Comment justifier le fait de dire trop de bêtises ?
Constat : alors que les deux servent à produire le même son, il y a plus de K en allemand qu’en français, et l’inverse pour les C. L’emploi des lettres tend donc à l’équilibre. Quoi, parler d’équilibre dans l’usage des lettres est une vilénie ? Permettez-moi Mesdames, Messieurs, de vous signaler que pour le coup l’emploi des lettres n’est pas pur hasard, Paul Morand signalait que pour Leibniz le K était le favori des Allemands parce qu’il évoquait la puissance, alors de Nerval l’avait déjà en horreur. Cet équilibrage pourrait tout à fait être conscient.
Mais bien entendu je ne suis pas un imbécile, je ne saurais prétendre à une telle conscience dans le découpage des lettres, il est évident que tout cela s’est fait de manière inconsciente, que tout s’explique par la puissante causalité, tout est en fait affaire d’équilibre naturel. Comme chacun sait, le profond Richard Dawkins a su mettre en évidence que les mécanismes à l’œuvre dans la sélection naturelle le sont aussi dans la vie sociale, alors qu’on a la forte habitude de croire que cette derrière a ses propres degrés de causalité. Les lois morales, les langues, les goûts, l’idée du carburateur (exemple emprunté à Fodor) sont en dernier ressort, une fois dénoué le maillage de la multiplication des causalités apparentes, le fruit de la sélection naturelle et de son impact sur notre environnement et notre cerveau -qui sont en fait la même chose si on réfléchit bien.
Revenons maintenant au cas du langage. Chacun sait que la forme de la lettre A fut tirée des cornes du taureau, et ainsi de suite… en effet le choix des lettres repose sur une certaine esthétique, or les critères de cette dernière sont, comme nous l’avons déjà noté, le fruit de la sélection naturelle. Par exemple l’homme préhistorique n’avait encore aucun goût pour l’abstrait, sa condition ne s’y prêtant pas, il ne peignait que des formes vivantes et s’inspirait de la nature dans le choix de la forme de ses lettres. Toutes les lettres furent donc ainsi sélectionnées. Ce sont des memes comme les autres [voir la doctrine de Dawkins].
Maintenant, comme pour chaque création de l’évolution, il est évident que toutes les lettres ne peuvent être utilisées par tous les hommes, sinon il n’y aurait qu’un seul langage (de même qu’il n’y pas que des enfants blonds sur terre, même si certains ont tenté, heureusement sans succès, de s’y atteler). On peut donc en conclure que s’il y a différentes lettres, c’est tout simplement parce que les facteurs environnementaux et humains ont fait qu’on en a utilisé certaines et pas d’autres, ainsi celles que nous connaissons sont le fruit d’un équilibre, sans quoi elles auraient disparu. Et s’il semble y avoir des sons et des lettres vedettes, comme le E en Europe, il n’empêche que l’ensemble des lettres doit être un équilibre -en outre le son E a beaucoup moins de succès en Asie. Et puisqu’il n’y a encore qu’une espèce humaine, qui en plus est sans race, on ne saurait douter que cet équilibre se fasse au niveau de l’espèce humaine.
Pour ceux qui en doutent, nous allons procéder par logique, car la logique, bien qu’elle soit, elle aussi, le fruit de la sélection naturelle, est d’une vérité (pragmatique) absolue. En revanche nous allons procéder d’une manière particulière, nous allons constater que notre hypothèse permet d’expliquer certains faits ou certaines idées qui semblent provenir de la sagesse humaine, qu’on l’attribue d’habitude à l’exercice philosophique, au génie ou au simple bon sens. Ainsi nous allons procéder par une démonstration, non de la cause aux conséquences, mais circulaire, empruntant sciemment une voie pourtant dénoncée par le trop célèbre trilème de Münchausen (ou trilème de Fries). Tout comme l’a déjà fait Hegel avant nous, nous établissons circulairement notre preuve sans pour autant entrer dans un cercle vicieux. Nous sommes partis du constat entre C et K, puis, grâce aux principes mis en avant par le darwinisme, nous avons compris le fonctionnement de l’équilibre des lettres dans le monde, ce qui est notre paradigme, enfin, grâce à cela nous allons redécouvrir/redémontrer quelques évidences. Ainsi nous avons trouvé des principes issus de l’analyse du réel qui nous permettent d’expliquer d’autres faits du réel. Procédons.
