Le tiers exclu (III): le pauvre qui cache la forêt
Ou comment la société, la française en particulier, institue un développement séparé parvenant à être revendiqué par ceux-là mêmes qui sont exclus.
Le mendiant absolu, celui qui n’a plus rien et dort dans la rue, a une fonction sociale. Il cache la vraie misère. En focalisant sur lui toute l’attention de la société, il parvient à faire oublier la paupérisation générale de celle-ci. Il cristallise la pauvreté et mobilise tous les efforts de la charité en persuadant qu’il est l’unique malaise de la société, pendant que les conditions générales de la population se dégradent.
Il participe de cette stratégie qu’utilise le mythe bourgeois que Barthes nommait la vaccine, « qui consiste à confesser le mal accidentel d’une institution de classe pour mieux masquer le mal principiel. On immunise l’imaginaire collectif par une petite inoculation de mal reconnu ; on le défend ainsi contre le risque d’une subversion généralisée1. »
Certes, il y a des indigents ; oui, il y a de la misère. Mais au fond, tout ne va pas si mal. Hors ces pauvres que l’on soigne comme l’on peut, la société prospère. Ces misérables sont une conséquence seulement contingente de nos institutions qui contribuent à un enrichissement générale de tous. Portons-leur secours à eux qui curieusement vont mal alors que la société va elle si bien.
Voilà le discours que le tiers exclu contribue à faire admettre. Voilà aussi sans doute pourquoi il est tant marginalisé : la société ne pouvant produire de la pauvreté, on la refoule en dehors lorsqu’on en découvre. En témoignent certaines législations, adoptées ou avortées, ayant pour finalité de déporter les mendiants en dehors des centres-villes. Foucault distinguait trois types de civilisations : celles qui exilent, celles qui exterminent, celles qui enferment. Avec ses pauvres, où se situe notre société ?
Reste que si la société accepte de voir des indigents, c’est pour mieux fermer les yeux sur les « moins-pauvres », ceux-là qui, par exemple, bien que travaillant à plein temps et même au-delà, ne parviennent pas à payer un loyer et dorment dans leur voiture. Que les indigents dorment dans nos rues est le prix à payer, surtout par eux, pour que la société puisse, elle, dormir en paix.
1Barthes, « le mythe, aujourd’hui » in Les mythologies, Seuil, p. 225.
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13 juin 2012 à 21:08 Louis Laubaine[Citer] [Répondre]
Bonsoir,
Il faut ne pas manquer d’air pour oser parler fin 2009 d’une « paupérisation générale » de la société française. J’avoue avoir du mal à comprendre comment la même plume, deux ans plus tard, parvient à écrire une charge contre le tiers-mondisme* telle qu’il m’aurait plu de la signer.
* Quand je parle de tiers-mondisme, c’est par référence au syncrétisme politique hantant les crânes de certains, qui est un package complet tout-en-un où l’on trouve généralement dans le mélange : éoliennes ; panneaux photovoltaïques ; antinucléaire ; commerce équitable ; agriculture bio ; mangeons du pain au son aux oméga 3 ; non au gaz de schiste ; légalisation des sans-papiers ; et aussi du cannabis ; la guerre c’est moche ; taxe Tobin ; indignez-vous ! ; déplacez-vous en modes doux ; mort au capitalisme ; non à l’économie de marché ; antiaméricanisme ; antisarkozysme ; je vote Mélanchon ou Besancenot ? ; allons manifester de Bastille à Nation, de la Manufacture aux Terreaux ; campons sous l’arche de la Défense ; vive l’autogestion ; élections, piège à cons ; faites la grève ! ; et qui commence et s’achève bien souvent par : antisionisme.
14 juin 2012 à 13:06 Gnouros[Citer] [Répondre]
Quand bien même ce serait là une contradiction, ce ne serait pas la seule que vous pourriez relever ici.
Mais encore, en est-ce bien une ? Reprenant l’idée de la vaccine de Barthes, l’idée est ici simplement que la fonction du SDF est de dissimuler une autre misère, qui est celle de l’appauvrissement plus général de certaines classes sociales.
Ceci me paraît assez indépendant de la question du tiers-mondisme, qui relève davantage de la doctrine, voire de l’idéologie.
