pensées-wolinskiCharlie Hebdo était mon adolescence, mes années au lycée et au collège, et même encore jusqu’à aujourd’hui. Dans mon cas, dire « je suis Charlie » est un fait, tant une partie de mon éducation politique s’est faite à travers ses pages. Ses images et ses mots structurèrent ma jeunesse. Je me souviens avoir même possédé un agenda Charlie Hebdo, moins pour noter mes devoirs que pour regarder encore et encore les illustrations qui le parsemaient.

Souvent admiratif et amusé par le génie des auteurs. Parfois accablé et révolté par l’audace quelques fois mal placée des mêmes. Mais c’est sans doute que je devenais progressivement adulte, capable en même temps d’aimer et haïr Charlie sans limite, tout comme on le fait d’un père, grâce auquel on devient justement cet adulte.

Un des premiers livres que je me souviens avoir lu et relu avec un réel plaisir, pour ne pas dire un bonheur authentique, fut Les pensées. Non pas celles de Pascal, mais de Wolinski, qui également était passé maître dans l’art de l’aphorisme. J’appréciais infiniment son esprit, son ironie, mais aussi son sens de l’autodérision. Wolinski me découvrait ce pouvoir qu’a l’humour de mettre à la fois le réel à distance, et de lui donner sens. Il possédait une joie certaine, mais qui cachait mal une certaine mélancolie. Des mots me sont encore aujourd’hui connus tels des proverbes.

Depuis mercredi que je pleure nos morts tel Achille son Patrocle, je parcours à nouveau les pages de cet ouvrage, presque devenu mon livre de chevet durant ma jeunesse.

À la fin de ce livre, un titre : « Testament ». Puis un texte, intitulé « Aujourd’hui » :

J’ai pris la dernière douche
J’ai vu le dernier oiseau
J’ai vu le vent agiter la dernière branche
J’ai lu le dernier livre
Je n’ai pas cueilli la dernière fleur
J’ai couru pour la dernière fois
J’ai regardé la dernière fourmi
J’ai caressé la dernière femme
La dernière plaisanterie ne m’a pas fait rire
J’ai pris le dernier train
J’ai bu le dernier verre
J’ai poussé le dernier soupir.

Puis, quelques pages avant, cet autre texte :

Ceux qui ont essayé de faire croire à l’homme que son seul but était d’être bon, d’aimer les autres, de se sacrifier pour eux, sont des salopards. Ils ont inventé Dieu, ils ont fait construire des pyramides, des églises et des mosquées à de pauvres types exténués. Ils ont créé des chefs-d’œuvre impérissables, « trésors de l’humanité ». Alors que le seul trésor de l’humanité, ce sont quelques instants de bonheur, un bol de riz pour celui qui a faim, une louche de caviar pour celui qui ne sait pas même ce que c’est que la faim, un sourire, un harem, un accord de guitare, la promesse que l’on ne sera pas torturé aujourd’hui, une main fraîche sur un front brûlant, lire Charlie-Mensuel sur un divan en croquant du chocolat.

Voici l’homme que l’on a assassiné. « Je suis content que la vie soit courte. Je trouve ça rassurant. J’ai peur des choses qui ne finissent pas. »