Le training autogène est une « méthode de relaxation par auto-décontraction concentrative », élaborée à partir des années 1910 par le psychiatre allemand Johannes Heinrich Schultz. À ne surtout pas confondre avec Papa Schultz : J. H. Schultz, qui vécut de 1884 à 1970, rencontra Jaspers, Freud et Binswanger ; le Sergent Hans Schultz rencontra surtout des problèmes − qu’il n’eut peut-être pas rencontrés s’il avait utilisé le training autogène.

« Le principe de la méthode du training autogène est d’induire par des exercices physiologiques et rationnels déterminés, une déconnexion générale de l’organisme qui, par analogie avec les anciens travaux sur l’hypnose, permet toutes les réalisations propres aux états authentiquement suggestifs », nous dit Schultz dans son ouvrage épais, long, volumineux, écrit petit et, il faut bien le dire, un peu ennuyeux à lire.

Ouvrage épais : près de 400 pages. Parmi elles, la description de la méthode du training autogène n’en occupe qu’une petite quarantaine. Tout le reste [1] n’est que description d’applications de cette méthode, exposition de cas désespérés mais traités et guéris par son aide, témoignages de remédiations miraculeuses.

Car le training autogène promet mille et une choses. Il agit sur les trouves vasomoteurs, cardiaques, sur l’hypertension artérielle, l’asthme bronchique, les perturbations fonctionnelles de l’appareil digestif. Il peut faire quelque chose quant à la tuberculose pulmonaire et des troubles fonctionnels divers : gynécologiques, dermatologiques, otologiques, etc. Il fait espérer un mieux aller concernant les états névrotiques anxieux, les troubles affectifs réactionnels, les dépressions névrotiques, le sentiment d’insécurité, les angoisses de situation, les névroses phobiques, les troubles du sommeil, les céphalalgies, les névralgies, les états de déséquilibres sexuels, les toxicomanies. Il traite les adolescents psychopathes, les troubles psychomoteurs (tels que tics et bégaiements, les tremblements), les états dépressifs psychotiques, les schizophrénies [2]. Tout ce catalogue de cas n’est évidemment pas là à des fins rhétoriques, mais au contraire parce que la méthode se veut scientifique, expérimentale : il faut des faits.

Pour qui maîtrise le training autogène, les difficultés et trépidations de l’existence quotidienne ne sont plus que l’occasion de démontrer qu’elles n’en sont pas, par la simple application de ce savoir-faire, encore plus que pour un sage stoïcien d’affronter la mort, fut-il Épictète ou Marc-Aurèle. Comme l’écrit Schultz, « citons cet exemple particulièrement émouvant tiré du protocole d’une patiente juive, âgée actuellement de 55 ans » :

J’avais en 1929 suivi un training autogène et j’ai pratiqué la relaxation quotidiennement durant plusieurs années. Je supportais plus facilement et plus longuement fatigues et efforts. J’eus cependant l’occasion d’utiliser le training en une période particulièrement critique de ma vie.

Victime de la persécution raciale, j’eus à traverser sous Hitler des temps d’épouvantables angoisses. Mais toujours la décontraction me permit, lorsque le danger était passé, de retrouver ma tranquillité d’âme et d’accumuler ainsi de nouvelles énergies. En 1942, je dus quitter ma maison pour ne pas être déportée et je me trouvai en danger de mort imminente. Je vécus alors, pendant deux ans et demi, dans l’illégalité, au milieu des dangers, d’angoisses et privations ; par exemple, je devais rester seule dans l’obscurité d’un appartement à chaque bombardement. C’est alors que le training autogène montra toute son efficacité. Je ne sais pas si j’aurais pu faire face à ce retour constant de l’horreur, car ce n’était pas seulement la bombe que je redoutais, mais je craignais surtout d’être blessé et par là même de créer des difficultés importantes aux personnes qui m’hébergeaient pour me sauver de la Gestapo.

À chaque début d’alarme, je sentais monter en moi une angoisse épouvantable, mais chaque fois également, je réussissais à la rendre supportable par des exercices de décontraction. Je pouvais ainsi devenir très calme, hors de toute crainte, jusqu’à ce que l’attaque soit à proximité immédiate. À ce moment-là, le training ne pouvait naturellement plus m’aider mais dès que l’attaque s’éloignait, je retrouvais très rapidement mon calme intérieur.

Je passai les derniers jours et les dernières nuits de la guerre dans un bunker de Berlin : sans nourriture, dans des conditions hygiéniques indescriptibles, et avec la certitude qu’on nous ferait sauter quand la position deviendrait indéfendable. Le commandant, ayant été fusillé par ses propres hommes, ceci n’arriva heureusement pas.

Dans ces jours terribles, les exercices du training me furent d’une aide très grande. J’ai l’impression que c’est en grande partie grâce au training autogène que j’ai pu traverser ces années de terreur sans conséquences psychiques graves.

Schultz, Le training autogène, p. 47.