On peut s’intéresser au problème de la pauvreté sans être tiers-mondiste. Et même pire, sans même être de gauche ou faire référence à Marx : voir par exemple Tocqueville à ce sujet.
14 juin 2012 à 17:20 Louis Laubaine[Citer] [Répondre]
Oscar: « Quand bien même ce serait là une contradiction, ce ne serait pas la seule que vous pourriez relever ici. »
Laubaine: Savez-vous que nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes?
Oscar: « l’idée est ici simplement que la fonction du SDF est de dissimuler une autre misère, qui est celle de l’appauvrissement plus général de certaines classes sociales. »
Laubaine: J’ai bien compris l’idée qui me parait trés contestable (et qui flirte quelque part avec la théorie du complot), mais j’admets que « l’appauvrissement de certaines classes sociales » est moins pire que « la paupérisation générale ».
Oscar: » Ceci me paraît assez indépendant de la question du tiers-mondisme »
Laubaine: En êtes-vous bien sûr? Etes-vous bien convaincu que la dénonciation du sort fait aux SDF échappe absolument au « package tout-en-un » que vous dénonciez naguère? Croyez-vous qu’Augustin Legrand répugnerait à défiler entre République et Nation?
On peut de la même façon s’intéresser aux panneaux photo-voltaïques sans être tiers-mondiste.
14 juin 2012 à 18:37 Luccio[Citer] [Répondre]
Bonjour,
réaction spontanément formelle :
« Ah non ! La contradiction n’a rien d’une turpitude ; j’ai même vérifié dans le dictionnaire. C’est de la cohérence qu’il faut se méfier ! »
Ca se dit du systématisme ?
20 juin 2012 à 12:19 Gnouros[Citer] [Répondre]
Point de complot ici, mais simplement une analyse selon un point de vue fonctionnaliste. Ce n’est pas parce qu’un élément accomplit une fonction dans un système, comme si quelqu’un l’avait désigné ainsi, qu’il y a effectivement eu quelqu’un pour penser les choses ainsi. Penser en termes de complots ici est commettre la même erreur que d’inférer le doux ordonnancement des choses de ce monde au dessein si intelligent du grand horloger. Je trouve que le texte de Foucault cité ici dit assez bien ces choses : http://www.morbleu.com/comment-dejouer-les-conspirations/
Je ne dis pas que cela échappe à coup sûr au « package tout-en-un » de certaines idéologies, mais simplement que peut apparaître dans certains cas un intérêt pour la question du paupérisme qui soit dénué de tout contexte idéologique, ou au moins indépendant de l’idéologie du dit « package tout-en-un » : voyez à nouveau Tocqueville, ou encore Napoléon III, qui, alors qu’il n’était encore que Bonaparte, écrivit un essai intitulé L’extinction du paupérisme. Méfions-nous de la reductio ad augustum legrandum : qu’Augustin Legrand s’intéresse à une question qui préoccupait naguère Tocqueville ou Napoléon III ne fait pas nécessairement de ces deux derniers des tiers-mondistes.
20 juin 2012 à 12:21 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
(Qui plus est, Augustin Legrand n’est peut-être même pas tiers-mondiste.)
23 juin 2012 à 14:32 Louis Laubaine[Citer] [Répondre]
Question directe en forme d’uppercut:
Faut-il faire savant pour faire philosophe? (hormis les séances de contrôle des connaissances, cela va de soi).
Au-delà:
Si théorie du complot il y a, ce n’est pas chez moi qu’il faut la chercher, mais bien chez celui qui suggère. Comme suggère une remarque telle que: « On immunise l’imaginaire collectif par une petite inoculation de mal reconnu… » Qui est ce « on » qui va jusqu’à refouler la pauvreté hors du corps social, comme les leucocytes refoulent les agresseurs du corps individuel? Qui va même jusqu’à légiférer (ou à tenter de légiférer) en pleine démocratie. A l’évidence le « mythe bourgeois » est un mythe comploteur.
25 juin 2012 à 19:00 Gnouros[Citer] [Répondre]
Je ne comprends pas bien l’objection portant sur le savant et le philosophe.