Note: Même si nous en adopterons la forme, nous éviterons de trop formaliser les syllogismes, car comme Chacun sait, la formalisation à outrance est une affaire de moines du Moyen-Age (voire l’article Syllogisme de l’Encyclopédie), ou pire, de philosophe des sciences n’ayant pas la moindre idée de la notion de paradigme.
P1: Les lettres s’équilibrent.
P2: L’Europe, l’Amérique et une bonne partie de l’Afrique utilisent l’alphabet latin. Pis, rajoutez l’Inde et le monde arabe, tout ce beau monde (en gros) parle l’indo-européen.
C1: Il est donc normal que les Chinois soient si nombreux.
P1: Les lettres s’équilibrent.
P3: Les lettres sont avant tout l’expression de sons.
C2: Les sons s’équilibrent.
C3: De même la quantité des sons dans le monde s’équilibre.
C3-P4: La quantité des sons s’équilibre.
P5: Il y a beaucoup de monde en Chine.
C’4: Il y a donc une dictature pour qu’ils ne parlent pas trop, par souci d’équilibre.
Nous avons là la conclusion du gouvernement chinois, mais elle est biaisée.
C4: (A l’inverse) Pour réduire la population de la Chine, il faudrait laisser parler les Chinois, avoir une politique plus libérale.
P4: La quantité des sons s’équilibre.
P5: Tout le monde parle (enfin presque).
C5: Quand on parle, c’est forcément que quelqu’un d’autre parle ou a parlé.
Corolaire: Quand on parle, (et certainement aussi quand on écrit) faut faire gaffe, parce qu’on permet aussi aux autres de parler, et ça peut-être fatigant.
P6: Dans l’ensemble l’homme est moyen.
Corolaire: Il se dit autant de choses bêtes que de choses intelligentes (en-dessous et au-dessus de la moyenne).
C5-P7: Quand on parle, un autre parle.
C6: Quand on dit quelque chose d’intelligent, quelqu’un dit quelque chose de bête.
Corolaire1: Il faut faire attention quand on parle, car on permet à quelqu’un de dire des bêtises, ou pire, on a une chance sur deux d’être soi-même con.
(même si cela semble moins évident que l’équilibre des voyelles et des sons, à qui sait la voir, la chose est prouvée)
C6-P8: Quand on dit quelque chose d’intelligent, quelqu’un dit quelque chose de bête.
P9: Agis toujours de telle sorte à respecter l’humanité dans ta personne ou celle d’autrui toujours comme une fin et non comme un moyen
P9′: Soucie-toi que l’évolution du genre humain soit un progrès, donc que soient dites des choses intelligentes.C7: Quand on est con, faut parler sans s’en faire, ça permet aux gens intelligents de parler ensuite, mais quand on est intelligent, il faut plutôt mesurer ses propos
Corolaire: Il faut réfléchir avant de parler quand on veut dire quelque chose d’intelligent, ou se taire. Quand on est bête, on peut être bavard sans s’embêter.
Morale:
Chacun voit bien qu’ici tout se tient.
Peut-être y a-t-il un équilibre entre la pensée non exprimée et la pensée exprimée ? Il serait séduisant de l’affirmer, mais nous ne pouvons nous le permettre, les pensées non dites n’étant pas (pour l’instant) observables, nous ne saurions en faire un objet de science. Mais si c’était le cas, une conséquence est prévisible: les gens intelligents doivent beaucoup méditer, et les autres dirent tout ce qui leur passent par la tête.
En gros, heureusement qu’il y a des grandes gueules.
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22 mars 2009 à 21:37 gdblog[Citer] [Répondre]
j’aime bien la conclusion! … et le texte aussi …
31 mars 2009 à 9:45 Aziliz[Citer] [Répondre]
La conclusion me laisse un peu perplexe: si les « gens moins intelligents » peuvent et doivent dire tout ce qui leur passe par la tête et donc occuper un temps de parole plus important que les « gens intelligents » qui doivent passer plus de temps à méditer qu’à parler, cela ne créé-t-il pas un déséquilibre entre « choses intelligentes » et « choses moins intelligentes »? La conclusion ne serait-elle pas plutôt: « laissons s’exprimer les cons en premier »? Ceci afin de légitimer la prise de parole des gens intelligents tout en leur permettant d’assoir discrètement leur supériorité.
