Finkielkraut, Glucksmann, Bruckner et BHL
Il est de bon ton de critiquer les intellectuels médiatiques, tels que Finkielkraut, Glucksmann, Bruckner ou BHL. La posture qu’ils investissent est souvent irritante. Donneurs de leçons pour la plupart, n’hésitant pas, tel Sartre à la sortie des usines Renault, à se tenir debout avec un porte-voix au sommet des Majuscules des Grands Concepts : La Loi, La Liberté, La Démocratie, Le Totalitarisme, Le Racisme, La Laïcité. À énoncer, du haut de leurs bidons, ce qu’est Le Bien, ce qu’est Le Mal, ce qu’est La Justice et L’Injustice. À bidonner sur ce qu’il faut faire et ne pas faire, mais s’accordant tous sur un point : qu’il faut les écouter, déguster le miel de chacune de leur parole en appréciant toute leur valeur gourouesque et évangélique.
Posture irritante, qui justifie certainement à elle seule toutes les critiques – et qui même pourrait peut-être en dispenser, tant cette attitude paraît dans certains cas nuire complétement au propos énoncé, au point d’ouvrir les portes non pas de l’École d’Athènes, mais du Cirque de Rome.
Il reste évidemment nécessaire de critiquer ces intellectuels. Cependant, dans tous les arguments apportés à l’encontre de nos penseurs nationaux, télévisuels et désormais podcastables, il convient d’apporter quelques nuances. Il y a sans conteste du déchet toxique dans leurs flots de paroles et d’écrits. Toutefois, à l’heure du développement durable, il convient peut-être de ne pas tout jeter, mais au contraire de trier et de recycler.
Ainsi, premièrement, je pense qu’il ne faut pas faire de reductio ad beachelum. BHL est très contestable, tant sur la forme que sur le fond. Néanmoins, je pense que, pour se limiter aux noms figurants sur la couverture du livre de Daniel Salvatore Schiffer Critique de la déraison pure (que l’on me pardonnera – ou pas – de ne pas avoir encore lu), les démarches de Glucksmann, Bruckner et Finkielkraut ne sont en rien assimilables totalement à celle de Bernard-Henri Lévy. Critiquer simplement BHL en pensant faire couler les autres est un peu facile.
Deuxièmement, il est faux de dire que tous les grands intellectuels avaient unanimement dénoncé nos nouveaux philosophes. Ainsi, par exemple, Foucault avait apporté son soutient à Glucksmann, et Jean-François Revel avait salué la sortie de L’idéologie française de BHL.
Troisièmement, il est faux de dire que tout ce qu’ils disent est parfaitement contestable, sans valeur, inutile. Le nouveau désordre amoureux publié par Finkielkraut et Bruckner en 1979 fut un ouvrage qui eut un grand retentissement, notamment en Allemagne. Il continue d’être lu, et est toujours parfaitement pertinent en ce qu’il contient une critique de la normalisation, au point que l’on peut soupçonner Foucault de s’en être servi lors de ses cours au Collège de France et dans son Histoire de la sexualité.
De même, Au nom de l’autre de Finkielkraut fournit une réflexion très pertinente sur l’antisémitisme, et son Nous autres, modernes est un texte semblable à un manuel, qui est documenté, qui n’est pas bâclé, qui est travaillé et bien écrit, parfaitement utilisable pour qui souhaite s’introduire aux grandes problématiques de la modernité (même si son arrière plan peut être contestable). Il s’agit d’ailleurs de ses cours à polytechnique, ce qui prouve, contrairement à ce que certains affirment, que tous ces auteurs ne se reposent pas tous sur leur passé de normalien ou d’agrégé, se contentant, tels des rentiers, de récolter les fruits d’un dur labeur effectué seulement jadis en khâgne. Il me semble d’ailleurs que Bruckner n’a pas suivi ce parcours – à vérifier.
Je pense que ce qui gêne (et ce qui me gêne, comme, par exemple, avec le BHL témoin capital) avant tout chez ces personnes est la posture médiatique que chacun s’efforce de tenir. Chacun prétend se poser comme conscience de son temps, et éclairer le peuple de ces lumières, souvent en se trompant, puisqu’il est sans doute très difficile, que l’on soit brillant philosophe ou pas, de parvenir à s’élever au dessus de son époque pour la contempler objectivement. Mais en ce cas, ils ne sont pas plus (ni moins) condamnables qu’un Sartre stalinen et complaisant pendant l’occupation, qu’un Deleuze complaisant avec le terrorisme, ou qu’un Foucault opportuniste et girouette.