Du reste, le « on » provient du texte de Barthes. Effectivement, du temps des Mythologies (1957), Barthes était encore très enfermé dans un marxisme assez prompt à attribuer tous les maux sociaux à la seule classe bourgeoise, qui serait comme toute puissante, et qui est désigné par le « on ». Les Mythologies peuvent d’ailleurs être lues avant tout comme un texte de sociologie de la petite-bourgeoisie.
L’idée de la vaccine est pour Barthes celle d’un stratagème utilisé par les membres des classes dominantes pour justifier un système qui est avant tout à leur profit : admettre un mal social particulier (dans notre cas, les mendiants et autres SDF) pour faire oublier un mal plus général (dans notre cas, les bas salaires des classes populaires par exemple). En d’autres termes, l’idée est que le capitalisme cuisine certes de bonnes omelettes, mais en cassant les œufs des plus pauvres ; pour continuer à en manger, les classes dominantes qui les dégustent confessent alors que le capitalisme brise parfois trop certaines coquilles, et promettent alors de préserver les œufs les plus faibles ; de la sorte, elles peuvent continuer à visiter le poulailler, en continuant de briser certains œufs. Illusion inductive : la lutte contre un mal particulier fait accroire plus généralement à une lutte contre le mal tout court.
Mais je pense que cette idée de la vaccine peut être utilisée indépendamment de son interprétation marxiste originelle qui y verrait l’intention de la seule classe bourgeoise. Je pense qu’il y a là une idée bien plus générale, capable de s’imposer et d’être utilisée non seulement par les classes dominantes, mais par l’opinion commune en générale, de façon « trans-PCS », sans qu’il y ait besoin d’un groupe social particulier pour attribuer l’intentionnalité de l’interprétation d’un mal social particulier.
25 juin 2012 à 21:15 Louis Laubaine[Citer] [Répondre]
Reprenons plus haut, si vous voulez bien.
« …que la fonction du SDF est de dissimuler une autre misère, qui est celle de l’appauvrissement plus général de certaines classes sociales. »
Qui cherche à dissimuler?
25 juin 2012 à 21:31 Luccio[Citer] [Répondre]
Bonjour !
Je crois que la fonction des quatre estomacs de la vache est de bien digérer, sans qu’on doive nécessairement aller dire que quelqu’un cherche à la faire bien digérer.
La fonction d’un mythe est d’unir une société pourtant les Thébains ont pu croire en l’existence d’Œdipe. Personne ne l’a créé exprès pour remplir cette fonction, mais c’est peut-être parce qu’il la remplissait (lui ou on autre) qu’on continuait d’en parler.
Dire que le seul mal de la société est les SDF peut servir à oublier que la paupérisation en est un autre et qu’il existe. Voilà une fonction rhétorique ou argumentative. Qui cherche à oublier ? Peut-être quelques individus, peut-être personne, car on se contente d’oublier, passivement, de ne pas remarquer. Il n’y a même pas oubli, ni dissimulation active.
Ainsi il n’est pas nécessaire que quelqu’un dissimule pour qu’opère une fonction de dissimulation… on pourrait à la limite dire que le discours dissimule, mais ça ne répond pas à « qui ».
L’analyse fonctionnaliste ne cherche pas des agents derrière les fonctions, elle se constante de mettre au jour des fonctions, du moins si j’ai bien tout compris.
25 juin 2012 à 22:45 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Cher Luccio, je n’aurais pas su mieux dire.
26 juin 2012 à 11:06 Louis Laubaine[Citer] [Répondre]
Quand, où et par qui avons-nous entendu dire que « le seul mal de la société sont les SDF »? Au-delà de la qualité formelle du propos je serais curieux de savoir si vous parvenez à vous convaincre vous-même. Encore une fois il restera à démontrer qu’on peut être à la fois la cinquième puissance économique du monde et en voie de paupérisation, c’est-à-dire en marche plus ou moins forcée vers la pauvreté généralisée. Se pourrait-il que l’art de philosopher ne soit que de rhétorique?
26 juin 2012 à 12:36 Louis Laubaine[Citer] [Répondre]
Permettez-moi d’ajouter ceci: A l’opposé de la thèse soutenue on perçoit de façon intuitive que plus le nombre de SDF augmente plus le sentiment de paupérisation s’impose.