Cependant, une question de taraude: si tout s’équilibre, cela signifie-il selon vous, qu’une personne intelligente ne doit parler qu’à des personnes moins intelligentes ou bien les discussions peuvent-elles avoir lieu entre personnes de même « niveau »?
1 avril 2009 à 16:45 Luccio[Citer] [Répondre]
Très bonne remarque.
Mais vous semblez être passé à côté de l’essentiel, le finalisme de l’équilibre. Ainsi il est tout à fait possible de parler tout seul et il n’est pas si important de s’occuper du niveau des gens à qui on parle, surtout que ce niveau n’est pas si facilement quantifiable. De même on ne peut décider quel est l’imbécile qui doit parler en premier — c’est d’ailleurs pour cela que je me suis permis de faire ce billet sans demander une autre autorisation que celle d’Oscar.
Cependant, sachons tirer de votre commentaire un développement.
Certes, mais on ne peut départager entre intelligents et idiots, on sait seulement qu’il y a équilibre. Pourtant grâce au divin Hegel nous savons que la réalisation de ce qui est raisonnable n’apparaît pas toujours à la conscience, donc que ce partage doit avoir lieu malgré nous — jusqu’à ce qu’un esprit subtil en découvre le mécanisme.
Ainsi on peut constater que celui qui est d’abord maître de la parole croit s’affirmer en premier sur celui qui ne parle pas, et qui est pourtant obligé de l’écouter. Pourtant ce dernier pourrait en fait devenir celui qui saura dépasser ce qui a été dit, soit le nier sans pour autant l’oublier, en faire l’Aufhebung (la sursomption).
Vous avez donc raison, sans que l’on parle de stratégie et de supériorité assise discrètement, on voit que c’est bien là l’essence du devenir de l’homme que celui qui subit tout d’abord la parole de l’autre finit par développer la sienne, qui peut être meilleure.
Par votre médiation, l’illustre que je suis a pu mettre au jour une dialectique du maître et de l’esclave dans la parole.
Enfin je dois concéder que cette mise au jour n’a pas la rigueur de la démonstration du billet. Peut être qu’un jour je serai moi aussi celui qui aura permis une mise au jour rigoureuse sous la plume d’un autre de ce nouvel aspect de la dialectique du maître et de l’esclave.
ps: je tiens à dire que je me réjouis du compliment du dessinateur humoristique gdblog (oui je flatte).
En outre je me réjouis aussi parce que le monde est bien fait. Ce n’est qu’une pure vérité que j’ai découverte, qui appartient à tout le monde, que je ne saurais breveter, ce n’est que la raison en moi qui a travaillé, mais il m’échoit tout de même la possibilité de flatter mon égo. Ainsi, en oubliant mes particularités pour exprimer la vérité, cette dernière me permet par la médiation des autres individus particuliers de conforter ma particularité, mon égo.
Et quel est le comble du bonheur ? Que tout cela est parfaitement clair et distinct.
17 avril 2009 à 8:24 Sylvaine[Citer] [Répondre]
Clarté du propos, élégance du style, finesse de la démonstration: heureusement que ces bêtises-là ont besoin d’être justifiées.
Flatte donc ton égo comme on flatte la croupe d’un cheval de course: on ne sait jamais, ça peut servir de s’en faire un ami…
20 janvier 2010 à
[…] Luccio se désespère que son dernier texte sur l’euthanasie ne suscite pas les réactions qu’un tel sujet, et surtout une telle réflexion, mériterait. Il propose en effet quelque chose de neuf, qui – je cite son commentaire – « interroge les conditions de possibilité d’un débat, avançant que celles qu’on suppose acquises risquent de varier », déduisant ce qui pourrait advenir d’une procédure d’euthanasie institutionnalisée en prenant la méthode du catastrophisme éclairé, et constatant que l’égoïsme envisagé comme principe moral conduirait contre toute attente à se prononcer contre. Mais cette nouveauté dans l’argument laisse le public froid, ce même public qui fut plus disert sur une réflexion condescendante sur l’antisionisme, ou sur une autre parodique. […]