Conformément à mes engagements pris l’an dernier, je dépouille en exclusivité pour vous, chers lecteurs, les résultats de l’Eurovision selon différents modes de scrutin : scrutin majoritaire à 1 tour, à 2 tours, scrutin alternatif, méthode Borda (qui est celle utilisée en fait par l’Eurovision), méthode Condorcet, et cela, en pondérant ou non avec le nombre d’habitants de chaque pays votant. Je ne détaillerai pas ici les détails des calculs, mais simplement les résultats. Pour une présentation de ces différentes méthodes, vous pouvez vous reporter à cet article flamboyant : comment gagner les élections ?

Les résultats sont plus inattendus que l’an dernier. La compétition fut plus serrée. Mais commençons par rappeler les résultats officiels (enfin, surtout ceux qui nous intéressent) :

1) Denmark
2) Azerbaijan
3) Ukraine
4) Norway
5) Russia
23) France
26) Ireland

Je retiens l’Irlande afin d’observer comment les modes de scrutin peuvent influer sur la position du dernier qui, pour le coup, n’est pas la France. J’expose ci-dessous les quelques résultats remarquables.

De la pondération par le nombre d’habitants de chaque pays votant, ou de la Chambre des représentants

L’Eurovision fait le choix de ne pas pondérer les votes par le nombre d’habitants des pays votants. En pratique, cela signifie que le vote d’une entité peu peuplée a exactement le même poids sur les résultats qu’un pays très peuplé. Par exemple, le vote de la République de  Saint-Marin (3 200 habitants) est mis sur un même pied d’égalité que celui de la Russie (143 000 000 d’habitants). Ce choix conduit donc à valoriser les entités politiques peu peuplées et à les légitimer. À l’inverse, pondérer les votes par le nombre d’habitants a pour conséquence de donner plus d’importance aux votes des pays plus peuplés.

Quelle est la conception la plus juste, la plus légitime ? Laquelle des deux retenir ? Difficile de trancher : les deux sont à la fois démocratique et antidémocratique. Ne pas pondérer est antidémocratique en ce que la seule voix d’un seul habitant de Saint-Marin équivaut à peu près à celle de 45 000 Russes. Il faut 45 000 Russes votant dans le même sens pour infléchir la balance qu’un seul habitant de Saint-Marin parvient à faire chanceler (aux différences des modes de scrutin près). Mais ne pas pondérer est démocratique en ce qu’elle considère chaque entité politique, chaque volonté générale nationale, comme ayant la même dignité que toute autre. À l’inverse, pondérer n’est pas démocratique, puisque les voix des petites entités politiques sont étouffées par les grosses : Russie, Allemagne, France, Angleterre. Pondérer est en revanche démocratique puisque l’on considère que la voix d’un pays peuplé a autant de valeur que celle d’un pays qui l’est moins. Il y a donc une difficulté presque insoluble.

C’est ainsi que les États-Unis possèdent un Sénat (deux représentants par état) et une Chambre des représentants (dont la composition est en proportion de la population de chaque état). En somme, le scrutin actuel de l’Eurovision aboutit à la composition d’une sorte de Sénat de la chanson européenne. Avec la pondération des résultats proposée ici, c’est une Chambre des représentants que l’on dessine.

Ce qui apparaît avec cette pondération est qu’elle est grandement favorable au vainqueur désigné par le scrutin habituel, c’est-à-dire le Danemark. Le Danemark l’emporte en effet suivant − presque − chaque mode de scrutin.


La seule exception concerne la méthode Condorcet, qui, comme l’an dernier, est favorable à la Russie, qui serait sortie à nouveau victorieuse suivant ce scrutin. Étonnant, non ?


Quant à la France, Condorcet lui semble aussi favorable, comme l’an dernier. Elle grimpe de la 23ème place à la 12ème place. En revanche, le scrutin Borda, qui est celui employé par l’Eurovision mais sans pondération, la propulse bonne dernière si on choisit de pondérer. La raison est simple : la France doit 8 de ses points à Saint-Marin (pays le moins peuplé), et 0 à la Russie (pays le plus peuplé).


Pour ce qui est de l’Irlande, celle-ci monte de la 26ème place à la 24ème, à la fois selon la méthode Borda et Condorcet pondérées. Rien à faire. Il faudrait un Jean-François Copé pour la sauver.


Le Sénat, ou le scrutin sans pondération

Observons maintenant les résultats sans pondération, suivant la mode Sénat. Les variations sont cette fois plus surprenantes que l’an dernier. En effet, le Danemark demeure bien premier, sauf pour le scrutin majoritaire à 1 tour et le scrutin alternatif, où c’est le deuxième, l’Azerbaïdjan, qui rafle la victoire :


Le scrutin Condorcet n’est en revanche pas vraiment très favorable pour la France et l’Irlande. L’Irlande passe de la 26ème à la 25ème place, échangeant son dernier rang avec l’Espagne.


La France, quant à elle, ne gagne qu’une seule place, passant à la 22ème. Vivement l’an prochain, donc.