PS: après rumination une question fait surface: pourquoi avoir fait appel aux quatre estomacs de la vache alors qu’un seul eut suffit?
26 juin 2012 à 12:44 Gnouros[Citer] [Répondre]
Texte écrit en février 2009, durant l’hiver. J’imagine que l’agitation incessante dans les médias d’associations telles que les Restos du cœur, DAL, les enfants de Don Quichotte, Emmaüs et j’en passe, concourait à donner le sentiment que le seul problème de la France était les SDF.
Comme ce texte faisait explicitement référence aux Mythologies de Barthes, je suis allé parcourir à nouveau cet ouvrage. Voici ce que l’on peut lire p. 52 sur le texte consacré à l’abbé Pierre :
Là où j’aurais tendance à me séparer de Barthes, c’est sur le « une bonne partie de la nation », qui effectivement peut faire complot (et encore… il s’agit d’une récupération a posteriori et non décidée a priori : plus une complaisance qu’une conspiration), par « la société » d’une façon générale.
Quant à votre remarque sur la France cinquième puissance économique du monde, elle me fait penser à l’argument de la « route de Moscou » décrit par Fritz Zorn dans Mars, ouvrage majestueux que je me permets de citer car lu récemment (p. 236) :
Que notre société ne soit pas la pire et possède même un PIB par habitant flatteur, n’indique ni qu’elle soit exempte de maux, ni qu’il est interdit de la critiquer.
Et pour faire court sur la question de la « paupérisation générale », j’ai déjà dit plus haut que c’était sans doute à nuancer, la question étant davantage celle de l’appauvrissement des classes populaires.
26 juin 2012 à 15:00 Louis Laubaine[Citer] [Répondre]
Quand on est un intellectuel on intellectualise, c’est dans l’ordre des choses, et le véritable intellectuel est rarement à droite. Nulle société n’est et n’a jamais été exempte de maux. Nulle société n’est pure non plus, et c’est tant mieux.
Que faut-il attendre d’une société? Qu’elle éradique la pauvreté, la sienne propre et celle qui lui vient d’ailleurs?
Barthes dit: « substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice. » Mais, le seul fait qu’il y ait des riches et des pauvres suffit-il à parler d’injustice? Pourquoi faudrait-il que la pauvreté absolve et que la richesse accuse? Est-il juste, est-il sain d’esprit et de corps (social) de s’en remettre toujours plus au modèle de l’Etat-providence?
26 juin 2012 à 18:46 Luccio[Citer] [Répondre]
Louis,
j’imagine que l’intellectuel, ce brave Oscar, est justement en train d’intellectualiser, d’intell-actualiser (osons les jeux de mot à visée pédagogique), de réfléchir à cela présentement, dans le moment, sur un blog par exemple.
Ainsi j’imagine surtout que le créateur et contributeur principal de Morbleu (loué soit son nom, « Oscar – Oscar – Oscar ») ne saura pas répondre d’avance à toutes ces questions qui apparaissent en rang serré. Il ne possède pas encore le système où tout cela se tient (qu’il soit de lui ou d’un autre qu’il suivrait). Il ne peut donc y piocher ni les questions ni les réponses.
Ne lui en veuillez donc pas s’il ne peut pas répondre à tout tout de suite. Mais je le connais, il doit être tout content qu’on l’oblige à réfléchir, et répondra sans doute sous peu.
26 juin 2012 à 19:29 Louis Laubaine[Citer] [Répondre]
Luccio,
Je vous ai lu tous deux, un peu. J’apprécie, beaucoup.
28 juin 2012 à 23:27 TP[Citer] [Répondre]
Si je peux me permettre de m’immiscer dans le débat…
D’abord, Louis, je vous trouve très grossier. Vous reprochez au philosophe son abstraction et vous dépeignez des chimères bien pires : je vous garantie que pas un individu concret ne tombera strictement sous la description de votre syncrétisme tiré d’on ne sait quel salon parisien (et vous ne faites bien sûr référence, dans votre tirade, qu’à des lieux parisiens) ; et d’abord on ne peut pas penser « mélenchon ou Besancenot? » en même temps qu' »élection piège à con », c’est contradictoire. Je veux bien croire que ces pensées puissent confluer en un magma impropre, qu’il existe bien des gens que la contradiction n’atteint point, etc. Il reste que votre tiers mondisme est drôle mais irréel.