Témoignage qui convaincra, soyons en sûr, même les plus réticents, même les plus dubitatifs quant à cette méthode qui, à trop promettre, plonge dans un doute légitime. Preuve par Hitler − à ne pas confondre avec la reductio ad hitlerum : est digne d’intérêt ce qui fait montre d’efficacité contre les furies du Führer.

Mais quelle est cette méthode ? Tentons de donner le b.a-ba de cette technique d’auto-hypnose, afin que chacun puisse avoir accès aux trésors qu’elle promet.

  1. Attitude générale du sujet. Il faut se positionner d’une manière décontractée, de façon à « favoriser l’établissement d’un état passif ». Par exemple, assis dans un fauteuil, les bras sur les accoudoirs. Attention : ne pas croiser les bras ni les jambes, car cela pourrait générer des stimuli parasites ; de même, tous les muscles ne doivent pas être contractés mais au contraire détendus. Une autre position est la célèbre « attitude du cocher de fiacre » : assis sur un tabouret, penché en avant, les bras sur les jambes, la tête vers le bas − un peu avachi, il faut bien le dire, tel un mol adolescent encore boutonneux lorsqu’il n’est pas en proie à ses démons hormonaux. Ou encore allongé sur un lit, la nuque détendue sur un oreiller, les bras par-dessus la couverture pour éviter ces mêmes stimuli parasites qui pourraient là encore tout gâcher.
  2. Fermeture des yeux. Étrangement, cette étape n’est développée que sur quelques lignes dans le texte de Schultz. Que l’on m’autorise alors à apporter ma pierre à l’édifice autogénique : fermer les yeux, mais naturellement, c’est-à-dire sans que la force qui fait joindre les paupières soit déraisonnable et fasse trembler presque tout le corps.
  3. L’induction au calme. Étape importante. Il s’agit de se pénétrer de la formule suivante : « je suis tout à fait calme ». Il convient de se l’énoncer littéralement intérieurement dans son petit monde mental. Mais qu’une seule fois ; le training autogène n’est pas la méthode Coué. Il est plutôt pavlovien : associer un signal (« je suis tout à fait calme ») à un état psychique (le calme qui va suivre), de telle sorte que par la suite, lors du signal, l’état psychique suivra de lui-même − tout comme le chien salivera même sans pâtée à l’entente de la clochette. Pour cette étape, si l’on veut, on peut se représenter mentalement ce qui fait référence pour soi-même au calme : un lac de montagne pour certains, un cimetière pour d’autres, ou encore le moment post-coïtal. Il faut se souvenir de ces instants de calme, et les associer pavloviquement à l’injonction.
  4. L’expérience de la pesanteur. Premier véritable exercice de la méthode. Pour ce faire, penser : « le bras droit est tout lourd » (ou gauche pour les gauchers). « Le » et non pas « mon » : il s’agit de décrire les choses de manière objective et non subjective. En rester à l’acte de penser cet état de chose : il ne faut pas volontairement chercher à faire peser son bras ; on doit en venir à l’état cataleptique par la seule puissance de la représentation. On répétera ce : « le bras droit (gauche) est tout lourd » cinq ou six fois − et une seule fois, répétons-le, l’injonction au calme de l’étape précédente. Conseil : épeler chaque syllabe selon un rythme, par exemple celui des battements de son propre cœur. Après une trentaine de secondes, il s’agit de faire la reprise : 1) secouez votre bras vigoureusement ; 2) respirer profondément ; 3) ouvrez les yeux. Sans effectuez cet exercice de reprise, vous courrez le risque d’avoir une sensation de pesanteur dans votre bras à tout jamais. Oui. Au fur et à mesure des séances, la sensation de pesanteur que l’on éprouvera dans le bras (on ne l’éprouve pas nécessairement lors de la première séance) va se généraliser d’elle-même à l’ensemble du corps. Si ça ne fonctionne pas comme espéré, varier les formules : les bras sont lourds, les deux bras sont lourds, bras et jambes sont lourds, tout mon corps est lourd. Lorsqu’un jour, tout le corps sera lourd − il ne faut pas désespérer −, c’est qu’on sera prêt pour l’étape suivante.
  5. L’expérience de la chaleur. Désormais, après avoir effectué soigneusement les précédentes étapes en début de séances, on s’énonce mentalement la formule suivante selon les mêmes modalités : « le bras droit est tout chaud ». Même remarque que précédemment pour la pesanteur. Il faut en rester à cette étape jusqu’à ce que l’on éprouve une généralisation à tout le corps d’une sensation de chaleur. On sera ensuite prêt à passer aux étapes suivantes. Note : en cas de fièvre persistante, ne pas hésiter à consulter la médecine traditionnelle.
  6. Contrôle du cœur. « Se représenter son propre cœur, essayer de le sentir. » Injonction : « mon cœur bat calme » ou « mon cœur bat calme et fort ». Prenez garde toutefois : en dessous de 28 pulsations par minute, vous devriez consulter un spécialiste : même Marco Pantani n’a jamais eu un cœur aussi lent − ou alors une seule fois.
  7. Contrôle respiratoire. Se représenter le souffle vital qui nous anime. Injonction : « respirer calmement ». Si ça fonctionne bien, on peut aller plus loin : « je suis toute respiration » (traduction aléatoire de l’allemand « Es atmet mich »).
  8. Abdomen. Se représenter cette partie du corps, mais éviter tout rapprochement avec ce qu’il peut y avoir de sexuel et érotique quant à ces endroits : car sinon, cela pourrait venir tout gâcher. C’est pourquoi on préférera une formule relativement neutre du type : « mon plexus solaire est inondé de chaleur ». Mais cela suppose de connaître où se situe le plexus solaire : consultez par conséquent un manuel de géographie anatomique avant de vous lancez sur ces routes si éloignées du training autogène.
  9. Fraîcheur du front. Voilà une étape qui pourra faire baisser la fièvre de tout à l’heure. Injonction : « mon front est bon froid ». Éviter des formulations qui mêleraient des représentations par trop glaciale : Schultz craint que cela génère des congestions neuronales.