Ce qui gêne donc, ce sont ces bidons sur lesquels chacun se tient pour paraître plus grands que les autres, donnant l’illusion qu’ils voient plus loin et plus clairement que les autres. Puisse-t-on frapper sur ces bidons sans pour autant frapper sur l’homme qui se tient dessus !
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24 juin 2010 à 19:44 A ton avis?[Citer] [Répondre]
Qui aujourd’hui met sur le même plan l’œuvre de Finkielkraut et celle de Bhl? Tant sur le fond que sur la qualité de la réflexion, je ne vois pas que peu de proximité entre les deux.
24 juin 2010 à 20:37 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Le livre de Schiffer Critique de la déraison pure le fait, parait-il.
29 juin 2010 à 18:02 Moktarama[Citer] [Répondre]
Un billet fort bien tourné ma foi, qui pointe avec justesse cette caractéristique la plus commune aux Nouveaux Philosophes : ce besoin irrépressible et pathétique après trois décennies de présence médiatique forcenée de se mettre sous les feux de la rampe, qui comme « le témoin » , qui comme « l’arbitre » , qui comme « le briseur de tabous » , créant ainsi leur propre narration. narration finalement fluctuante au grès des évènements et des contextes, sauf en ce qui concerne leur besoin d’être vus et écoutés (plus que lus à vrai dire tant il suffit de suivre un minimum les médias lors de sorties de leurs livres pour en connaître le contenu) .
Sartre rentre d’ailleurs à mon sens également dans cette catégorie, autant pour son appétit de gloriole médiatique que pour son aveuglement volontaire dès qu’il en est besoin pour servir sa « cause du moment » .
Foucault et Deleuze ont cela en commun, quelles qu’aient pu être leurs erreurs par ailleurs (et vous en pointez) , d’avoir toujours été extrêmement circonspects vis-à-vis de la recherche de gloire universelle (ce qui passe par les médias de tous ordres) … et l’on pourrait leur reprocher d’avoir de ce fait favorisé dans leur entourage des phénomènes quasi-sectaires. Disons qu’il est plus facile d’éviter un Foucault ou un Deleuze si l’on est en désaccord ou qu’on les juges inintéressants, que d’éviter la clique des Nouveaux Philosophes qui cumulent un nombre démesuré d’heures d’antenne à chaque livre (et au rythme d’un par an ou tous les deux ans, c’est pesant) . Ce qui pourrait expliquer pourquoi dans un cas le ressentiment est fort et plus général que dans le second, de la même manière qu’un blogueur sera jugé moins sévèrement qu’un journaliste de TF1. L’un propose, l’autre impose : quel que soit le contenu, cette habitude engendre plus de ressentiment…
Quand à la pertinence de leurs écrits, il me semble que celle-ci s’est évaporée depuis bien longtemp. Disons que leur pertinence actuelle me semble largement sujette à caution et inversement proportionnelle à leur temps de parole dans les médias (un spectre qu’ils couvrent assez largement, des magazines spécialisés en passant par les quotidiens et télés, sans oublier les journaux régionaux ou internet) .
Pour finir, et pour parler un poil philosophie (et justifier leur manque de pertinence de mon immodeste point de vue) , il me semble que le titre « Nous autres, modernes » est un vrai symbole de la pensée qu’ils développent depuis 30 ans, dont l’essence (malgré des divergences non négligeables sur des sujets précis) repose sur un dualisme fondamental (passant par l’opposition de grandes notions avec majuscules de rigueur que vous pointez, comme le Bien et le Mal, le Racisme et l’Antiracisme, la Démocratie et la Dictature, l’Objectivité et la Subjectivité, la Vérité et le Mensonge, et j’en passe) dont on pensait que la philosophie était revenue depuis longtemps.