En effet il n’y a guère de théorie du complot derrière une analyse réellement fonctionaliste. Le pauvre cache la pauvreté. Ca peut vouloir dire plusieurs choses mais à moi ça me semble plutôt convaincant. Pour une série non énumérable de raisons, il se trouve que c’est toujours le sdf qui est au devant de la scène médiatique de la pauvreté ; comme si le problème de la pauvreté consistait exclusivement ou exhaustivement dans le problème des sans abris l’hiver (qui revient chaque année bien sûr). Il est clair que lorsqu’on voit ça derrière son téléviseur, on a moins froid dans sa propre pauvreté. Pourtant, allez entendre les smicards railler les 20 euros par mois dont ils sont augmentés : ce sont aussi des pauvres, et de plus en plus nombreux. Oui il y a paupérisation lorsque les écarts entre les plus riches et les plus pauvres ne cessent de se creuser, et que les smicards sont plus nombreux, avec des cdd ou des contrats précaires et notamment chez les jeunes ; la pauvreté est un concept relatif, la réduire c’est réduire les écarts entre les plus hauts et les plus bas revenus et enfler la classe moyenne.
Ensuite, il y a le problème de la charité, du rapport au mendiant dans la charité comme fausse solution à un faux problème. Ca c’est autre chose. En toute rigueur, elle ne devrait pas exister, elle n’a aucune place dans l’axiologie politique.
Si vous avez le coeur à gauche, vous saurez que c’est en payant vos impôts que vous viendrez en aide au mendiant, et que les rectifications au coup par coup ne valent rien pour elles-même: c’est en l’Etat que vous avez confiance. Il est le garant légitime et le fidèle promoteur des partages et des redistributions nécessaires à la survie d’une société de droit. Il est l’appareil publique, la justice et la loi. Il est l’instance réparatrice décidant du sort des défavorisés. L’Etat n’a ni rival, ni allié, ni maître: seul il rassemble, gouverne, et ajuste.
C’est à droite que vos jeux sont à faire? Alors la liberté civile est le premier des privilèges et un individu choisit de rester misérable ou de s’accorder, à force de discipline et de volonté, un destin plus digne de lui, et des attentes de ce qui le surplombe: la France. Oui, car tout est possible, du moment qu’on l’a décidé, dans l’ombre de l’Etat-nation. L’homme qui a sombré dans la mendicité a renoncé à son droit sacré d’être libre: on ne saurait encourager un tel fatalisme.
Exit la charité : sauf que non! Au contraire, les partis de droite comme de gauche ont tout intérêt à se montrer généreux et apitoyés envers cette fausse pauvreté extrême qui aspire à elle toute l’attention. Je ne dis pas que l’éthique ne prescrit pas à l’honnête citoyen, face à un clochard mort de froid, de le faire rentrer, de lui faire prendre un bain, de lui faire un petit déjeuner. Je dis simplement que cette action n’a aucune valeur ou signification politique. La charité c’est un leurre politique. Je me suis expliqué ici il y a longtemps. Alors que la pauvreté comme mal être, comme précarité, comme paupérisation oui, allez vivre avec un smic, et aussi comme inégalité, c’est un problème politique réel.
29 juin 2012 à 16:41 Gnouros[Citer] [Répondre]
(Sur l’amalgame tiers-mondiste, je dois confesser que c’est moi le premier qui ait amalgamé ici.)
30 juin 2012 à 9:32 Luccio[Citer] [Répondre]
Cher T.P.
Il ne faut pas trop accabler ce brave Louis, car tout lecteur et tout commentateur de Morbleu est le bienvenu. Sans quoi après les lieux se désertent. Ensuite je suis ces quelques jours à Paris, et n’accablons pas la ville (même de façon indirecte), elle est superbe. Je crois d’ailleurs qu’Oscar en parle ici.
