murcie[Citer] [Répondre]
Salut chers correspondants,
Merci de vos réponses. J’y réponds à mon tour dans ce développement, un peu sentencieux je le crains.
Simples distinctions:
Qui niera que la constitution d’une vérité objective, qui puisse être reçue identiquement par tous les hommes, DOIT, EN DROIT, reposer sur un SUJET TRANSCENDANTAL ?
Kant a essayé de proposer un tel sujet transcendantal, en utilisant la METHODE TRANSCENDANTALE, celle qui remonte DU FAIT des jugements synthétiques a priori AU DROIT de la raison humaine.
Aujourd’hui, CETTE QUESTION, comme tu l’as dit Luccio, occupe encore certains philosophes, qui poursuivent et tentent d’améliorer la définition du sujet de la science, et par consséquent ils se réclament de cette méthode transcendantale.
Mais, aujourd’hui encore, d’autres philosophes se donnent d’autres objets que la constitution de l’objectivité, et certains pensent que le rapport des hommes à la science, dans bien des cas, n’est pas HUMAIN.
Par exemple, je lis de F.Alquié, « La conscience affective ».
Par exemple encore, la pensée, ô combien plus proche de nous, à mon sens, de BACHELARD, écrivant « Le droit de rêver », écrivant aussi des traités sur la science moderne (celle ayant lieu depuis Einstein, en effet).
Voilà, selon moi, ce que fait Bachelard avec Kant:
Il garde l’idée kantienne de l’épistémologie: d’une pensée transcendantale, d’un poste d’observation de la pensée situé hors des sciences constituées. Mais en montrant que les sciences changent à travers l’histoire (césures, épistémè), il écarte la FIXITE du sujet transcendantal kantien.
Si je m’appuie ici sur Bachelard, ce n’est pas par hasard: voici d’après moi un homme qui a certes aimé les sciences, mais qui faisait des recherches philosophiques bien au-delà d’elles, en s’appuyant sur les traces, dans la culture, de la conscience non objective mais affective, du vécu non rationalisé par l’objectivité kantienne des catégories.
Donc, en effet, il ne faut pas faire une « lecture subjectiviste » des catégories du sujet transcendantal: elles sont, par définition et par méthode, fondées comme étant la base de l’objectivité requise à la fois en science, et, de plus en plus, dans nos comportements quotidiens (lieux ou situations, où des catégories viennent régler, selon la logique du contrat, nos actes pour plus de « transparence »).
Mais n’allez pas dire à celui qui vit pour l’affectivité et cherche à la « cultiver », à la faire « fructifier » (le sentiment, l’émotion, le plaisir et la douleur, la joie et la peine, le chant et les pleurs, l’angoisse, le rêve, l’expérience d’écriture poétique, etc) à celui comme Mallarmé qui semble s’interroger et souffrir dans l’angoisse de la feuille blanche par exemple, n’allez pas lui dire que sa subjectivité relève d’un SUJET TRANSCENDANTAL DETERMINE. Il ne veut pas faire des sciences, il cherche à « cultiver » ce qu’il sent. Et Mallarmé le montre, il y a une théorie, une pensée poétique ordonnée à cette fin. Seulement, elle est personnelle.
Or si j’écris sur ce sujet, c’est d’abord, évidemment, par un désir de cette vie apparentée au « culte du moi » (un moi qui souffre autant, sinon plus, qu’il ne jouit)
mais surtout parce que je constate autour de moi que cette approche de la vie se fait de plus en plus rare, quand au contraire le mode de vie rationnel, objectif, est de plus en plus envahissant. Nous sommes peut-être tous plus ou moins conscients qu’il y a un fond d’affectivité en nous, mais je vois souvent que, sans méditer, sans « cultiver » ce fond par des activités appropriées, on s’empresse de réagir rationnellement, de faire usage des sciences dans nos jugements, d’agir en fonction d’un « état objectif » du monde, etc.
Un certain sujet transcendantal, tel que pensé par une certaine idéologie scientifique, me paraît justement un des obstacles les plus insidieux à une vie profonde et libre.
Un certain Kant est enseigné, dans les classes ou dans les livres, sur un mode portant parfois à la vénération, comme une religion de la conscience rationnelle. J’en fus certainement la victime à un certain moment de mon existence.
Je refuse donc de faire de ce Kant un maître à penser, et d’imposer l’objectivité aux individus. Kant, peut-être malgré lui, me semble prêter à cette dictature de l’objectivité.
Réactions ?
Salut à tous !
16 octobre 2015 à 13:07 Luccio[Citer] [Répondre]
Peut-être est-ce sentencieux, mais c’est très clair. Merci bien.
16 octobre 2015 à 17:04 Gnouros[Citer] [Répondre]
Ce débat n’est pas nouveau. C’était déjà cette question qui opposait Cassirer et Heidegger lors des conférences de Davos. On en trouve un résumé très clair dans la Préface d’Alain Renaut à son édition de la Critique de la raison pure de Kant. Dans ce débat, Renaut tranche pour Cassirer. J’ai bien peur d’en faire de même.