Malheureusement, il semble que la facilité des grandes notions organisées de manière duelle est quelque chose pour lesquelles l’homme a une grande appétance intellectuel. Quand Hegel réunissait les grands esprits de son temps durant ses cours en faculté et faisait salle comble avec ses grands et beaux concepts adaptables et interchangeables ; Schopenauer faisait l’apologie de la complexité comme de l’absence de Vérité ou d’Objectivité humaines (et donc fatalement de celles-ci au sein des grandes idées, remettant fondamentalement en cause la possibilité d’une représentation/organisation théorique de l’humanité par la recherche de ces idées) dans la même faculté devant une dizaine d’étudiants.
Pour finir, un petit lien fameux, constitué de la réponse unique et définitive de Deleuze aux Nouveaux Philosophes lors de leur montée en puissance médiatique, qui pointe bien mieux que moi tant cette nécessité médiatique absolue de leur part que la vacuité de leur approche de la philosophie et de l’humain (même s’il a pu leur arriver d’avoir raison, ce qui n’est pas forcément laudateur en pensant au volume monstrueux de leurs écrits) . On y remarquera d’ailleurs que les grands concepts dualistes des NF étaient différents en 1977, et collent à l’actualité et à leur milieu sociologique comme un journal de 20h au Monde et au Parisien.
Le lien : http://www.generation-online.org/p/fpdeleuze9.htm
Pardon pour le pavé 😉 surtout sur un sujet finalement de peu d’importance… mais il me semble cristalliser pas mal de choses quand au sujet du philosophe et des approches possibles dans la transmission des idées.
29 juin 2010 à 19:29 Oscar Gnouros[Citer] [Répondre]
Merci pour ce pavé : depuis 68, on sait que sous certains, il y a la plage (variante d’une blague que, je crois, j’avais déjà faite ailleurs).
Effectivement, il n’est souvent pas nécessaire de lire leurs livres. Ou au moins ceux de BHL. Déjà, son style est horrible. Il me provoque des nausées, un malaise physiologique, des barbouillements dans le ventre pareils à ceux que j’éprouve lorsque j’entends parler de phénoménologie. Et ce, quel que soit le sujet du texte. J’ai fait l’expérience American Vertigo où le monsieur se prend pour Tocqueville, et, effectivement, j’ai éprouvé un dangereux vertige, en même temps que de perdre quelques heures de ma vie − même si, je le redis, tout n’est pas à jeter forcément, bien que cela pourrait être résumé en si peu de pages, sans gâcher autant d’arbres.
Malaise que je n’éprouve en revanche pas lorsque je lis Finkielkraut, dont j’apprécie plus la prose − indépendamment des thèses énoncées. Qui fouille plus et est moins cuistre.
Il est donc vrai que l’on peut sans doute se passer de la lecture de certains de leurs livres. Deleuze a raison de le souligner, ces textes sont avant tout des prétextes, surtout chez BHL : prétexte à être médiatisé, à être vu, etc. Sans doute était-ce l’une des fonctions principales des deux derniers livres du BHL, qui se sont mal vendus : moins de 4000 et 6000 exemplaires, parait-il. Et en ce sens, que l’affaire Botul ait fait du buzz l’a sans doute réjouit en partie, puisque ça a permis de braquer les feux des projecteurs encore plus sur sa personne − et non sur son œuvre.
Par ailleurs, je serais également d’accord pour dire que ce qui peut les rassembler, par-delà les différences de forme et même de fond, c’est une insistance à se raccrocher à tout prix aux Valeurs qui seraient mises en péril, et qu’il faudrait défendre bec et ongles. Cela, on le retrouve effectivement chez tous nos auteurs, où les hommes blancs sanglotent, où la démocratie est mélancolique, où l’ouest est en guerre contre l’ouest, où la barbarie a un visage humain et où l’antisémitisme vient. Ce qui revient, en somme, à prêcher une sorte de néo-conservatisme, et expliquerait en grande partie le positionnement géopolitique de chacun. Mais s’ils parviennent à cette position commune, ce n’est pas nécessairement en empruntant les mêmes chemins, et il est possible que certains soient plus estimables que d’autres.
En tout cas, il est étonnant de constater comment le texte de Deleuze est toujours actuel. Merci pour ce lien, qui s’imposait !
1 juillet 2010 à
[…] La philosophie de Google Choses dites, choses vues Oscar Gnouros 1 juillet 2010, 6:22 « Finkielkraut, Glucksmann, Bruckner et BHL […]