On demandera quand pratiquer le training autogène. Évidemment chaque jour, et de la façon suivante : deux ou trois fois par jour, après le déjeuner, après le dîner et avant de s’endormir. Le tout pendant 12 à 18 semaines avant de pouvoir accomplir des choses vraiment intéressantes. Car il ne s’agit là pour le moment que du « cycle inférieur » ; aux plus persévérants est promis le « cycle supérieur », mais que l’on ne pourra espérer maîtriser qu’après 3 ou 4 ans d’efforts intensifs, à peine le temps d’une psychanalyse.

  1. Recherche de la couleur propre. On dirige ses globes oculaires vers le haut et on regarde vers le centre du front (toujours les yeux fermés néanmoins, il me semble). On se concentre sur une couleur quelconque, et l’on médite entre trente minutes et une heure. On en reste à cette étape au moins trois semaines.
  2. Concentration sur un objet déterminé. On se concentre sur le premier objet qui passe dans la conscience. Compter quelques semaines pour cette étape ; un peu plus que pour les couleurs.
  3. Concentration sur des données abstraites. Désormais, on se concentre sur des choses telles que « la justice » ou « le bonheur ». On comprend que ce n’est qu’à ce stade-là que l’on parvient à faire des dissertations correctes de philosophie.
  4. Recherche du sentiment propre. Puis vient le moment où un sentiment passe comme ça sur le fil de la conscience, d’une manière toute débonnaire. Concentration.
  5. Concentration sur des personnes déterminées. Des personnes peuvent alors apparaître dans la conscience en relation avec ces sentiments, ces données, ces objets, ces couleurs. La mère, souvent, par exemple, pour ce qui est de l’affection. Concentration. Mais on peut aussi se concentrer sur des personnes pour lesquelles on ne nourrit que très peu d’empathie. D’après Schultz, c’est plus facile.
  6. Questions posées à l’inconscient et réponses symboliques. Et pourquoi pas, tant qu’on y est, poser des questions à son inconscient, puisqu’à ce stade là, on est vraiment à la porte de celui-ci ? Des questions du type : « qu’est-ce que je fais de mal ? » Et là, l’inconscient, fidèle à ses habitudes, répond avec des tableaux de Dali. Voici des exemples de questions proposées par Schultz : est-ce que la maladie corporelle est le plus grand des malheurs ? quel sens à le travail ? qu’est-ce qui est préférable : le bonheur ou la justice ? solitude ou communauté ? comment imaginer la mort ? l’Éternité ? l’immortalité ? le sens de la vie ? quelles sont mes qualités caractéristiques ? qu’est-ce que je désire ? comment vivrais-je si je pouvais être autrement ? que disent de moi les autres ? est-ce que je suis bon ? est-ce que j’aime quelqu’un ? quelqu’un est-il pour moi un objet de haine ? Dieu existe-t-il ? existe-t-il des êtres bons ? que ferais-je si j’avais des possibilités financières illimitées ?
  7. Élaboration d’une formule personnelle. Peut alors émerger une formule personnelle résumant tout son être, une sorte d’aveu enfin arraché par cette volonté de savoir. Ce pourra être : je suis libre, je me décide moi-même, je suis seul juge, je vois l’autre, je veux vivre en harmonie intérieure, la vie est un changement continuel.

Ce programme pourrait en rebuter plus d’un, en décourager même de commencer. D’autres, plus hardis, emplis d’une bonne volonté autogénoise, mais chagrinés du fait de ne constater aucun des effets promis, pourraient vouloir abandonner. Dites-vous bien que si cela ne fonctionne pas pour vous, ce n’est pas en raison d’une faiblesse de la méthode, mais tout simplement parce que vous faîtes mal les choses. Si vous vous êtes lancé seul sur ces routes de l’inconscient, c’était presque attendu. Le mieux est de vous en remettre aux conseils d’un spécialiste, de vous payer un professionnel : un sophrologue.

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[1] Notons toutefois que près de la moitié de l’ouvrage est apocryphe : le Docteur Geissmann a cru bon de rajouter toute une ribambelle de chapitres écrits de sa main après le texte de Schultz.
[2] Certains osent même promettre le retour de l’être aimé sous 4 jours (facilités de paiement).

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