Sur la charité, vous notez que « en toute rigueur elle n’a aucune place dans l’axiologie politique ». Je me permets un commentaire-traduction pour un lecteur non averti de passage à qui je serais susceptible de dire « Eh Morbleu c’est trop bien en ce moment y’a grave du monde et ça discute, tu devrais y faire un tour ! ».
Selon une telle thèse, il y a des valeurs que la politique met en avant, à partir desquelles elle polarise son activité. Or la charité est une action discrète, c’est-à-dire non généralisé et volontaire. Elle consiste donc à s’occuper individuellement de la pauvreté, notamment comme donateur (qu’on donne des sous à un clochard ou à MSF).
Sans doute est-ce pour cela que vous considérez qu’en toute rigueur elle n’a pas sa place dans une axiologie politique, puisque la politique c’est l’action collective que mène consciemment la société pour régler les affaires de la société et de ses membres, au moyen de l’Etat (définition de circonstance).
Rappelons toutefois qu’on peut adopter un autre point de vue, moins à gauche diraient certains, qui consiste à dire que l’activité politique consiste surtout à ne pas se laisser aller à des excès dans l’activité politique. Car trop de politique, trop de contrôle conscient des affaires de la société par l’Etat, nuirait à la qualité de la vie ou à la société elle-même. Dès lors quelqu’un de plus libéral dirait plutôt qu’il faut savoir réinvestir la charité dans le champs de la politique.
Je me permets juste de rappeler ce que je crois être le débat classique, dont tout le monde n’est pas nécessairement averti. Vous l’aviez fait vous-même, mais déjà en argumentant, ici je décris. Fin de la parenthèse pédagogique, Merci. Clap-Clap-Clap
30 juin 2012 à 23:18 Louis Laubaine[Citer] [Répondre]
Cher TP
Permettez-moi de pousser la grossièté d’une case en avant: êtes-vous bien certain de comprendre tout ce que vous lisez? Je reproche au philosophe son abstraction. Où, quand, comment? Je dépeins des chimères. Lesquelles?
Que le sdf soit pour « une série non énumérable » sur le devant de la scène médiatique, soit! Mais à qui allons-nous l’imputer? C’est tout ce que je vous demande. Enfin…presque tout, car il me faut ajouter ceci, évitez de me faire la morale, je trouve cela très grossier au stade présent de nos relations. Une dernière chose, monsieur, expliquez-moi en quoi mes impôts sont de nature à soulager le mendiant.
2 juillet 2012 à 19:59 TP[Citer] [Répondre]
@ Luccio, merci pour votre reprise éclairante.
@ Louis Laubaine. Je vous prie de me pardonner. Il était tard et il fallait que je rédige ce satané commentaire avant de fermer les yeux. Vous ne dépeignez nulles chimères puisqu’elles sont celles du philosophe même auquel vous reprochez non son abstraction mais son intellectualisme (c’est moi qui suis grossier).
Quant au point de vue « fonctionnaliste », ou à l’impossibilité de répondre à la question « qui », du moins en un temps raisonnable (et j’ai déjà trop écrit), je n’ai rien à ajouter à ce qu’en dit Gnouros.
Quant aux impôts, ils permettent d’assurer à ce pauvre homme une couverture maladie universelle et certainement quelques aides qui lui permettent de vivre.
Bien à vous,
3 juillet 2012 à 21:16 Louis Laubaine[Citer] [Répondre]
Merci, cher TP, de reprendre haleine. Je serais heureux que mes impôts viennent en aide au mendiant que je croise chaque matin, mais il ignore tout de ce que l’Etat peut faire pour lui.
4 juillet 2012 à 14:41 TP[Citer] [Répondre]
Seulement parce qu’il voit tout ce qu’il fait contre lui.
4 juillet 2012 à 17:30 Louis Laubaine[Citer] [Répondre]
Ca n’est pas sérieux, monsieur TP. Nous sommes 6 milliards d’humains sur terre, où sont-ils ceux qui peuvent bénéficier du RSA, de la CMU, de la sécu, de l’API, de l’AAH,de l’ASS, de l’APL, de l’Allocation-logement?
(le mendiant que je croise chaque matin ignore tout de ce que l’Etat peut faire pour lui seulement parce qu’il ne parle pas français.)